Il y a 50 ans, une femme ministre… enfin !
Le 27 juillet 1965, Marguerite De Riemaecker était nommée ministre de la Famille et du Logement. Une étape importante dans la vie politique belge. Elle démontra qu’on pouvait concilier vie politique et vie familiale. Evocation.
Publié le 26-07-2015 à 19h21 - Mis à jour le 27-07-2015 à 07h23
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Bon, d’accord, y a pas de quoi faire sauter les bouchons, si on compare la reconnaissance des femmes politiques à l’échelle du monde démocratique et même franchement autoritaire mais l’anniversaire doit être rappelé : voici exactement 50 ans, le roi Baudouin désignait pour la première fois dans l’histoire du Royaume une femme ministre. Le lendemain, 28 juillet 1965, cette dernière prêtait serment entre ses mains avec le gouvernement Harmel-Leburton. Son nom ? Marguerite De Riemaecker-Legot, une chrétienne-démocrate qui était surtout une démocrate chrétienne convaincue. Au point de refuser au bout de son parcours politico-sociétal un tortil de baronne mais pas le titre de ministre d’Etat, question de montrer à un monde politique encore très machiste qu’on pouvait entrer dans le Conseil de la Couronne comme fille d’Eve. Et ainsi définitivement faire la nique à un tas de gaillards qui avaient tenté d’arrêter sa progression.
Quand "hij" devient "zij" sur le diplôme
Il fallut d’abord un environnement familial très ouvert qui déciderait que la jeune Marguerité née à Audenarde le 9 mars 1913 puisse faire son droit à Gand. Elle surmonta ces écueils, en ce compris, les sarcasmes de ses camarades (?) mâles de cours. Plus fou encore : sur son diplôme délivré le 2 juillet 1936, il fallut raturer le "Hij" en "Zij" pour l’authentifier. Et ce n’était qu’un début. Si la profession d’avocat s’était ouverte aux femmes depuis avril 1922, Marguerite Legot n’avait pas pu faire son stage dans sa ville natale. Puis un avocat bruxellois refusa de l’accueillir car son épouse ne voulait pas de stagiaires féminines qui devaient forcément dégager quelque parfum diabolique. Finalement, elle décrocha un stage chez Me Pierre Nothomb. Ce n’est cependant pas chez ce découvreur de grands serviteurs de l’Etat que Marguerite Legot contracta le virus de la politique mais dans l’environnement de l’école d’assistantes sociales de la rue de la Poste à Schaerbeek.
Dans le sillage de Maria Baers
Afin de se préserver des "dangers de la grande ville", Marguerite trouva un logement à deux pas de l’église Ste-Marie. Elle fit surtout la connaissance d’une femme exceptionnelle, Maria Baers, fondatrice de l’école et première sénatrice cooptée du Parti catholique qui fit interdire le travail des femmes dans les mines et les carrières et emporta la reconnaissance et la protection du titre d’assistante sociale.
Marguerite Legot devint la secrétaire de son cabinet politique tout en enseignant à son tour rue de la Poste. Le coup de pouce décisif pour entrer en politique vint de son époux, Jules De Riemaecker, qui accepta d’adapter sa carrière à celle de son épouse. Il vint aussi du "patron" de ce dernier, le "boss" de la chocolaterie Côte d’Or, Jean Michiels qui nomma son mari à Bruxelles plutôt qu’à… Bogota !
Elue sans avoir pu voter pour elle
Marguerite avait pris de l’assurance comme commissaire d’Etat auprès du ministre des victimes de guerre, Henri Pauwels. Elle fut ensuite désignée membre du comité national du tout jeune PSC-CVP à l’instigation de Maria Baers. De là à se retrouver en "pole position" pour la Chambre, il n’y avait qu’un pas. Aisément franchi : Marguerite De Riemaecker fut la première députée CVP de Bruxelles, aux élections du 17 février 1946. Et cela, sans même avoir pu voter puisque le droit de vote des femmes aux législatives date du 18 février 1948. A la Chambre, elle était dans le même cas qu’Isabelle Blume (Parti ouvrier belge) et Suzanne Grégoire (Parti communiste) alors qu’au Sénat siégèrent Agnès della Faille d’Huysse (CVP), Marie Spaak-Janson (POB) et Georgette Ciselet (Parti libéral).
Marguerite De Riemaecker n’eut pas la tâche facile. Un éminent ministre d’Etat de son propre parti a, à deux reprises et d’une manière assez désobligeante, pris la parole sur "ses" thèmes sans l’en prévenir. Mais Mme De Riemaecker ne s’en laissa pas conter, persévérant dans son travail tout en assumant les joies de la maternité. En outre, elle représenta la Belgique auprès de l’Onu et à la Conférence internationale du Travail à Genève.
