Un passage en primaire quasi systématique
La ministre de l’Education veut limiter le redoublement en 3e maternelle. Rencontre avec deux institutrices opposées à cette pratique. Une étude montre que redoublement et échec scolaire ultérieur vont de pair. Rencontre.
Publié le 29-06-2015 à 07h49 - Mis à jour le 29-06-2015 à 07h50
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La ministre de l’Education veut limiter le redoublement en 3e maternelle. Rencontre avec deux institutrices opposées à cette pratique. Une étude montre que redoublement et échec scolaire ultérieur vont de pair.
Jean-François Maurer, le directeur de l’école communale fondamentale La Colombe de la paix à Etterbeek, décrit volontiers son établissement comme une école de quartier populaire. "Notre public est très international. Près de 50 nationalités différentes cohabitent. Les élèves sont aussi bien issus de l’immigration qu’enfants d’expatriés." Certains élèves, parmi les 150 qui fréquentent la section maternelle de La Colombe de la paix, ne parlent pas du tout le français quand ils arrivent mais ils s’intègrent généralement bien, selon le directeur. L’indice socio-économique de l’école est assez faible. "On a des enfants issus de familles nombreuses très pauvres mais aussi des fils d’ambassadeurs" , précise Jean-François Maurer.
Deux institutrices opposées au redoublement
Stéphanie Colignon et Gaëlle Monseu sont institutrices en 3e maternelle à La Colombe de la paix. Nous les rencontrons pour savoir ce qu’elles pensent du projet de la ministre de l’Education de limiter au maximum le redoublement en dernière année de maternelle (lire ci-contre). Hasard total, toutes deux font partie du très faible pourcentage d’enseignantes à refuser par principe de maintenir les enfants en 3e année (lire p. 5). "Sauf cas exceptionnel, comme nous en avons un cette année avec un enfant qui sera orienté vers l’enseignement spécialisé, le redoublement n’a aucun effet positif. L’enfant, sensible, ressentira un échec mais il ne comprendra pas par rapport à quoi. ‘Refiler’ par exemple un élève présentant des troubles ‘dys’ à l’institutrice de 1re primaire n’a aucun intérêt. Elle sera tout aussi démunie. L’enseignement spécialisé pourra gérer le trouble de l’apprentissage. Et puis, il n’y a pas de certification en fin de maternelle. Il restera à l’élève du temps pour mûrir. On peut donc être plus tolérant" , explique Stéphanie Colignon.
Sa collègue est du même avis. Et pour les mêmes raisons. La jeune enseignante a cependant pris, une seule fois dans sa carrière, la décision de maintenir en enfant en maternelle. "Il s’agissait d’un petit garçon dont les parents étaient tellement accablés par leurs propres problèmes qu’ils ne pouvaient pas être à l’écoute de leur enfant. Son taux d’absence à l’école était énorme. Il serait arrivé en primaire avec un bagage scolaire quasi nul, vu l’ampleur de ses problèmes d’expression verbale et d’apprentissage. En le maintenant, j’ai voulu lui repositiver l’école. Les parents ont abondé dans mon sens" , mentionne Gaëlle Monseu.
L’élève progresse et trouve du plaisir à fréquenter l’école
Pendant sa seconde 3e maternelle, cet élève était plus présent en classe mais ses progrès n’étaient pas notables. "Aujourd’hui, il poursuit sa scolarité et il progresse. Son maintien a été une bonne décision pour son bien-être. Il a trouvé du plaisir à venir en classe" , indique l’institutrice.
Il arrive que la demande de maintien émane des parents. "Cette année, une maman me l’a demandé pour sa fille qu’elle ne jugeait pas assez mature. J’ai dit non et la maman a accepté ma décision. L’élève passera en 1re primaire tout en étant orientée vers une école de devoirs. J’ai également prévenu sa future institutrice" , déclare Stéphanie Colignon.
Plus de moyens aux écoles pour l’encadrement
Sur la mesure envisagée par Joëlle Milquet, l’équipe pédagogique de La Colombe de la paix est mitigée. "Elle permet de clarifier les choses et s’il faut justifier le pourquoi du maintien, c’est bien. Mais ce n’est pas très différent de la procédure actuelle. Pourquoi ne pas envisager un bonus pour les écoles qui ne feraient pas doubler les élèves" , souligne Jean-François Maurer. "Il faut nous donner plus d’outils, de moyens, d’aides pour l’encadrement des enfants maintenus. Faire passer comme ça un enfant en 1re primaire peut avoir des conséquences aussi négatives que de le maintenir en maternelle" , signale Gaëlle Monseu.
