Fernande Motte de Raedt, soixante ans aux côtés du crime et de la justice
Me Fernande Motte de Raedt quitte sa robe d’avocat à 86 ans et en pleine forme. Celle qui défendit Trabelsi, Haemers, Moqadem et bien d’autres livre ses souvenirs. Evocation.
- Publié le 07-07-2016 à 06h25
- Mis à jour le 07-07-2016 à 06h28
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Elle nous reçoit dans son élégant cabinet ucclois. Silhouette fine, débit clair, discours ferme. Me Fernande Motte de Raedt est une octogénaire qui a gardé des élans de jeune fille.
Elle le doit, en bonne partie, à sa passion pour le droit pénal ou plutôt pour les femmes et les hommes que sa profession lui a permis de côtoyer pendant… soixante ans.
Le ski, c’est fini
Pour nous, elle rassemble quelques-uns de ses innombrables souvenirs, s’appuyant parfois sur sa fille Anne-Françoise, avocate elle aussi, qui boit littéralement les paroles de sa mère.
Une mère qui se demande ce qu’elle va bien pouvoir faire d’une retraite qu’elle prend quand d’autres préparent leur testament. Elle a plaidé pour la dernière fois il y a une semaine et déjà, on sent poindre la nostalgie des salles d’audience. "Je m’occuperai de ma maison du Bercuit, de mon châlet à Crans-Montana mais je ne pourrai plus skier. Il y a quelques mois, je suis tombée sur une souche. Commotion, nez cassé, je l’ai échappé belle. Ce n’est plus pour moi."
Le golf peut-être ? Quelques escapades dans des Relais et Châteaux ? "J’en ai fait quelques-unes, ce furent mes seules vacances", commente-t-elle. "Vous comprenez, je ne pouvais m’éloigner longtemps de mes clients."
Une fameuse brochette de clients
Des clients, elle en a eu de très célèbres comme Patrick Haemers, Nizar Trabselsi, Bouchaib Moqadem, le mari de Geneviève Lhermitte (voir ci-contre), Malika El Aroud, surnommée la "fiancée des djihadistes", Ahmed Zaoui, activiste algérien, qu’elle défendit aux côtés de Me Jacques Vergès ("quel seigneur !") ou encore Robert Van Oirbeek, dit "le petit Robert", roi des braquages et des évasions, qui faisait partie de la "race" éteinte des bandits dotés d’un certain panache. "Mais", insiste Me Motte de Raedt, "j’ai porté le même intérêt à tous mes clients, quelle que soit l’importance de leur affaire. Ce qui m’a toujours passionnée, c’était de les aider à comprendre pourquoi ils en étaient arrivés là. Je peux dire que j’aimais mes clients et j’aurais été prête à défendre toutes les causes, sauf une mais je ne vous dirai pas laquelle, vous aurez sans doute deviné vous-même. Attention, je ne m’en suis jamais fait des amis mais j’étais à leurs côtés. Pour faire ce métier, il faut aimer l’être humain, accusé comme victime."
Les premiers pas
Me Motte de Raedt a grandi dans une famille d’ingénieurs. "Mon père souhaitait que je fasse des études supérieures, je penchais pour l’archéologie. Il ne trouvait pas cela sérieux, alors je suis entrée à la faculté de droit de l’UCL, à Leuven. J’ai eu de très grands professeurs comme Jean Dabin ou l’avocat général Pierre Bondue. Certains cours se donnaient encore en latin. Bref, j’ai aimé ça. Mon stage, je l’ai effectué chez un avocat fiscaliste, la rigueur de la matière me plaisait. Et puis j’ai été amenée à défendre, en cour d’assises, un type qui avait tué un chauffeur de taxi pour lui voler sa recette. Je l’ai revu dix ans plus tard, en prison. Il était complètement éteint. C’est là que j’ai compris les dégâts que l’enfermement pouvait opérer."
