Dis-moi où tu vis, je te dirai si tu es heureux (Carte interactive)
L’institut de statistiques wallon IWEPS propose deux indicateurs complémentaires au PIB pour mesurer le bien-être des Wallons. Si les inégalités augmentent, la situation sociale (ISS) s’améliore. Certaines communes rassemblent de bonnes conditions de bien-être.
- Publié le 29-06-2015 à 20h17
- Mis à jour le 30-06-2015 à 16h55
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Les Wallons sont-ils heureux ? Ou du moins sont-ils dans les conditions adéquates pour goûter à ce fameux bien-être qui, pour certains, reste une vue de l’esprit. L’IWEPS (Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique) développe depuis peu, à la demande du gouvernement wallon, des indicateurs complémentaires pour obtenir une image plus diversifiée que celle rendue par les grands indices classiques tels que le produit intérieur brut (PIB).
Deux indicateurs étaient ainsi présentés lundi à Namur. Le premier, l’indice de situation sociale (ISS), analysé sur dix ans, se détériore de 2004 jusqu’en 2012 avant de remonter quelque peu ces deux dernières années. Le pic le plus négatif ayant été atteint en 2011.
On constate que les déséquilibres et inégalités socio-économiques suivent une courbe différente de celle de l’ISS. S’ils ont régressé de 2004 à 2009, suivant en cela la progression du PIB, ils ont connu une forte augmentation depuis la crise économique. Le niveau plus bas a été atteint en 2009, mais la courbe s’est solidement redressée en 2012 et 2013. En résumé, si la situation sociale s’améliore, on constate une augmentation des déséquilibres et des inégalités. "Le FMI que l’on ne peut pas considérer comme un repaire de gauchiste déclarait récemment que les inégalités pénalisent la croissance" , explique Frédéric Vesentini, directeur des données indicatives à l’IWEPS.
Diminution de l’écart salarial hommes-femmes
Les inégalités se marquent tant au niveau de l’accès au logement, que du taux des défauts de paiement d’électricité ou de règlement collectif de dettes, ainsi que sur le marché du travail. "Les améliorations sont à chercher dans la réduction du nombre de morts sur les routes, de celui d’adultes sans diplôme, dans l’augmentation du salaire moyen annuel et dans la diminution de l’écart salarial entre hommes et femmes", précise Isabelle Reginster chargée de recherche à l’IWEPS.
Le deuxième indicateur analysé par l’IWEPS est l’indice des conditions de bien-être (ICBE) qui se penche sur les 262 communes (voir carte ci-contre) wallonnes et sur les conditions potentielles de bien-être sur ces territoires. "Nous avons mis en place un exercice de définition du bien-être auprès de 1 200 citoyens dans 15 communes représentatives du territoire wallon", explique Christelle Ruyters, chargée de recherche à l’IWEPS. "Dans ce panel vous retrouvez des groupes qui sont souvent oubliés des enquêtes statistiques traditionnelles. Nous leur avons posé plusieurs questions. Il nous semblait plus pertinent de faire parler les gens d’eux-mêmes plutôt que de se baser sur des statistiques administratives. Ce sont 120 critères qui ont été analysés comme par exemple l’emploi, le revenu, les relations familiales, l’enseignement, la santé, le logement, la communication, la mobilité, etc.", renchérit l’administrateur général de l’IWEPS, Sébastien Brunet.
Quatre constats ont été tirés de cet indicateur. Le premier détermine que l’ICBE est sensible au clivage communes urbaines/communes rurales, ainsi qu’au caractère plus ou moins aisé des zones résidentielles touristiques (voir les deux classements ci-contre). Le deuxième précise que l’ICBE a tendance à évoluer positivement sauf dans les grandes villes. Mais la situation est à nuancer selon les dimensions qui connaissent des variations plus contrastées. Exemple : si l’emploi et le pouvoir d’achat s’améliorent, l’équité dans l’accès à l’emploi et au revenu diminue. Le troisième considère que la petite taille des communes et la ruralité semblent jouer positivement sur l’indice des conditions du bien-être. "Mais sur certaines dimensions, le mouvement est inverse. La taille et l’urbanité jouent en faveur de l’ICBE. En matière de mobilité et de commerces de proximité, on comprend bien qu’ils sont plus développés dans les grandes villes que dans les petites communes rurales", complète Christelle Ruyters. Enfin le quatrième indique que l’ICBE est peu déterminé par la situation financière des communes, bien que les dépenses en matière d’aide sociale et de sécurité exercent une influence positive.
