Patrick Dewael, président de la commission d’enquête sur les attentats: l’apothéose risquée d’un vétéran (PORTRAIT)
Le libéral préside la commission d’enquête sur les attentats. Vu le caractère explosif de l’exercice, son expérience sera un atout. Portrait.
Publié le 22-04-2016 à 12h39 - Mis à jour le 22-04-2016 à 12h42
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/OAEXPV2LGJCZHPXD6GSBPABLW4.jpg)
On le croyait au crépuscule de sa carrière, proche de la sortie. A 60 ans, le vétéran Patrick Dewael semblait avoir livré toutes les batailles. A partir de ce vendredi, le Limbourgeois va pourtant endosser un rôle qui pourrait concentrer sur sa personne un torrent inédit d’éloges, d’espoirs et d’insultes.
A l’unanimité, les dix-sept membres de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 22 mars l’ont élu président. Comment remplira-t-il sa mission ? Sera-t-il le porte-voix d’une hystérie collective ? Ou le visage apaisant d’une thérapie nationale ? Les paris sont ouverts, la destinée de Patrick Dewael l’est aussi, tant le chemin qui s’ouvre à lui semble périlleux.
La commission pourrait révéler les fractures béantes de tout un pays, se transformer en théâtre de toutes les divisions. Dans tous les esprits, une référence s’impose : la commission Dutroux, installée en 1996 pour faire la lumière sur les disparitions d’enfants. La Belgique avait tangué comme rarement. Perçu comme le sauveur de la patrie, le président de la commission d’enquête, Marc Verwilghen (Open VLD), avait recueilli 420 000 voix aux élections d’après. L’exploit lui avait valu de devenir ministre de la Justice, au détriment d’un autre libéral flamand, un certain Patrick Dewael, qui convoitait le poste.
Membre de la commission Dutroux
Dewael était lui aussi membre de la commission Dutroux. Il n’a cessé de s’y référer lors de son passage sur Bel RTL, le 19 avril. Ce n’est pas un hasard si, ce vendredi, les commissaires entameront leurs travaux par une visite sur les lieux des attentats, la station Maelbeek et l’aéroport de Zaventem. "On avait fait pareil avec la commission Dutroux, a expliqué Dewael. Tous les membres avaient visité la maison où avaient été séquestrées les petites filles, à Marcinelle. C’était un choc, mais c’était nécessaire pour que tout le monde se rende bien compte de ce qui s’était passé là-bas." La comparaison a ses limites : la commission Dutroux n’avait guère soulevé de passion au-delà de la Belgique; la commission attentats se jouera sous l’œil scrutateur du monde entier.
Un grand-père mort en déportation
Le mur de Berlin tenait encore lorsque Patrick Dewael, âgé de trente ans à peine, est devenu ministre flamand de la Culture, en 1985. Le pedigree familial n’était pas étranger à tant de précocité. Son grand-père, Arthur Vanderpoorten, ministre de l’Intérieur en 1940, est mort en déportation au camp de Bergen-Belsen. Son oncle, Herman Vanderpoorten, a lui aussi été ministre de l’Intérieur, puis de la Justice.
Patrick Dewael a par la suite su se singulariser. Ministre-Président flamand de 1999 à 2003, ministre de l’Intérieur de 2003 à 2008, président de la Chambre de 2008 à 2010, cet ancien avocat a compté parmi les poids lourds de son parti. Avec Guy Verhofstadt, Karel De Gucht et Bart Somers, il a formé un groupe puissant, parfois inventif, mais déchiré par les haines intestines, au point de saper tout esprit d’équipe. Au sujet des ténors de l’Open VLD, l’ex-ministre Fientje Moerman dira d’ailleurs : "Ce sont de purs machos, à un point qu’on n’imagine même pas."
La carrière de Dewael, du reste, n’est pas exempte d’ornières. Par deux fois, il frôle la démission. En 2006, d’abord, lorsqu’une activiste turque d’extrême gauche, Fehriye Erdal, échappe à la Sûreté de l’Etat. En 2008, ensuite, après des nominations douteuses au sommet de la police fédérale.
Au sein du sérail politique, où le débat d’idées se réduit parfois à peau de chagrin, Patrick Dewael ne craint pas de dévoiler ses convictions. Il milite pour l’inscription de la laïcité dans la Constitution et pour l’interdiction du voile islamique dans l’administration. Il est l’auteur de plusieurs livres. En 2001, dans "Respect mutuel", il attaquait frontalement le Vlaams Blok, à un moment où le reste de la classe politique néerlandophone était tétanisée par la montée de l’extrême droite. Un an plus tard, le même publiait "Le Manifeste flamand", dans lequel il plaidait pour davantage d’autonomie régionale. Le ministre jugeait alors inéluctables la scission des chemins de fer et de l’aéroport de Zaventem. Par l’un de ces tragiques retours de l’histoire, cette question (quelle architecture de la Belgique, pour quelle efficacité ?) devrait s’inviter à l’agenda de la commission que préside Dewael.