Me Motte de Raedt a mis le pied à l’étrier. Elle devient rapidement une avocate pénaliste reconnue et redoutée, entre dans le cercle des ténors du barreau, aux côtés des Guy François, Pascal Vanderveeren, Eric Vergauwen et plus tard des Marc Preumont, Jean-Philippe Mayence, Pierre Chomé ou Denis Bosquet, pour qui elle a une tendresse particulière.
"Beaucoup croient que le droit pénal est une matière techniquement facile. Ce n’est pas vrai. Il ne suffit pas d’avoir le verbe haut, il faut connaître les subtilités de la procédure, chercher l’argument de droit qui fasse mouche. Eplucher un dossier exige beaucoup de travail."
Du respect pour la justice belge
Fernande Motte de Raedt est fière d’avoir enseigné la procéduré pénale aux avocats stagiaires ("j’ai suscité quelques vocations") et d’avoir siégé dans des instances qui, comme la Commission de défense sociale ou la Commission de probation, "viennent en aide aux gens".
Fière d’avoir gagné la confiance des magistrats, "car c’est un gage de crédibilité pour nous, avocats". Fière d’avoir appartenu à une génération qui savait se tenir à la barre, "ce qui n’est plus toujours le cas aujourd’hui".
Elle a aussi beaucoup de respect pour la justice. "Nous avons des magistrats qui connaissent le droit, l’appliquent avec intelligence et discernement, sont respectueux des justiciables, qu’ils soient prévenus ou parties civiles. Je dirais que nous sommes meilleurs que les Français, qui sont plus brutaux et ne connaissent pas l’internement, par exemple. C’est pourquoi il faut respecter la justice et lui donner les moyens de fonctionner, ce qui n’est hélas pas le cas pour le moment."
Trois clients célèbres
Patrick Haemers
Le grand blond. Né le 2 novembre 1952 à Schaerbeek, mort le 14 mai 1993, à la prison de Forest, Patrick Haemers fut le chef de "la bande à Haemers", qui se signala par de nombreux braquages.
Maître Fernande Motte de Raedt a défendu Patrick Haemers, chef de bande, auteur de braquages sanglants, d’une évasion spectaculaire de la prison de Saint-Gilles et de l’enlèvement de l’ancien Premier ministre belge, Paul Vanden Boeynants, longuement séquestré dans une villa du Touquet. Le procès de l’ennemi public numéro un n’eut jamais lieu, car il se suicida dans sa cellule, en mai 1993.
Me Motte de Raedt garde le souvenir d’un énorme gâchis. "Comment ce jeune homme né dans une famille aisée et aimante, qui avait de nombreuses qualités et beaucoup de charme, voire de charisme, comme l’ont relevé les experts psychiatres, s’est-il à ce point fourvoyé ? Cela reste pour moi une énigme. Nous avons toujours craint l’issue fatale qui fut la sienne. Lui qui avait besoin d’espace ne supportait pas d’être confiné dans une cellule, totalement à l’isolement. Un lundi, je suis allée lui rendre visite. Le gardien m’a signifié que Patrick Haemers ne voulait pas me rencontrer, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Mardi, même scénario. J’ai demandé à Me Denis Bosquet de se rendre sur place. Il a essuyé le même refus. Nous avons voulu appeler un médecin mais les gardiens nous ont rassurés sur l’état de santé de notre client. Le lendemain, on l’a retrouvé pendu dans sa cellule ( NdlR : à l’aide d’un cordon de transistor attaché à un radiateur )."
"Pour nous, ce fut un choc au point que nous avons cru nécessaire d’organiser une conférence de presse. Je vais peut-être dire quelque chose qui va heurter : dans les affaires pénales, il arrive que l’on s’attache aux gens, même si nous n’oublions jamais les faits."
Nizar Trabelsi
Le footballeur. L’ex-joueur de football professionnel a été condamné, en 2003, à dix ans de prison pour avoir planifié un attentat contre la base américaine de Kleine-Brogel. Il a été extradé aux Etats-Unis.
