Forest ou les deux visages de Bruxelles
Un haut réputé riche, un bas concentrant les difficultés sociales. Une dualité qui structure la politique locale.
- Publié le 17-03-2016 à 07h02
- Mis à jour le 17-03-2016 à 09h42
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Le clocher de l’église Saint-Augustin, accident architectural Art Déco, domine Bruxelles depuis les années 30. D’un jaune délavé, l’édifice est planté place de l’Altitude Cent, dans l’un de ces quartiers résidentiels où se mêlent villas, maisons cossues et larges immeubles à appartements érigés pour les classes moyennes dans les années 60 et 70. Ces buildings donnent vue, pour les uns, sur la carrière de sable qui éventrait jadis ce flanc de colline où fut construit Forest National, pour les autres, sur la hêtraie du parc Duden, héritage des œuvres de Léopold II. Nous sommes à Forest. Plus exactement, dans le "haut" de Forest qui borde la frontière avec Uccle et dont le parc immobilier s’arrache à prix d’or depuis plusieurs années.
En descendant de ces hauteurs verdurées et bourgeoises, le visiteur atteint vite les quartiers populaires d’un ancien bassin industriel. Le "bas" de Forest, lui, longe les voies de chemin de fer reliant la gare du Midi, toute proche. Nombreux, les terrains en friche y témoignent de la difficulté éprouvée par ce coin de ville à se relever du départ massif de ses industries. Un déclin qui prit fin dans les années 80 et laissa place à une population fragilisée. Tel un phare bétonné, le Wiels, rénové en centre d’art contemporain, côtoie un bâtiment à l’abandon, issu lui aussi des brasseries Wielemans-Ceuppens qui firent la fierté de la commune jusque dans les années 70. De ces fabriques, il ne reste finalement que l’immense usine de montage Audi qui s’étend jusqu’au Ring de Bruxelles.
Saint-Denis n’est pas un ghetto
C’est dans les maisons d’ouvriers ou de cadres inférieurs des usines disparues qu’est venue s’installer une population majoritairement d’origine étrangère. Le quartier Saint-Denis, où se sont déroulées les perquisitions violentes de mardi, se situe dans le prolongement de cette zone et jouxte le centre administratif de la commune. La place Saint-Denis, où donne la rue du Dries, et alentours concentrent une population aux origines et profils socio-économiques divers sans pour autant s’apparenter à l’image du ghetto de pauvreté et d’immigration dont souffrent d’autres parties de Bruxelles. Même si le quartier assiste à un timide retour des classes moyennes, le taux de chômage oscille là tout de même entre 21 et 28 %. Cela fait des années qu’est attendu ce coup de fouet qui lui rendra son attractivité. Il viendra peut-être des lourds investissements publics prévus dans les cinq ans. Notamment pour la rénovation et la réaffectation de l’abbaye de Forest, un bijou datant du XVIIIe siècle.
Un autre quartier de Forest concentre des difficultés plus importantes : Saint-Antoine isolé à la frontière saint-gilloise. C’est là qu’eurent lieu, en 1991, de violentes émeutes opposant la jeunesse d’alors aux forces de l’ordre. La boîte de nuit au départ de ces troubles est aujourd’hui occupée par une association musulmane. "Un lieu de prière non reconnu" qui inquiète certains, car il serait proche des Frères musulmans et financé par le Qatar, qui vient d’acheter un bâtiment dans le quartier Saint-Denis afin d’y implanter une école secondaire confessionnelle.
Querelles politiques
La dualité haut/bas de Forest continue de structurer la politique locale. Et assure une césure électorale assez nette. A la droite libérale, le haut de la commune et son électorat réputé aisé, aux socialistes, le bas et ses électeurs issus en grande majorité de l’immigration marocaine. Longtemps, les deux forces politiques ont fait alliance. Mais leur équilibre fut brisé net par de violentes disputes au tournant des années 2000. Deux défections spectaculaires dans les rangs socialistes avaient alors permis à la très libérale Corinne De Permentier de ravir le mayorat à la socialiste Magda De Galan. Un PS ivre de colère allait valser dans l’opposition. Avant de retrouver le pouvoir en 2012, à la faveur d’une alliance avec Ecolo.
Depuis 2012, la commune est dirigée par une majorité PS, Ecolo, Défi, emmenée par le socialiste Marc-Jean Ghyssels. Elle mise sur l’urbanisation d’un foncier privé important et le retour d’une classe moyenne contributive, source de revenus fiscaux dont la commune, en grande difficulté financière, manque cruellement.