On a plongé dans l’arène, avec les chasseurs de Pokémon
Avant, quand on voyait une personne en rue, le nez dans son GSM, elle était en train de se repérer grâce à son GPS ou bien d’envoyer un SMS. Mais ça, c'était avant. Reportage.
Publié le 27-07-2016 à 06h58 - Mis à jour le 27-07-2016 à 12h48
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Avant, quand on voyait une personne en rue, le nez dans son GSM, elle était en train de se repérer grâce à son GPS ou bien d’envoyer un SMS. Aujourd’hui, cette attitude n’est plus le signe que d’une chose : c’est un chasseur de Pokémon. Le jeu phénomène "Pokémon Go", développé par Niantic - et non pas Nintendo -, disponible officiellement en Belgique depuis le 16 juillet, compte déjà des milliers d’adeptes.
Dans des villes comme Bruxelles ou Louvain-la-Neuve, c’est l’effervescence. De petites communautés de joueurs commencent à se créer autour de lieux à haut potentiel de capture. " Les gens y placent des leurres qui attirent les Pokémon. Et plus il y a de gens au même endroit, plus il y a de chances d’en voir apparaître un rare", explique Samuel, qui a dédié sa journée de lundi à la chasse.
Pokémon city
Transformé en grand jardin à Pokémon, le parc du Cinquantenaire à Bruxelles fait partie de ces endroits. Difficile de faire la différence entre les touristes qui prennent des photos et les joueurs qui attrapent des Pokémon. " On a tous grandi avec Pokémon, explique Hervé, 26 ans, c’est un jeu de notre enfance qui refait surface autrement." Même ceux qui, comme Anaïs, n’étaient pas des adeptes de ces petites bestioles, se sont pris au jeu " parce que ça nous fait bouger, on marche beaucoup" . Ils sont nombreux à avouer préférer la marche au métro ou au bus et à privilégier les détours. " Le jeu nous oblige à être dehors et à rester actifs ."
Mais le paradis du joueur bruxellois, c’est sans conteste le parc royal. Ils sont des centaines autour du bassin, les yeux rivés sur leur téléphone, attrapant plus d’un Pokémon à la minute.
A Louvain-la-Neuve, même agitation, surtout autour de la place Cardinal Mercier et des auditoires Socrate. Assis en petits groupes sur la place, les étudiants oublient les tracas des secondes sessions dans le jeu. " Il y a du monde tout le temps, de 14 heures à 3 heures du matin" , précise Pauline. " J’ai déjà passé trois heures de la journée ici… Ça pourrait devenir un frein à l’étude si on ne fait pas attention", confie Joachim.
De 7 à 77 ans
Les étudiants ne sont pas les seuls mordus. Les plus jeunes aussi, bien entendu, mais aussi des travailleurs, et même des pensionnés. Un employé d’une société informatique nous explique que "Pokémon Go" est autant un jeu pour jouer avec ses enfants qu’avec ses amis… Et ses collègues. " Pendant le temps de midi, on descend en ville et on se retrouve aux endroits connus pour être les bons spots pour chasser. Ça crée des liens, on se fait des nouvelles connaissances au sein de l’entreprise."
Ils le disent tous : le jeu peut paraître asocial pour ceux qui regardent de l’extérieur, mais pour les gamers, c’est un vrai vecteur de sociabilité. " Le principe c’est de se retrouver, de parler, de faire ça ensemble, même si ça peut aussi se faire seul. C’est juste plus gai", continue notre interlocuteur.
Le nouveau guide ?
Au Cinquantenaire, la fontaine est devenue une arène et le moindre arc, la moindre statue fait office de "Pokéstop". Ces carrés bleus flottant sur la carte virtuelle sont des endroits où les joueurs peuvent obtenir gratuitement certains objets utiles. Mais dans la vraie vie, ce sont des monuments, des œuvres d’art ou des bâtiments importants. L’occasion pour les gamers de découvrir ces sites. C’est d’ailleurs la première fois qu’Anaïs et Clément, deux joueurs pourtant bruxellois, mettent les pieds au parc royal. " On se surprend à découvrir des choses près de chez soi, raconte Hervé. Ça pousse à la visite et à la curiosité." Certains voient déjà le jeu comme un nouveau guide touristique. Du côté des offices du tourisme, à Bruxelles comme à Louvain-la-Neuve, on modère. " On est conscient de l’engouement et des possibilités qu’offre le jeu mais il est encore trop tôt pour établir un quelconque partenariat", indique l’office du tourisme bruxellois.
Un business juteux
Pour autant, cela n’empêche pas certains commerces ou entreprises d’utiliser le jeu pour attirer des clients. Chacun a sa technique. A Louvain-la-Neuve, un restaurant projette une carte indiquant en temps réel où se trouvent les Pokémon dans la ville. Un bar profite de l’arène à proximité pour attirer le client et met à sa disposition des chargeurs de GSM. D’autres se lancent dans le commerce des batteries portables. Proximus quant à lui, exploite le "Pokéstop" en bas de sa tour à Bruxelles, indiquant sur sa page Facebook qu’elle y place régulièrement des leurres. Il ne reste qu’un pas à franchir avant que les entreprises ne payent pour devenir des lieux dans l’interface du jeu. "Pokémon Go" a définitivement révolutionné bien plus qu’une manière de jouer.
