Témoignages: "La crise que traverse la justice me motive"
Ce sont les "juristes", une caste à part, presque, qui parcourent les travées de l’université en portant sous les bras des syllabus aux innombrables notes de bas de page.
Publié le 07-06-2016 à 12h03 - Mis à jour le 07-06-2016 à 12h05
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Ce sont les "juristes", une caste à part, presque, qui parcourent les travées de l’université en portant sous les bras des syllabus aux innombrables notes de bas de page.
Les étudiants en droit, reconnaissables entre mille pour certains, n’en demeurent pas moins animés de motivations très variées. Il y a de tout dans un auditoire de droit : ceux qui sont habités par un idéal de justice et pour qui le droit est une finalité, ceux qui souhaitent l’apprendre pour servir leur esprit d’entreprendre, ou ceux qui s’y sont retrouvés parce que "le droit mène à tout, et que cela rassurait papa". Mais à l’heure où la justice se pare d’échafaudages pour cacher ses fissures, le droit a-t-il encore la cote ?
Très honnêtement, il semble que oui. A Saint-Louis ou à l’UCL, les quelques étudiants que nous arrachons à leur premier "blocus" ne se posent pas encore la question des débouchés. Et les aléas de la vie d’avocat ou de magistrat, ils les regardent de loin. "Je ne connais évidemment pas tous les étudiants, mais la population qui suit mes cours n’a pas énormément changé au fil des années, confirme Anne Rasson-Roland, professeur de l’UCL. Au début de leurs études, ils ne se montrent en effet pas très conscients de ce que pourra être la suite."
Désillusion et manque de confiance
C’est au fil des ans cependant que les questions s’amoncellent. "Mes études de droit m’ont passionné, raconte Philippe qui vient de clôturer son mémoire pour le compte de l’UCL. Je les avais entreprises un peu par hasard, mais elles m’ont permis de comprendre le monde et d’avoir une vue d’ensemble sur la société."
Comprendre le monde et comprendre la justice ? Philippe le reconnaît, ce ne fut pas toujours à l’avantage de cette dernière. "Honnêtement, je dois avouer qu’au fil des ans, et parfois des exposés très critiques de nos professeurs, la justice n’a pas monté dans mon estime, j’ai même un peu perdu confiance en elle."
"Ma désillusion est grande, regrette de son côté Olivia (prénom d’emprunt) qui poursuit des cours de droit en orientation civile et pénale à l’ULB. J’ai choisi mes études par idéal, je voulais rendre la justice, mais quand je vois comment cela se passe, quand je vois le manque de financement, je suis totalement découragée. Je vais quand même tenter le barreau mais je garde un œil sur d’autres possibilités, car la vie d’un avocat, ce n’est pas la gloire à laquelle on aspirait."
L’idéal et la réalité
Valentine, qui a suivi le même parcours à l’UCL, ne dit pas autre chose. Comme pour d’autres, le barreau lui fait peur. "Il y a beaucoup de pression, beaucoup de concurrence, ne fût-ce que pour trouver un stage. Et puis les horaires sont lourds, peu payés."
Un peu plus âgée, Marie (prénom d’emprunt) raconte qu’elle a préféré s’engager dans le privé en tant que spécialiste du droit commercial. "La justice ne me donnait plus envie. Tout y devient procédurier, long et pesant. Et en matière de droit commercial par exemple, la justice est totalement dépassée. Elle est ringarde et ne comprend plus les évolutions. Elle n’a même plus les clés et les connaissances économiques désormais nécessaires pour dénouer un contentieux. La justice n’est plus un environnement positif qui donne envie de s’y investir. Le privé m’offrait plus de perspectives."
Le fossé qui existe entre l’idéal de certains futurs juristes, et la technicité des études ou l’image que véhicule la justice, Anne Rasson-Roland le rencontre régulièrement. "Cela en décourage beaucoup, et c’est pour cela que j’essaye de faire en sorte que les étudiants sortent des auditoires pour qu’ils rencontrent des acteurs de terrain, des associations ou de belles initiatives. C’est alors qu’ils remarquent que le jeu en vaut la chandelle, et qu’ils pourront vraiment incarner un idéal."
Pauline et Rebecca, orientées elles aussi vers le droit pénal, ne peuvent qu’acquiescer. Mais les études comme l’image de la justice n’auront pas eu raison de leur idéal. Toutes les deux souhaitent encore s’inscrire au barreau pour le "côté social" de la mission. "Ce n’est pas la conjoncture difficile qui va nous décourager, insiste Pauline. Au contraire même, il y a plein de défis, c’est motivant. On a envie de dire que l’on arrive, que la jeune génération se forme et qu’elle va contribuer à redresser tout cela."