Nizar Trabelsi, l’ex-footballeur professionnel "qui avait connu l’argent, les femmes et la drogue avant de se convertir à l’islam", a beaucoup impressionné Me Motte de Raedt. "Quand il arrivait, enchaîné, devant la chambre du conseil, il allait saluer tous les autres prévenus qui étaient littéralement subjugués. Même Christian De Vaelkeneer, le juge d’instruction en charge du dossier, avait une certaine considération pour lui. Comme client, il a été parfait. En l’extradant vers les Etats-Unis (NdlR : où il était suspecté d’avoir préparé un attentat contre l’ambassade américaine de Paris), la Belgique a commis une faute, d’ailleurs sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme. Je trouve cela incroyable. Là-bas, Trabelsi attend toujours son procès dans des conditions de détention lamentables."
Me Motte de Raedt se souvient qu’au procès, l’avocat général avait lancé à Trabelsi et à ses coprévenus : "Vous avez peut-être lu le Coran mais vous l’avez trahi." "Il fallait oser", commente-t-elle. " Vous auriez dû voir la tête des prévenus. C’est l’une des rares fois où Trabelsi a perdu de sa superbe."
Sur Malika Aroud, figure marquante de l’islamisme radical, condamnée pour avoir recruté des jeunes partis se battre en Afghanistan, Me Motte de Raedt est plus réservée : "Convertie, elle avait des convictions très ancrées, se montrait exigeante." L’avocate se souvient d’une anecdote : "A l’audience, un jour qu’il faisait étouffant, se sentant mal, elle réclame un café. Je relaye sa demande et le président accepte. Une demi-heure plus tard, toujours rien. Je m’en inquiète, le président aussi. Un policier répond : le café est là, mais nous attendons qu’il refroidisse. Et vous savez pourquoi ? Parce que chaud, il aurait pu servir d’arme à ma cliente."
Bouchaib Moqadem
Le père de famille. Bouchaib Moqadem était le mari de Geneviève Lhermitte, condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir tué ses cinq enfants, à Nivelles, en 2007.
De l’affaire Geneviève Lhermitte (condamnée à la réclusion à perpétuité pour l’assassinat de ses cinq enfants, à Nivelles, en 2007), Me Motte de Raedt, conseil du mari, Bouchaib Moqadem, conserve un souvenir amer. "J’étais à l’aéroport quand il est rentré du Maroc, sachant que quelque chose s’était passé mais ignorant que ce fût un tel drame. Dans un premier temps, il n’a pas cru que sa femme, qu’il s’est empressé d’aller voir en prison, ait pu faire ça. Il disait que c’étaient les gens d’une secte, qu’elle était innocente…"
"Personne n’a compris ce geste", poursuit Me Motte de Raedt. "Pour ma part, je continue à penser que Mme Lhermitte aurait dû être internée. Cette affaire a eu des conséquences terribles. Un jour que j’allais au palais de justice de Nivelles, je m’arrête dans une pharmacie. La pharmacienne me reconnaît. Elle me raconte que sa fille, qui était à l’école avec une des filles de Mme Lhermitte, ne cessait de lui demander : maman tu m’aimes ?"
"Quant aux deux policiers qui ont découvert la scène de crime, l’un était encore en traitement au moment du procès", poursuit l’avocate. "Ce qui m’a frappée, c’est que Mme Lhermitte, à l’audience, n’avait oublié aucun détail de ce qu’elle avait fait. Et je n’oublierai jamais non plus le médecin légiste, le docteur Bonbled, détaillant, pendant toute une journée, images à l’appui, des images que je n’ai jamais regardées, les blessures subies par les enfants et concluant que leurs souffrances physiques avaient été dépassées par les souffrances morales liées au fait que c’était leur mère qui les frappait. Epouvantable."
Et dans les yeux de Me Motte de Raedt, passe un voile.