L’impertinence qui enraye la com de Charles Michel
Le cabinet du Premier ministre belge, Charles Michel, a été mis en difficulté par la RTBF.
Publié le 12-10-2015 à 22h51 - Mis à jour le 13-10-2015 à 13h12
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Diffusé samedi dans le cadre du magazine "7 à la une" (RTBF), le contrechamp du journaliste Tristan Godaert - intitulé "Erdogan, presse malmenée" - a provoqué l’indignation générale.
Tristan Godaert, désormais assimilé au globe-trotter du "Petit Journal" français Martin Weil, s’était penché sur la place accordée aux journalistes lors de la venue du président turc Recep Tayyip Erdogan en Belgique. Objectif ? Filmer à 180 degrés. Regarder à gauche, quand tout le monde regarde à droite. Casser les codes.
On y aperçoit notamment des membres du cabinet - Aurélie Czekalski et Frédéric Cauderlier (le porte-parole de Charles Michel) - tenter d’intimider à tort ou à raison le journaliste dans l’exercice de ses fonctions.
Largement inspirés du "Petit Journal" de Yann Barthès (Canal +), du mélange des genres ou du magazine "Cash Investigation" d’Elise Lucet (sur France 2), les procédés employés par Tristan Godaert, s’ils ne sont pas nouveaux, restent rares en Belgique.
En effet, "il ne s’agit pas d’une tradition latine, francophone ou belge mais plutôt anglo-saxonne, insiste Benoit Grevisse, docteur en communication. Aux Etats-Unis, on retrouve des précurseurs dès les années 1880-1890. Quand Nellie Bly écrit ‘10 jours dans un asile de fous’ pour le très respectable Joseph Pulitzer, elle utilise aussi des méthodes ambiguës. On élève souvent le journalisme anglo-saxon à un rang très honorable mais c’est oublier qu’ils utilisent la provocation, l’événementiel, la mauvaise foi. Nellie Bly, par exemple, a fait croire qu’elle allait débloquer un milliard de dollars pour l’asile."
Un parti pris éditorial
Face à une communication politique professionnalisée et ultra-cadenassée, à la multiplication et la diversification des chaînes (mais également des contenus), une concurrence accrue (et désormais mondiale), la montée en puissance des réseaux sociaux, les journalistes réempruntent donc à leurs homologues anglo-saxons des méthodes plus musclées : interruption - caméras au poing - de déjeuners (semi-)privés, utilisation de caméras cachées, non-respect des protocoles… La profession renoue avec ses fondements tout en s’adaptant à un nouveau "cadre culturel, technologique et économique".
Si, chez nous, ces méthodes demeurent exceptionnelles, elles sont toutefois amenées à se développer. Il ne s’agit pas d’un "épiphénomène", estime le docteur en communication. Il s’agit d’un parti pris éditorial. "Le journalisme vit sur la plus-value. Et la plus-value, c’est l’exclusivité. Une manière d’obtenir cette exclusivité, c’est de pratiquer l’investigation pour créer une véritable marque et se différencier. […] Qui plus est, il ne faut pas oublier que l’on sort d’une forme de journalisme très consensuelle. Et ici, on a un cas d’école, qui permet au grand public de clairement comprendre comment on empêche les journalistes de faire leur travail. Ce qui est rarement le cas tellement c’est subtil…"
Des politiques peu préparés
Or les communicants - en Belgique, tout du moins - n’ont semble-t-il pas mesuré l’importance de cette résurgence. "Il faut que nous intégrions cette nouvelle dimension du journalisme, reconnaît-on au sein du cabinet. Personne ne remet en question la politique éditoriale de la RTBF. Au contraire, on va devoir faire avec. Je ne sais pas si c’est du journalisme car il faut savoir respecter un ‘non’. Tout le monde a le droit de refuser une interview, ou d’apparaître dans un sujet. C’est la première fois que nous sommes confrontés à ça, ici en Belgique. Une réflexion doit être menée au sein de l’Association des journalistes professionnels, et - pourquoi pas ? - entre les communicants et les journalistes. On ne peut pas tout cautionner."
Une demande qui a toutefois peu de chance d’être entendue dans la mesure où la Fédération européenne des journalistes (FEJ) vient de dénoncer les "tentatives d’intimidation répétées" du cabinet du Premier ministre belge, Charles Michel, à l’encontre de Tristan Godaert auprès du Conseil de l’Europe.