Prisons: "Les agents pénitentiaires sont moins que des cafards"
Chef de quartier à Forest, Geoffrey L. ne cache pas sa rancœur. "La prison, c’est clairement du temps perdu", dit-il. Témoignage.
Publié le 01-06-2016 à 13h03 - Mis à jour le 01-06-2016 à 13h22
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"Dans la hiérarchie, on est en dessous des cafards." Agent pénitentiaire à la prison de Forest depuis juin 2007, Geoffrey L., 36 ans, sait de quelle vermine il parle. Dans la vieille prison bruxelloise qui tombe en ruine, les cancrelats règnent en maîtres, se partageant les couloirs et les cellules avec les rats et les souris. "On ne bénéficie d’aucune considération. Il a fallu fermer l’aile D, insalubre et inutilisable, mais les autres ne valent pas mieux. Et nous, on est enfermés avec les détenus."
Une tension nerveuse extrême
Il ne cache pas sa rancœur, ni son dépit. En neuf ans de métier, il a vu l’infrastructure, "déjà ridicule en 2007" , se délabrer au fil des ans. "Actuellement, on se dit que l’effondrement est proche." Des agents ironisent : si on transfère trop de détenus, pour cause de dégradation, il n’en restera plus assez pour tenir les murs debout.
Geoffrey est chef de quartier depuis novembre 2014. "Suivant mon affectation du jour, j’ai sous ma responsabilité entre 100 et 200 détenus et entre 6 et 8 agents. Ça, c’est la théorie. Dans les faits, j’en ai 4 ou 5 parce que les effectifs ne correspondent pas au cadre prévu." Et parce qu’il y a beaucoup de malades…
C’est compréhensible, dit l’agent, les conditions de travail sont déplorables : à la poussière, aux odeurs, à la crasse, à la gale et à la tuberculose vient s’ajouter la tension nerveuse, extrême. "Si vous voyiez tout ce qu’on voit… Ce n’est pas le genre de choses qu’on a envie de ramener à la maison. Entre les tentatives de suicides, les suicides réussis et les overdoses, il y a les automutilations et les agressions… Il faut pouvoir résister à tout ça…"
Pas de psy pour le personnel
C’est un milieu tellement à part qu’on ne tient que grâce à l’entraide et au soutien des collègues, explique Geoffrey. "Je me souviens d’une pendaison. Un détenu qui n’avait pas de famille, pas de visite. On l’a découvert et on lui a donné les premiers secours pendant 20 minutes. Quoi qu’on dise, c’est quand même un choc. Personne n’est venu nous demander comment ça allait. En prison, il n’y a pas de psychologue pour le personnel."
Il faut compter en moyenne 10 % d’absences pour maladie, poursuit le chef de quartier. "Comme ça, en temps normal, on arrive à fonctionner. Mais si vous ajoutez la rationalisation du ministre Geens, c’est impossible."
Zéro sur cinq
A la prison de Forest, les derniers recrutements d’agents pénitentiaires de surveillance datent d’avril 2014. Sous les législatures précédentes, le taux de remplacement des départs (pension, changement de carrière…) n’était déjà que de un sur cinq. "Aujourd’hui, c’est 0 sur 5. On n’a déjà pas le personnel qu’il faut et on veut encore nous en retirer ! Comment voulez-vous que cela fonctionne ?"
La nouvelle méthode de travail proposée par le ministre impose une flexibilité pour le personnel (jusqu’à 9 types d’horaires !). "Avec ça, la vie de famille, c’est fini. On revient 100 ans en arrière !" La rationalisation modifie aussi le régime de détention, rendant plus difficiles encore les rares activités derrière les barreaux de Forest. "Comment voulez-vous qu’on respecte le régime de détention tout en assurant la sécurité des détenus, du personnel et de la société ? On fait ce qu’on peut ! Mais il n’y a pas de moyens, pas de locaux, pas de matériel."
Alors, "la prison, c’est clairement du temps perdu", assène-t-il. D’autant qu’il y a un gros problème d’éducation chez les détenus : la plupart ne connaissent pas les règles de base de la vie en société : la politesse, le respect, se lever le matin, dire merci… "Ils passent trois ans, dix ans ou plus à dormir ou regarder la télévision. Et on veut qu’ils ressortent meilleurs ?"
Il n’y a pas davantage de suivi sur le long terme. "Il y a cinq assistants sociaux à Forest où il y a eu jusqu’à 600 détenus. Ça fait 120 détenus à gérer pour une seule personne ! C’est juste impossible."
Les gardiens ne peuvent plus faire leur travail, dénonce-t-il. "Mon objectif, par rapport aux détenus, c’est de ne plus les revoir. Mais on n’a plus le temps de parler. Avant, on arrivait à éviter qu’une situation s’envenime, on arrivait à résoudre des problèmes avant un passage à l’acte. On n’a plus cette possibilité."
"Je n’ai pas touché un euro…"
Un coût. "Je ne suis pas un ouvre-porte. Je refuse de laisser se dégrader le métier." Geoffrey ira jusqu’au bout de la grève. "Aussi loin que possible en tout cas , corrige-t-il .J’ai des économies : je puise dedans." Personnellement, ça lui en coûte. "J’en suis à mon 36e jour de grève", explique-t-il. A la fin du mois, le SPF Finances comptabilise les jours de grève et les déduit du salaire. "Je ne toucherai donc rien."
Indemnité. Les grévistes peuvent recevoir une indemnité de grève des syndicats. "Le taux est de 30 euros par jour. Ça ne compense pas et de toute façon, on ne reçoit rien avant que le mouvement soit terminé. Je ne sais pas si on les verra un jour…" Lui ne réclamera rien à son ex-syndicat, le SLFP, qui a approuvé lundi le protocole d’accord du ministre Geens. "Je me suis désaffilié."