Sa grande détermination en fit une "ministrable" de poids. Elle aurait pu entrer en 1961 dans le gouvernement Lefèvre-Spaak comme ministre de la Santé publique mais pour d’obscurs calculs politiques - au propre comme au figuré - elle se retrouva sur le carreau. Pierre Harmel l’intégra 5 ans plus tard comme ministre de la Famille et du Logement. Elle récidiva sous le gouvernement Vanden Boeynants-De Clercq en 1966. Le couronnement de sa carrière aurait été de se retrouver comme ministre de la Justice dans l’équipe Eyskens-Merlot. Mais là encore, on lui fit miroiter le poste avant de le lui retirer de façon fort peu galante.
La mixité très lente
Premières fois. Si l’Histoire de la Belgique est marquée par la personnalité de plusieurs femmes exceptionnelles, les résistances machistes ont été nombreuses. Les femmes en politique doivent évidemment beaucoup à Marguerite De Riemaecker-Legot. Mais on ne peut oublier pour autant les premières élues au Parlement. Avec notamment Marie Spaak-Janson qui fut d’abord cooptée au Sénat en 1921. La mère de Paul-Henri Spaak aurait été fière de voir sa petite-fille Antoinette devenir la première présidente d’un parti. La première femme élue directe à la Chambre fut la socialiste liégeoise Lucie Dejardin. Du côté du monde judiciaire, la féminisation fut aussi très lente… Si Marie Popelin fut la première femme docteur en droit, elle ne put pas porter le titre d’avocate. Par ailleurs, la première femme juge belge, Geneviève Pevstchin, active dans la Résistance et dans la distribution de "La Libre Belgique" clandestine, ne fut nommée qu’en 1948.
Exceptionnelles. On pourrait consacrer toute une édition de "La Libre" aux femmes hors normes, que ce soit dans la Résistance - Dédée de Jongh -, dans le combat pour l’égalité des droits à la Sabena - Mouchka Stassart-Désir - et bien d’autres dans tous les secteurs de la vie active. Epinglons encore le témoignage de Paula D’Hondt-Vanopdenbosch, ministre d’Etat CVP et commissaire royale à l’Immigration. "J’ai été l’élève de Mme De Riemaecker à la rue de la Poste. Elle m’a marqué par son enseignement montrant le fossé entre les droits des hommes et des femmes. Elle nous a montré que dans la société, il y avait deux catégories d’incapables juridiques : les malades mentaux et… les femmes."
L’hirondelle ne fit pas le printemps
En fait, c’est la pas très démocratique URSS qui fut à la pointe en désignant dès 1917 Alexandra Kollontaï comme commissaire du peuple à l’Assistance publique. L’ouverture était réelle même si elle ne fut ministre des Affaires sociales que pendant un an. Un peu plus tard, c’est l’Europe du nord qui se distinguait positivement sur ce terrain. Nina Bang, ministre de l’Education du Danemark entre 1924 et 1926, fut en effet la première femme ministre d’un gouvernement démocratiquement élu.
Pas de vice-Premières avant Guy Verhofstadt
Plus près de nous, l’exécutif de la République française se féminisa dès le Front populaire. Chez nous, il y a eu la désgination de Marguerite De Riemaecker. Mais ce ne fut pas encore le déclic d’une féminisation massive du pouvoir. Après ses deux mandats, il fallut attendre de nouveau cinq ans pour revoir une femme au gouvernement national. Dans les "36 chandelles" de la tripartite d’Edmond Leburton de 1973, seule la socialiste Irène Pétry portait la jupe.
Précision en passant à propos de Marguerite De Riemaecker : elle termina sa carrière comme échevine de l’Etat civil à la ville de Bruxelles à partir de 1971, succédant à la mythique Mérinette van den Heuvel. Pour s’y imposer, elle moucha le FDF de l’époque : femme néerlandophone, elle prêta de manière très volontaire serment en français laissant muet le FDF André Lagasse.
Retour à la rue de la Loi : le déficit démocratique de présence féminine resta béant puisque de 1974 à 1979, il n’y eut que la seule Rika De Backer-Van Ocken (CVP). Cela s’améliora à petite échelle sous les gouvernements Martens, tripartites traditionnelles comme bipartites libéralo-romaines où on vit surtout éclore des secrétaires d’Etat, tous partis confondus.
Il fallut en fait attendre les gouvernements Dehaene pour retrouver - enfin… - des femmes ministres en bonne et due forme. Dans Dehaene I, par exemple, elles furent 4 et non des moindres avec Laurette Onkelinx (PS), Miet Smet (CVP), Mieke Offeciers (CVP) et Magda De Galan (PS). Un pas supplémentaire fut franchi sous Guy Verhofstadt qui prit des vice-Premières à ses côtés. Aujourd’hui, dans l’équipe Michel, elles ne sont plus que 4 mais plus l’ombre d’une femme au Kern.