Enseignement: les inégalités de genre oubliées du Pacte d’excellence
Quatre volumineux documents ont été produits dans le cadre de la phase 1 du Pacte pour un enseignement d’excellence. De quoi permettre d’avoir une vue précise et complète du paysage de l’école en Belgique francophone. Complète ? Pas sûr, comme en témoigne Nadine Plateau, présidente de la commission enseignement du Conseil des femmes francophones de Belgique.
- Publié le 07-09-2015 à 19h24
- Mis à jour le 07-09-2015 à 21h38
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Nadine Plateau s’étonne notamment que les données soient peu ventilées par sexe. Quatre volumineux documents ont été produits dans le cadre de la phase 1 du Pacte pour un enseignement d’excellence. Il y a les rapports "états des lieux", un prospectif, un autre de synthèse et celui réalisé par la société McKinsey. De quoi permettre d’avoir une vue précise et complète du paysage de l’école en Belgique francophone et d’envisager les réformes voulues par la ministre de l’Education.
Un traitement au mieux superficiel
Complète ? Pas sûr. Nadine Plateau, la présidente de la commission enseignement du Conseil des femmes francophones de Belgique, a lu ces plus de 500 pages de rapports et quelque chose l’a frappée. "La question des discriminations liées au genre est prise en compte de manière superficielle, traitée en fin de chapitre voire totalement inexistante", s’insurge-t-elle.
Nadine Plateau relève que, dans la partie consacrée aux évolutions sociétales, "on ne parle pas de la transformation des populations scolaires. L’école est devenue accessible à tous, mais ce que le groupe de travail qui a produit le document appelle "la culture requise pour l’école" ne correspond pas à la nouvelle population scolaire. La place des filles, des élèves d’origine modeste ou issus de l’immigration dans la société n’est pas au top et cela pèse sur la scolarité".
Des options stéréotypées
Rien non plus sur "l’entrée massive et structurellement discriminatoire des femmes sur le marché du travail. Elles y entrent dans les secteurs dévalorisés et à des postes subalternes. On doit en tenir compte quand on parle d’école et notamment des choix d’options. Les filles se mettent ou sont encouragées à aller dans des options dites féminines, particulièrement dans l’enseignement qualifiant, dont les options sont sexuées de manière invraisemblable", explique Nadine Plateau.
Le rapport McKinsey présente de nombreuses statistiques sur l’école, pourtant "il n’y en a quasiment aucune ventilée par sexe. On ne sait donc rien de l’évolution de la part de femmes dans les postes d’inspection, de direction, dans les centres PMS, sur les choix d’options dans le secondaire", déplore Nadine Plateau.
Pour la féministe, cette non-prise en compte des questions de genre est grave. "Elles ne sont pas considérées comme prioritaires et pertinentes alors que les filles sont exposées à des pratiques conscientes, inconscientes et institutionnelles de discrimination. Les filles sont exposées à une culture qui les dévalorise. Si on retravaillait les savoirs véhiculés à l’école, au travers des travaux féministes, on donnerait aux élèves filles des outils pour s’émanciper. Elles seraient plus fières de leur sexe et auraient des exemples positifs de femmes qui ont réussi, au lieu de cette illusion d’égalité."
Aucun chercheur en genre et éducation
Les lacunes dans les rapports s’expliquent de plusieurs manières. "Il y a d’abord le fait que les filles réussissent mieux à l’école que les garçons. On évacue donc les discriminations dont elles sont victimes. Ensuite, l’idée que l’égalité hommes/femmes est réalisée. On a tendance à considérer que les inégalités qui subsistent sont des survivances du passé qui vont disparaître avec le temps. Enfin, en Belgique francophone (et nous sommes un cas unique dans l’Union européenne), il n’y a pas de recherche académique en genre et éducation" , avance Nadine Plateau.
Nadine Plateau fait ses recommandations aux groupes qui vont poursuivre les travaux du Pacte. "Il faut des statistiques déségréguées, développer une expertise en genre en Fédération Wallonie-Bruxelles. En attendant, que les groupes de travail aient recours aux structures existantes dans les universités. Et dans les travaux sur la formation initiale des enseignants, des experts en genre doivent y participer."
Les acteurs du dossier répliquent à la critique
Philippe Maystadt. Le président du groupe de travail "état des lieux" semble étonné. "Dans le rapport de synthèse, on en parle de la page 63 à la page 66 et nous réalisons une synthèse de la littérature existante sur le propos. Ce n’était pas dans notre cahier des charges et nous n’avons donc pas ignoré cet aspect des choses en citant ici un assez grand nombre d’études. Ce n’était pas LE sujet de notre travail et je reconnais que nous n’avons pas nous-mêmes creusé le sujet."
McKinsey. "McKinsey ne commente pas les documents qu’il produit", précise d’emblée Etienne Denoël, directeur du bureau belge. Il signale toutefois que, dans le rapport de 248 pages, "il y a trois planches illustratives des différences de genre".
Cabinet Milquet. On annonce que les travaux d’un premier Baromètre éducation ont été lancés cette année. "Ces travaux vont analyser en profondeur la question des discriminations genrées et seront raccordés au Pacte", indique le porte-parole de la ministre de l’Education.