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Plus de 75 millions de téléchargements. L’appli la plus téléchargée durant sa première semaine de vie sur iPhone depuis la naissance du produit en 2007. Des revenus qui, en une seule application, supplantent tous ceux que cumulent les dizaines de milliers d’autres applications qui garnissent les rayons virtuels des magasins d’apps (App Store et Google Play Store). Une capitalisation boursière doublée pour Nintendo, qui n’est même pas éditeur en première ligne de l’appli (diligentée par The Pokémon Company, dont Nintendo ne détient que 32 % des actifs, et Niantic Labs, le développeur, où Nintendo ne possède que 5 à 10 % du gâteau), et qui a valu jusqu’à 42 milliards de dollars ces derniers jours, soit plus que son rival japonais de toujours, Sony, pourtant 16 fois plus gros ! Un produit dérivé Pokémon écoulé toutes les 12 secondes sur eBay, depuis la sortie de l’application. Des chiffres, puis des scènes, devenues courantes, de chasseurs en plein jet de Pokéballs partout dans le monde, des contours de la fontaine du Cinquantenaire (lire ci-dessus) jusqu’aux abords de Central Park, à New York, où l’apparition d’un Pokémon rare a provoqué une émeute. Le temps n’est plus à palabrer : Pokémon Go est un phénomène jamais vu sur mobile.
Vu d’un œil mûr et non initié, la folie Pokémon Go est pourtant bien difficile à saisir. Pourquoi donc, depuis début juillet, et la sortie de l’application (gratuite) dans les premiers territoires clés ciblés par ses éditeurs (Australie, Japon, Etats-Unis, avant le Royaume-Uni, puis l’Europe, dont la France et la Belgique), le monde entier s’est-il, crescendo, mis à chasser ces créatures nées il y a 20 ans sur consoles de jeu Nintendo ?
Un mix et un marketing savants
En soi, le fonctionnement du jeu est très simple. Il permet de capturer des Pokémons, en combinant mondes réel et virtuel. Tous nos smartphones sont aujourd’hui équipés d’une puce GPS, qui permet de localiser la position de leur utilisateur. Lorsque vous vous baladez dans votre ville, et ouvrez Pokémon Go, vous retrouvez donc la cartographie des lieux sur lesquels vous vous situez réellement. Des lieux sur lesquels Niantic, à période et fréquence aléatoires, dépose des Pokémons, à capturer avec des Pokéballs. Mais aussi des Pokéstops (pour faire le plein de consommables du jeu - Pokéballs, potions, œufs… -) ou des Arènes, pour faire combattre votre bestiaire face à celui d’autres dresseurs.
C’est cet aspect hybride, entre l’écran et le trottoir, permis par la géolocalisation, qui assure le succès et le (relatif) caractère novateur de l’application. Malin également : le jeu favorise la découverte à pied, et récompense la marche, qui permet de faire éclore des œufs et d’étoffer son Pokédex.
Et la réalité augmentée, alors ? Ce principe, vieux de plus de dix ans et déjà observé sur consoles comme sur smartphones, permet, à travers l’écran, de visualiser un élément numérique artificiel (ici, un Pokémon) intégré à votre environnement direct et réel, par le biais d’une caméra (en l’occurrence, celle de votre smartphone). L’aspect réalité augmentée, en fait, n’est qu’un gadget, une petite cerise qui permet de faire des clichés sympathiques de Pikachu sur votre sofa, à partager sur Facebook pour renforcer gratuitement la communication virale de Niantic.
Le vrai défi : durer, pas buzzer
La géolocalisation parfaitement exploitée (Niantic, ex-excroissance de Google, s’y était déjà essayée avec succès avec Ingress, qui n’avait pas la portée grand public de Pokémon) ; la valorisation de la marche à pied et de l’esprit de groupe ("On va chasser ensemble ?") ; la réalité augmentée pour le côté fun et viral ; la résurrection d’une licence qui éveille chez les 20-30 ans une profonde nostalgie (totalement calculée : Niantic n’a intégré que les Pokémons de la première génération, ceux que le cœur de cible visé, capable de payer, connaît et apprécie), saupoudrée d’une maîtrise parfaite du calendrier (en été, on sort volontiers se promener pour chasser du Pokémon) : Pokémon Go n’a rien inventé de révolutionnaire. Mais il ramasse tous ces éléments de succès, et les malaxe avec un talent inné. Reste à voir si le phénomène s’inscrira dans la durée, éternel défi des jeux mobiles intégrant l’achat de contenus additionnels au sein même de l’application. Il suffit de voir la vitesse à laquelle les Pokémons volatiles Roucool et Piafabec ont éclipsé les Angry Birds…