La liberté de la presse est-elle soluble dans Internet ?
Quentin Van Enis s’interroge sur son avenir à l’heure de l’avènement des réseaux sociaux.
Publié le 12-10-2015 à 15h49
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Dans un ouvrage de haute tenue, Quentin Van Enis (1), fasciné par les évolutions d’un paysage médiatique bouleversé par l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux en général, se pose une question centrale : comment repenser la liberté de la presse "à l’heure de la convergence technologique", selon l’expression de son préfacier, le professeur Etienne Montero (Université de Namur).
Quentin Van Enis s’intéresse, dans la première partie de son ouvrage, à la distinction entre liberté d’expression et liberté de la presse, cette dernière ayant reçu une consécration particulière qui va au-delà de la liberté d’expression. Cette distinction a-t-elle encore un sens aujourd’hui, s’interroge l’auteur.
A la suite d’un examen minutieux du droit constitutionnel belge et de la jurisprudence européenne mais aussi d’une analyse approfondie du droit constitutionnel américain, il relève une apparente porosité dans cette distinction entre deux libertés fondamentales, la liberté de la presse étant en quelque sorte le corollaire de la liberté d’expression.
Les critères qui permettaient cette distinction, comme celui de l’écrit imprimé, ne paraissent plus guère adaptés à l’environnement médiatique actuel et il devient ardu, "à l’heure de la convergence technologique", d’établir des régimes distincts pour les différents supports véhiculant les informations et les opinions, écrit en substance l’auteur.
De nouveaux acteurs incontournables
Selon lui, les nouvelles technologies ont vu émerger de nouveaux acteurs qui peuvent légitimement prétendre faire œuvre de presse, ce qui consacre une vérité historique selon laquelle la liberté de diffuser des opinions a été accordée à tous, sans exception.
Pour Quentin Van Enis, il est temps de s’interroger sur les contours des règles ayant "vocation à régir spécifiquement la presse aussi bien dans la phase de communication des idées et des informations que dans la phase de leur collecte préalable."
En tout état de cause, affirme-t-il, "si une distinction doit être maintenue entre la liberté d’expression et la liberté de la presse, elle ne pourrait se fonder sur le statut de l’auteur des propos ou sur le support d’expression utilisé."
Mais qu’une conception fonctionnelle de la liberté de la presse s’affirme suppose, précise-t-il, la destruction de l’ensemble des barrières juridiques restreignant la communication des informations à large échelle. De ce point de vue, il s’agirait de ne plus distinguer le journaliste professionnel et l’amateur.
Une telle approche risque cependant, reconnaît l’auteur, de se heurter à des résistances, car les juges redoutent l’accès par tous à un moyen de communication efficace comme Internet, même si la Cour de cassation a récemment admis que la notion de délit de presse n’était pas totalement étrangère aux nouveaux médias.
Pour l’auteur, il serait temps que le Constituant "interroge la nécessité de remettre en cause les spécificités de la liberté de la presse que constituent l’interdiction de la censure, la responsabilité en cascade et la compétence du jury populaire pour connaître des délits de presse.".
Lecture pour tous
Dans la deuxième partie de son ouvrage, Quentin Van Enis revisite l’ensemble du régime juridique de la presse et examine des notions comme l’interdiction des mesures préventives, la prévention de la censure indirecte, le droit de réponse, l’autorégulation journalistique, la responsabilité civile et pénale de la presse, le droit à la protection des sources etc.
On pourrait croire, à première vue, que cette somme est uniquement destinée aux professionnels du droit mais les enjeux qu’évoque et décrypte M. Van Enis touchent aux libertés fondamentales de tous les citoyens que nous sommes, ainsi que l’attentat contre Charlie Hebdo l’a si dramatiquement démontré.
En outre, il était bon que quelqu’un dépoussière des notions qui s’appliquaient encore il y a peu de temps au seul support papier. En cela, l’auteur fait œuvre sinon de précurseur ou de pionnier mais d’une certaine façon de visionnaire.
(1) Quentin Van Enis est maître de conférence à l’université de Namur, chercheur au CNRS et avocat au barreau de Bruxelles. Le titre de son ouvrage est "La liberté de la presse à l’ère numérique", Editions Larcier.