À Haren, des citoyens ne veulent pas de la nouvelle prison et font de la résistance (Photos)
Il y aura de l’animation mercredi à la commission de concertation de la Ville de Bruxelles. Riverains, magistrats, avocats.. viendront s’opposer au projet de construction, à Haren, de la plus grande prison du pays. La Région bruxelloise et l’État fédéral veulent passer outre. Le site est devenu la première "zone à défendre" de Belgique. Reportage d'Annick Hovine.
Publié le 19-05-2015 à 11h38 - Mis à jour le 19-05-2015 à 11h49
Il y aura de l’animation mercredi à la commission de concertation de la Ville de Bruxelles. Riverains, magistrats, avocats.. viendront s’opposer au projet de construction, à Haren, de la plus grande prison du pays. La Région bruxelloise et l’État fédéral veulent passer outre. Le site est devenu la première "zone à défendre" de Belgique. Reportage d'Annick Hovine. Ils habitent la "zone à défendre": "C’est la meilleure des résistances..."
Situé sur le territoire de la Ville de Bruxelles, au nord, Haren ressemble au premier coup d’œil à un petit village tranquille. Le bucolique sentier du Keelbeek longe des potagers, traverse un bosquet et descend vers un petit pont de chemin de fer, qui marque l’entrée d’un terrain vague de 18 hectares, coincé entre le ring, le canal, une usine désaffectée et des voies de chemin de fer. Sur la voûte du pont, des mots se détachent en lettres capitales, peintes en orange : " La liberté, on la prend" . Au-delà s’étend la première "zone à défendre" (Zad) belge.
Une cabane dans un arbre
C’est ici que le gouvernement fédéral a décidé - en 2008 - de construire la plus grande prison du pays, qui doit remplacer les établissements pénitentiaires vétustes de Forest, Saint-Gilles et Berkendaal. Mais le fédéral et la Ville sont longtemps restés très discrets sur ce projet. Dont les riverains mais aussi nombre d’associations environnementales et citoyennes ne veulent pas.
La résistance s’est donc installée au Keelbeek. Depuis août dernier, des activistes occupent le terrain, qui est la propriété de la Régie des bâtiments. Au milieu du site, une cabane carrée, sans électricité ni eau courante, sert de cuisine. Une autre fait office de salon. Il y a aussi une yourte, prêtée aux militants pour passer l’hiver, une caravane, une tente berbère, une hutte salle de bains et une toilette sèche. Un peu plus loin, vers l’usine désaffectée, un berger dort près de ses bêtes.
Quelques poules caquettent distraitement, insensibles au boucan infernal des gros-porteurs qui déchirent le ciel toutes les minutes trente - l’aéroport de Zaventem est tout proche.
"On a commencé par planter des patates" , explique "Tutu", 31 ans, originaire des Ardennes. Une manière symbolique de se réapproprier les terres agricoles. Architecte de formation, le jeune homme a débarqué ici en octobre, "quand ils sont venus déplanter les pommes de terre" . Il n’a plus quitté les lieux. "On habite ici : c’est la meilleure des résistances."
Où ? "Là" , montre-t-il en pointant le doigt vers le ciel. Une cabane dans un des 300 arbres voués à l’abattage pour laisser place au complexe pénitentiaire. "On est là pour préserver les espaces verts, pour lutter contre la prison, pour combattre le système" , explique Tutu, petites lunettes, cheveux attachés derrière la tête par un catogan. "Occuper le terrain me paraît l’action la plus cohérente pour avoir un impact. On s’adonne à l’agriculture, on fait des expérimentations, de permaculture, notamment, pour faire respecter le droit à la terre. D’autres construisent des choses de leurs mains." Comme cette artiste accroupie dans l’herbe qui fabrique une sorte de hutte en roues de vélos - baptisée "Spirale anticarcérale".
Riverains et "zadistes", main dans la main
Inaugurée "officiellement" mi-décembre, la Zad du Keelbeek s’est développée à l’image des résistances qui se sont mises en place en France contre la construction d’un barrage à Sivens, dans le Tarn, ou contre l’implantation d’un nouvel aéroport sur le site de Notre-Dame des-Landes, près de Nantes. Difficile de savoir précisément combien de "zadistes" (une vingtaine ?) occupent le Keelbeek, ni qui sont vraiment ces militants. "Certains passent leur temps à essayer de nous coller des étiquettes : pacifiques, anarchistes, belliqueux… Il y a une multiplicité d’engagements et de caractères. On passe d’une tendance à une autre. C’est un corps à multiples facettes" , énonce Tutu.