Aux politiques de se saisir de ces données
La conclusion revient à l’administrateur général de l’IWEPS, Sébastien Brunet : "Nous invitons les politiques aussi bien au niveau communal qu’au niveau régional à se saisir de ces indicateurs et de prendre le temps qu’ils ne prennent pas à jeter un regard différent sur leur territoire. Et ce n’est pas parce que certaines se retrouvent dans le Top 10 des communes qui rassemblent les meilleures conditions pour le bien-être qu’il ne faut plus rien faire."
DÉCOUVREZ NOTRE CARTE INTERACTIVE ICI
Les dix communes aux bonnes conditions de bien-être:
1. Amel
2. Saint-Vith
3. Ottignies-Louvain-la-Neuve
4. Assesse
5. Attert
6. Donceel
7. Büllingen
8. Bütgenbach
9. Vaux-sur-Sûre
10. Messancy
Les dix communes aux moins bonnes conditions d'hygiène:
1. Charleroi
2. Seraing
3. Liège
4. Colfontaine
5. Dison
6. Châtelet
7. Farciennes
8. Saint-Nicolas
9. Verviers
10. Quiévrain
"Il s’agit d’une évaluation quantitative qui ne mesure pas le bonheur"
Giuseppe Pagano est Professeur de politique économique à l’Université de Mons.
Quelles sont les limites du PIB ?
"Il s’agit d’une évaluation quantitative qui ne mesure pas le bonheur, mais la valeur monétaire de la production. Or, certaines choses ne s’y prêtent pas, ce qui engendre plusieurs problèmes d’ordre technique. Comment évaluer la production de l’administration dans l’enseignement ou en matière de justice par exemple ? Comment prendre en compte l’économie noire ? Dans un cas comme dans l’autre sont apportées des corrections qui restent cependant arbitraires. Une autre problématique concerne les prix des transferts lorsqu’une multinationale basée en Belgique vend sa production à une de ses filiales. Son prix de vente ne correspond pas toujours au prix du marché, ce qui peut engendrer une sous-évaluation de la production. Les indicateurs complémentaires répondent-ils à ces limites ?
Je ne le crois pas. Ils sont utiles en ce qu’ils donnent un autre éclairage que celui du PIB, mais ils se présentent comme des compléments et non comme des substituts.
Peut-on tout de même les considérer comme d’utiles outils de gouvernance ?
Cela dépend de ce que l’on veut. Si vous voulez vous faire une idée de la richesse moyenne, rien n’a encore pu remplacer le PIB. Maintenant, si vous souhaitez obtenir des compléments d’informations telles que la distribution du revenu par exemple, d’autres coefficients apportent des données utiles.
“Comment allons-nous rendre les Wallons plus heureux ?”
Eclairage. Philippe Defeyt, président du CPAS de Namur (Ecolo) et président de l’Institut pour un développement durable (IDD), connaît bien la notion de bien-être qu’il a analysé, notamment, dans le cadre de ses activités à l’IDD. “On constate qu’il y a une corrélation importante entre le degré de satisfaction moyen des habitants d’une région et le taux de confiance dans les institutions que sont la justice, le monde politique, les enseignants ou les journalistes. En cela, le Danemark a depuis longtemps un nombre important d’habitants satisfaits et qui font confiance à leurs institutions” .
Il considère, à l’instar de l’IWEPS, que se contenter du PIB pour déterminer le degré de bien être des citoyens n’est pas suffisant : “Le PIB a du sens uniquement en matière de politique économique” .
Dans le même ordre d’idée, il précise que le monde politique est plus souvent axé sur le PIB plutôt que sur le bien être. “Je n’ai jamais vu une déclaration de politique régionale en Wallonie qui commençait par ces mots : “Comment allons-nous rendre les Wallons plus heureux ?”. Il s’agit avant tout de savoir via quel moyen, ils vont augmenter la croissance. C’est utile mais pas suffisant”, conclut-il.