Les garçons pauvres et nés en fin d’année redoublent plus que les autres
Fin mai 2010, des chercheurs de l’Université de Liège ont envoyé un questionnaire à des instituteurs de 3e maternelle et de 1re primaire exerçant dans une école située en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ils ont sondé leurs pratiques et leurs représentations en matière de redoublement en dernière année de maternelle. In fine, 719 enseignants ont répondu à cette étude. Il en ressort que le taux d’élèves maintenus en 3e maternelle en 2009-2010 était de 3,8 %. La décision de faire redoubler un enfant était soutenue par 70 % des parents.
Parmi les institutrices répondantes, 61 % avaient maintenu un élève au cours des trois années précédentes. Celles qui n’avaient fait redoubler personne n’étaient pas forcément opposées à la pratique mais signalaient que la situation ne s’était pas présentée ou qu’elles préféraient laisser la possibilité à l’élève de recommencer une année au premier degré primaire. Depuis 2008 en effet, un seul redoublement est autorisé pendant le cycle 5-8 ans. Seules 1,5 % des enseignantes sondées sont opposées au redoublement, le trouvant inutile. Dans les raisons évoquées par les institutrices pour maintenir un élève, il y a la pression qu’elles ressentent à ne pas envoyer à leur collègue de 1re primaire un enfant qui présente des lacunes importantes.
Turbulents, moins matures
Qui sont les élèves maintenus ? L’étude révèle que ce sont le plus souvent les garçons, jugés plus turbulents ou ayant plus de difficultés à se concentrer. Les enfants nés en fin d’année civile (qu’on estime moins matures) et issus de milieux défavorisés (ayant un moindre capital culturel, dont les parents seraient peu conscients de l’importance de l’école maternelle dans les apprentissages) redoublent plus que les autres.
Peu d’aménagements spécifiques sont mis en place pour les élèves maintenus. Tout au plus, leur confie-t-on le rôle du "grand de la classe". Un enfant sur dix qui redouble est orienté vers l’enseignement spécialisé l’année suivante et plus d’un quart s’y retrouve dans les quatre ans. Les redoublants connaissent plus souvent l’échec scolaire que les autres dans leur parcours ultérieur : 49 % d’entre eux atteignent sans encombre la 4e primaire contre 85 % chez les non maintenus.
Le MR s’oppose au plan de Milquet
Ingérence Ce qui chiffonne les libéraux, ce n’est pas tant l’idée de brider au maximum le redoublement en 3e maternelle mais bien le fait que l’accord du ministère sera requis dans les demandes de maintien d’un élève. "Nous ne sommes pas favorables à une interdiction systématique et à une application de façon linéaire du redoublement en 3e maternelle. D’une part, ce décret enlèverait aux parents une décision éducative majeure; d’autre part, cela fait preuve de fort peu de considération des équipes éducatives qui assument des choix difficiles mais réfléchis. Par ailleurs, sur la forme, que la ministre soit le dernier recours est totalement inapproprié. Le politique ne doit pas se substituer au pédagogique" , a fait savoir le groupe MR au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Brider au maximum le redoublement
Exceptionnel. L’idée était dans l’air depuis la précédente législature et elle est en passe de se concrétiser dès l’année prochaine. La ministre de l’Education a fait adopter début juin par le gouvernement un avant-projet de décret visant à fortement limiter le redoublement en 3e maternelle. Si le texte est validé par le Parlement, le maintien des enfants ne pourra être fondé que sur des motifs exceptionnels restant encore à déterminer. Les avis de l’école, du centre PMS et l’accord du ministère de l’Education seront requis. Si malgré un avis contraire du ministère l’école décidait de faire doubler l’élève, elle perdrait tout subside lié à l’enfant car celui-ci ne compterait pas dans le calcul de l’encadrement. En Fédération Wallonie-Bruxelles, le redoublement des élèves de 3e maternelle est marginal. En 2014, 1 168 (2,15 %) élèves ont été maintenus.