"Les juges n’ont plus le choix"

Plus de quatre-vingt magistrats bruxellois expliquent pourquoi ils manifesteront mardi.

Jean-Claude Matgen
20160219 - BELGIQUE, BRUXELLES: Illustration Palais de justice de Bruxelles. Le 19 fevrier 2016. PHOTO OLIVIER PAPEGNIES / COLLECTIF HUMA
20160219 - BELGIQUE, BRUXELLES: Illustration Palais de justice de Bruxelles. Le 19 fevrier 2016. PHOTO OLIVIER PAPEGNIES / COLLECTIF HUMA ©OLIVIER PAPEGNIES / COLLECTIF HU

Dans une carte blanche, plus de 80 magistrats membres du tribunal de première instance de Bruxelles et de la cour d’appel, comme son président Luc Maes mais aussi de la Cour de cassation, ou encore comme le conseiller Benoît Dejemeppe, expliquent pourquoi les juges belges manifesteront mardi.

"Protester n’est pas dans l’ADN des juges",avancent-ils d’emblée. "Comment comprendre autrement le fait que la dernière grève des magistrats belges remonte à 1918, lorsque l’autorité allemande avait fait déporter les présidents de la cour d’appel de Bruxelles et interdit à ses conseillers d’exercer leurs fonctions ?"

Plus le choix

Pourtant, cette fois, les juges n’ont plus le choix, écrivent les signataires du texte."L’insuffisance de greffiers et de moyens, l’absence d’informatisation, les salles d’audience inondées n’avaient pas suffi à faire déborder le vase mais les mesures envisagées par le gouvernement menacent dorénavant le principe de séparation des pouvoirs, sans lequel un Etat de droit ne peut exister. Toutes les dictatures sont, en effet, fondées sur la mise en place d’un pouvoir unique, capable de modifier les règles selon ses propres besoins" écrivent-ils.

Si les juges estiment qu’une séparation totale des pouvoirs n’est pas souhaitable et que des mécanismes de contrôle mutuel sont indispensables, ils n’en considèrent pas moins que le contrôle exercé par le pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire ne fait pas partie des limitations acceptables dans un Etat de droit et heurte le principe fondamental de l’indépendance du pouvoir judiciaire, protégé par la Constitution.

Comme déjà indiqué dans ces colonnes, les magistrats exigent que les cadres légaux soient remplis, c’est-à-dire que le ministre publie l’ensemble des places vacantes. "Il s’agit, tout simplement, de faire respecter la volonté du législateur", disent-ils avant de se demander ce qui empêchera le pouvoir exécutif "d’entraver, demain, le fonctionnement de la justice en baissant cette limite à 70, voire à 50 % des effectifs prévus".

"L’affirmation du ministre selon laquelle il compte, plutôt que de suivre la volonté du législateur, changer le mécanisme des cadres, n’est pas de nature à rassurer", ajoutent-ils.

Ils ne contestent pas la nécessité de faire gérer, de façon autonome par le pouvoir judiciaire, son propre budget. Mais, disent-ils, les instances juridictionnelles souhaitent que la dotation soit fixée par le Parlement et contrôlée par la Cour des comptes et non, unilatéralement, par le ministre du Budget.

La balle dans le camp du fédéral

Les magistrats contestent, enfin, "l’hypocrisie" de la réforme projetée en ce qui concerne leur système de pensions. Il deviendrait, selon eux, en pratique, impossible d’obtenir une pension complète. Les magistrats qui décideraient de n’entamer leur carrière qu’après avoir eu une autre expérience professionnelle "ne pourront compter que sur une pension proche de la moitié de ce qu’ils peuvent espérer actuellement",observent-ils.

La demande peut paraître corporatiste mais"l’intérêt général est également en jeu", disent les signataires. "Il risque d’être difficile, à l’avenir, d’assurer que la profession attire des candidats de qualité et de garantir que les juges soient en mesure de résister aux pressions extérieures".

Et de conclure : "la Belgique est-elle un "Etat voyou" ? Seul le gouvernement fédéral est, aujourd’hui, en mesure de démontrer que ce n’est pas le cas".

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