Un homme qui balade son chien fait un grand signe en passant. Un riverain. Ils sont nombreux à venir soutenir les jeunes idéalistes qui s’opposent, comme eux, à la mégaprison qui détruira le poumon vert de Haren.
"Ni prison, ni béton..."
En février dernier, des ouvriers de la Régie des Bâtiments ont investi les lieux et clôturé 9 hectares de terres et de nature sans que les zadistes puissent intervenir. "C’était complètement illégal : ils ont arraché des arbres, défriché et saccagé des parcelles alors qu’ils n’ont pas encore le permis d’urbanisme et d’environnement nécessaire pour commencer les travaux" , s’offusque Tutu.
Les barrières qui délimitent le terrain sont toujours dressées. On y a accroché des dessins d’enfants et des slogans : "Ni prison, ni béton" , "Keelbeek libre" … Et une affichette "L’État, c’est nous" , surcollée sur les officiels panneaux : "Staatsdomein. Verboden toegang". Des voies imaginaires ont été déclarées "rue du Mirador" ou "chemin des Alternatives à la prison".
Deux semaines plus tard, des ouvriers étaient de retour au Keelbeek, pour poser de nouveaux grillages. Cette fois-là, les zadistes sont parvenus à bloquer les travaux. "De manière non violente" , insiste Tutu. Les engins ont rebroussé chemin.
Et il y a deux semaines encore, les activistes ont empêché des géomètres de réaliser des opérations de carottage. "C’est la chose la plus absurde que j’ai vue depuis que je suis ici. On a dit aux ouvriers que c’était illégal. C’étaient des sous-traitants. La police est venue. Ils sont tous repartis." Mais ils reviendront encore.
Arrêter le projet maintenant ? Ça coûterait plus de 400 millions
L’enquête publique relative à l’obtention de permis d’urbanisme et d’environnement pour la construction d’une méga-prison à Haren est bouclée. La commission de concertation de la Ville de Bruxelles se réunit ce mercredi sur ce dossier. Des riverains, des magistrats, des citoyens, des associations… viendront dire tout le mal qu’ils pensent de ce projet "qui ne peut être autorisé en l’état, en raison des nuisances disproportionnées qu’il occasionnera aux riverains, à l’environnement, au fonctionnement de la justice et à la mobilité" , lit-on dans une des réclamations officielles envoyées à la Ville de Bruxelles.
Parallèlement à la commission de concertation, une mobilisation aura lieu mercredi dès 8h sur la place de la Monnaie, avec petit-déjeuner, stands d’information, réappropriation de l’espace public…
À prix d’or
L’étude d’incidences précise que les prisons de Saint-Gilles et de Forest hébergent 1518 détenus, contre 1190 prisonniers dans le futur complexe, relèvent les opposants. Il semble dès lors que la méga-prison ne vise pas à répondre au problème actuel de la surpopulation carcérale, "mais d’uniquement créer une infrastructure plus moderne, située à l’extrémité de la ville" . Les mêmes reprochent au gouvernement fédéral de rester muet sur le sort des prisons existantes (situées sur des terrains qui valent un prix d’or…) et l’opportunité de dépenser plus de 2 milliards en vingt-cinq ans pour une prison dont les acteurs de la justice ne veulent pas.
Fin mars, une "Plate-forme pour sortir du désastre carcéral", où se retrouvent une dizaine d’associations représentant le barreau de Bruxelles, la magistrature, les droits de l’homme, les riverains de Haren, des citoyens… réclamait de stopper le projet de méga-prison.
Ouverture prévue pour 2018
Un baroud d’honneur ? Le gouvernement fédéral ne montre en tout cas aucune intention d’arrêter le projet, ni de le modifier d’un iota. Interrogé en avril au Parlement, le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), a indiqué que l’ouverture de la prison était "toujours bien prévue pour 2018" . Les premiers coups de pelle sont désormais programmés pour début 2016 et les travaux dureront 32 mois. Ce que le ministre n’a pas dit aux députés, c’est que si on arrêtait maintenant le projet, les coûts de dédommagement au consortium Cafasso, choisi comme soumissionnaire, dépasseraient les 400 millions d’euros…