Voici pourquoi il y a plus de Belgo-Marocains que de Turcs en Syrie
Les djihadistes belges sont surtout issus de la communauté marocaine. Trois raisons.
- Publié le 21-01-2016 à 20h10
- Mis à jour le 22-01-2016 à 13h34
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"C’est une vraie question", reconnaît Rachid Madrane (PS), ministre à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pourquoi les djihadistes belges sont-ils en grande majorité issus de la communauté marocaine, et pas de la communauté turque ? La réponse est étonnante… mais avant tout les chiffres.
Sur les quelque 500 Belges partis rejoindre les groupes islamistes en Syrie et en Irak, des centaines sont issus de la communauté belgo-marocaine. Sharia4Belgium à Anvers, Khalid Zerkani à Molenbeek ou, tout simplement, le "cheikh Google" comme on l’appelle dans les rues de Bruxelles, ont fait des ravages. Rien de cela dans la communauté belgo-turque : selon l’ambassade de Turquie à Bruxelles, les djihadistes "se comptent sur les doigts de la main".
La différence est impressionnante car dans le même temps, la Turquie (environ un millier, pour une population de 75 millions d’habitants) et le Maroc (près de 1 500, pour 33 millions d’habitants) "exportent" un nombre équivalent de djihadistes vers la zone de Daech. Il y a donc un phénomène lié à la Belgique.
Un, l’intégration est différente
Selon nos interlocuteurs, choisis au sein des deux communautés, c’est la différence d’intégration qui a joué en premier lieu. "La communauté turque provient de la même région d’Emirdag et d’Anatolie. Les familles se connaissent bien, explique Khalil Zeguendi, électron libre de la scène politique bruxelloise. Ils sont bien concentrés sur Schaerbeek et Saint-Josse. Le contrôle social est plus fort. La communauté marocaine est plus éparpillée."
Le paradoxe est que les Turcs sont moins intégrés à la société belge, parlent peu le français, contractent rarement un mariage mixte et accèdent moins aux études supérieures que les Marocains. "Tous les indicateurs de non-intégration sont plus élevés chez les Turcs, note Altaj Manço, spécialiste des migrations. Par exemple, chez les Marocains, il y a entre 60 et 70 % de mariages mixtes contre 30 % chez les Turcs."
Les Turcs ont opté pour une intégration à l’américaine en Belgique, tandis que les Marocains, plus francophones, se sont plus facilement assimilés à la société belge, une partie accédant à des postes de responsabilité dans la politique, les médias, les sports, le droit ou la médecine.
La crise des années 70, puis la globalisation de l’économie (qui a eu pour effet de délocaliser les emplois faiblement qualifiés) ont cependant créé de l’amertume chez les laissés pour compte du marché de l’emploi. Et les deux communautés ont réagi différemment : les Turcs ont mobilisé leurs structures familiales pour créer une économie de services, type kebab, tandis que les Marocains ont poursuivi leur stratégie d’intégration individuelle.
Deux, l’encadrement religieux
La deuxième raison serait l’encadrement religieux. "L’Etat turc a totalement encadré les mosquées, souligne Khalil Zeguendi. Les imams sont payés par la Turquie. Les parents sont pris en charge par la Diyanet et les associations religieuses." Tandis que dans la communauté marocaine, "les imams marocains des mosquées belges prêtent parfois allégeance à différents courants religieux, parfois Frères musulmans, parfois salafistes. L’imam de la mosquée Al-Khalil (à Molenbeek, NdlR) a par exemple introduit en Belgique le tabligh", un mouvement qui prône un islam littéral et rigoriste qui a fortement islamisé la communauté marocaine dans les années 1980-1990.
Dans la foulée, les Turcs apprennent l’islam à travers la langue turque tandis que les Marocains se familiarisent avec lui à travers l’arabe, ce qui les rend plus perméables au salafisme et à l’Arabie saoudite.
Trois, la figure du père
Rachid Madrane avance une troisième raison, inspirée des thèses d’Olivier Roy et de la trajectoire des frères Kouachi et d’autres djihadistes. Les jeunes Marocains partis en Syrie se seraient embarqués dans une "révolte nihiliste" en raison d’une structure familiale défaillante. "Le nationalisme turc est marqué par des figures fortes comme Mustafa Kemal ou l’actuel président Erdogan. La place du père est sacrée, avance-t-il. Dans les familles maghrébines, il y a des familles explosées. Le papa décède ou est absent. La figure du père est remplacée par celle de l’imam. L’islam arabe leur donne une valorisation."
Et puis il y a les recruteurs, redoutables, qui captent dans les villes belges une partie de cette deuxième génération, mi-laissée pour compte, mi-délinquante, pour les amener dans les filets de Daech. Même le Maroc, en voie de modernisation rapide, ne se reconnaît pas dans ces djihadistes nés en Belgique ou en France qui, comme le disait Abdel Hamid Abaaoud, tractaient avant "des jet-skis, des quads, des grosses remorques remplies de cadeaux, de bagages pour aller en vacances au Maroc".