Victor le pastafarien voulait se coiffer d’une passoire sur sa carte d’identité
Victor Bonjean est-il victime de discrimination en raison de sa religion ? Ce Wallon s’en dit en tout cas persuadé et l’a fait savoir à "La Libre". Dossier.
Publié le 11-03-2016 à 06h43 - Mis à jour le 11-03-2016 à 13h01
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Le SPF Intérieur a refusé une photo d’identité à un citoyen, qui juge sa religion discriminée. Victor Bonjean est-il victime de discrimination en raison de sa religion ? Ce Wallon s’en dit en tout cas persuadé et l’a fait savoir à "La Libre". "Je me suis rendu à la maison communale de Durbuy, le 6 janvier, pour m’y faire délivrer une nouvelle carte d’identité, nous raconte-t-il . Ministre du culte pastafarien dévot , j’ai coiffé une passoire pour réaliser la photo, en prenant bien soin de laisser le front et la naissance des cheveux entièrement dégagés, comme demandé. Je suis donc parfaitement reconnaissable, et la convocation est claire, un couvre-chef est admis pour motif religieux."
Pour la "coutume" de "cette belle religion"
Plusieurs pays comme la Russie ou le Royaume-Uni ont accepté ces demandes des pastafariens. Pas la commune de Durbuy. Eric Philippon, habitant de Faimes, qui se réclame lui aussi du pastafarianisme, s’inquiète de cette décision, et pour la "démocratie en Belgique". Lui aussi a l’intention, pour sa carte d’identité, de poser avec "son couvre-chef religieux". La "coutume" de cette "belle religion" oblige en effet les fidèles à porter un chapeau de pirate ou une passoire sur la tête lorsqu’une photo officielle est prise. Prônée depuis 2005 par le "prophète" Bobby Henderson (voir ci-dessous), la religion de l’Eglise du monstre en spaghetti volant professe que celui-ci a créé l’Univers, après avoir bu de la bière sortant d’un volcan. Le plat sacré est fait de pâtes (d’où la passoire), accompagnée de bière. Une religion parodique ? Les pastafariens le réfutent (du moins officiellement) et clament que le pastafarisme est aussi légitime que les autres religions.
Une religion bizarre ne justifie pas un refus
Ce n’est pas l’avis de la commune de Durbuy. Dans ses réponses à Victor Bonjean, sur l’avis du SPF Intérieur, elle justifie : "La religion existe bien, mais n’étant pas reconnue en Belgique, nous ne pouvons accepter cette photo avec une passoire ou autre chapeau comme couvre-chef." Le Centre de l’égalité des chances (Unia) nous le confirme : il ne peut en effet pas y avoir discrimination "car la religion n’est pas reconnue". En Belgique, les critères de reconnaissance sont très stricts : plusieurs dizaines de milliers d’adhérents, des années d’implantation… Mais l’argument de la non-reconnaissance n’est pas convaincant, estime le Pr Louis-Léon Christians, titulaire de la chaire "droit et religion" à l’UCL. Le droit belge ne lie pas la gestion des photos d’identité au régime des cultes reconnus, mais à celui des libertés individuelles. "Et la non-reconnaissance de ce culte ne justifie pas en soi qu’un refus soit opposé. Ce n’est pas parce que ce citoyen se revendique d’une religion a priori bizarre, qu’il peut faire l’objet d’une distinction non justifié (une discrimination). Mais il y a d’autres arguments à prendre en compte." Une circulaire de 1992 précise en effet que le couvre-chef peut être maintenu sur la photo d’identité pour des motifs religieux indéniables, le ministre ajoutant en 2000 que l’exception ne peut être acceptée sans justification sérieuse. Juridiquement, les mots "indéniables" et "sérieux" sont ambigus. Lorsque le pastafarien estime que sa religion est aussi légitime qu’une autre, il a parfaitement raison : au niveau légal, en droit européen, la définition d’une religion est particulièrement vague. Elle évoque juste un "certain degré de force, de cohérence, d’importance et de sérieux", ce dans le but de prendre en compte un maximum de réalités humaines. Les religions de Raël, des druides et des sorcières sont d’ailleurs reconnues au niveau européen. Et en droit belge, la définition n’existe tout simplement pas.
"Votre apparence habituelle"
Cela dit, il reste une subtilité dans la circulaire belge : elle évoque "l’apparence habituelle". En bref, si vous portez une barbe ou un voile tous les jours dans l’espace public, mieux vaut qu’il soit sur la photo afin que l’on puisse vous reconnaître… Et là, Victor a commis un faux pas qui risque de nuire à sa cause : dans un courrier envoyé après le premier refus au ministre de l’Intérieur, il précise : "Nous ne sommes pas obligés de porter le couvre-chef religieux dans l’espace public pour ne pas froisser les non-fidèles."
Le SPF Intérieur ne s’exprime pas sur des cas précis, mais c’est bien cette règle de l’apparence habituelle qu’il cite lorsqu’on lui demande de justifier son refus. On peut aussi percevoir que ce sujet lié aux droits religieux est sensible. La crainte ? Que toute interprétation trop souple ouvre la porte aux abus. Il vaut donc mieux cadenasser les exceptions et éviter de voir à nouveau les limites testées, comme le font les pastafariens… L’argument belge de l’habitude se retrouve en Russie : les autorités, après y avoir autorisé un pastafarien à porter une passoire sur son permis, ont prévenu : si elles le prennent à conduire sans passoire, le permis lui sera retiré…
Les quatre dogmes du pastafarisme
Le pastafarisme s’est fait connaître vers 2005, aux Etats-Unis, lorsque le créationnisme a fait son apparition dans les programmes scolaires de certains Etats. Le créationnisme est une doctrine religieuse selon laquelle un ou des êtres divins ont créé la vie, et qui s’oppose en général à la théorie de l’évolution. Le "prophète" Bobby Henderson, un diplômé en physique de l’Oregon, a alors cherché à ce que la création de l’Univers vue par son Eglise, "l’Eglise du monstre en spaghetti volant" figure "au même titre" dans l’enseignement. La religion a essaimé à travers le monde et est même reconnue en Nouvelle-Zélande. Combien sont-ils ? Difficile à savoir. "Des millions. Voire des milliers", assure le prophète Bobby Henderson, qui explique que la religion "était restée secrète jusqu’ici".
- Dieu. Le Dieu des pastafariens est le monstre en spaghetti volant. Celui-ci est décrit par ses fidèles comme "un tas de membres en spaghettis avec deux boulettes de viande et une paire d’yeux".
- La Création. Au départ, seul existait le monstre en spaghetti volant, accompagné de trois arbres et un volcan. Ce volcan laissait échapper de la bière. Le Monstre en a bu. Lui est alors venue l’idée de créer l’Univers.
- Le plat sacré. Les pâtes sont le principal repas saint. Qui peut être aussi accompagné de bière, appréciée, comme on l’a vu plus haut, du monstre en spaghetti volant.
- Le Paradis. Il existe au paradis un volcan à bière, tandis que celle qu’on trouve en enfer est éventée.
"En tant que catholique, ça ne me fait pas vraiment rire"
Même si les fidèles le réfutent officiellement, pour les observateurs, le pastafarisme a pour but de dénoncer les dogmes religieux et le créationnisme. Cette démarche passe parfois mal auprès des chrétiens. Aux Etats-Unis, le "prophète" Bobby Henderson a reçu des messages de mort de la part de chrétiens fondamentalistes, ou de "simples" souhaits qu’il "brûle en enfer". Chez nous, le pastafarisme fait tout de même un peu grimacer : "Ça ne me fait pas vraiment rire, mais ça ne m’empêche pas de dormir, réagit le prêtre Eric de Beukelaer, chroniqueur à "La Libre". J’ai déjà vu brocarder la religion plus finement. Ici, c’est comme si des amis, pour montrer qu’ils ne sont pas d’accord avec le fait que vous vous mariez, organisent leur propre mariage factice… Vous vous demandez ce que ça cache…"
Le Père François Bousquet, membre du conseil pontifical pour la culture, comprend que certains chrétiens puissent prendre l’attitude des pastafariens pour de l’irrespect,"du moins si l’on confond ironie et dérision". Mais lui rigole franchement des préceptes du pastafarisme. "Pour moi, c’est de l’ironie." De toute façon, "un plat de pâtes qualifié de ‘repas sacré’ ne peut pas décrédibiliser l’Eucharistie, qui elle a une grande richesse de significations. Pour un croyant, une telle parodie ne remet pas en cause ses croyances. Et dire que ça dénonce l’absurdité des religions, cela n’engage que celui qui fait ce jugement, cela révèle surtout les fantasmes qu’il projette sur la religion !"
"Le Canada dry de la religion"
Aux yeux de ce théologien, le pastafarisme n’est pas du tout une religion. Même si selon la définition sociologique (un groupe doté d’une doctrine, d’un livre, d’une tradition et d’une institution), il en a toutes les caractéristiques. "Ils ont bien construit les choses, s’amuse-t-il. C ’est le Canada dry de la religion !" Le Père Bousquet définit quant à lui une religion par "un corps de croyants avec une tradition spirituelle permettant d’espérer, et d’espérer pour tous." "Et ici, qu’est-ce que cela nous permet d’espérer ? La seule chose positive que je vois dans le pastafarisme, c’est qu’il montre le ridicule de trop mettre son identité dans les signes extérieurs de la religion."
Autres cas dans le monde
Royaume-Uni: ce Britannique a pu poser sur un document officiel avec son chapeau de pirate (l’autre couvre-chef religieux).

Russie: La Russie a autorisé le pastafarien Andrei Filin à poser avec une passoire - en tricot jaune ! - sur la photo de son permis de conduire.

Autriche: Niko Alm a pu poser en 2011 avec sa passoire sur son permis de conduire.
