Le chef de l’armée veut moins de soldats dans la rue
Deux mois après sa prise de fonction, le général Marc Compernol, nouveau patron de l’armée, prévient : "Le monde n’a jamais été aussi instable." Selon lui, les coupes budgétaires pourraient avoir des conséquences négatives sur les opérations à l’étranger. Il appelle aussi à une réduction du déploiement des militaires dans les rues. Entretien.
Publié le 08-09-2016 à 10h33
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Deux mois après sa prise de fonction, le général Marc Compernol, nouveau patron de l’armée, prévient : "Le monde n’a jamais été aussi instable." Selon lui, les coupes budgétaires pourraient avoir des conséquences négatives sur les opérations à l’étranger. Il appelle aussi à une réduction du déploiement des militaires dans les rues. Entretien.
Ses aquarelles patienteront un peu. "Je n’ai plus beaucoup de temps à y consacrer", sourit le général Marc Compernol, amateur de peinture et de dessin. Le 13 juillet, il devenait le nouveau grand patron de l’armée. Son cadeau de bienvenue : un plan stratégique validé le 29 juin par le gouvernement qui prévoit, d’ici 2030, 9,2 milliards d’investissements en matériel, l’augmentation du budget de l’armée, et la diminution des effectifs de 32 000 à 25 000 unités.
En pleine cure d’austérité, comment justifier auprès de la population que l’on va dépenser plus de 9 milliards pour l’armée ?
Il suffit de regarder les JT. Le monde n’a jamais été aussi instable. Il va y avoir de plus en plus de challenges sécuritaires sur le territoire national et à l’étranger. L’armée est-elle la réponse à tout ? Non, bien sûr, mais elle fait partie d’une solution globale. Et puis, je crois que la population prend conscience de notre utilité. Le 22 mars, tout d’un coup, le Belge a été confronté à des attentats sur son propre territoire. Je pense que ça a vraiment changé la donne.
Quelles sont les principales zones d’instabilité qui concernent la Belgique et l’Europe ?
Il y a un axe inquiétant autour de nous : la bande du Sahel en Afrique; l’Irak, la Syrie ou l’Afghanistan au Moyen-Orient; la Turquie, l’Ukraine et le flanc Est en l’Europe. Le monde évolue : la mobilité des gens et de l’information s’accroît, il y a les conséquences du réchauffement climatique, la pression démographique, la confrontation entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas… Tout cela crée de l’instabilité et je ne vois pas comment la situation pourrait s’améliorer à court terme.
Etes-vous satisfait du plan stratégique ?
Ah oui ! Ce qui me plaît, c’est qu’on a essayé de garder une panoplie de capacités engageables. C’est important parce que cela permet à la Défense d’intervenir dans différents types d’opération. Quant au gouvernement, il a la possibilité d’être très visible dans les opérations dans lesquelles il veut s’engager fortement (avec les F-16, un bataillon au sol…) ou, à l’inverse, il peut rester plus en retrait (avec du génie, de l’assistance militaire…). Garder cette possibilité de choix, c’est important.
Le plan stratégique ne deviendra réellement concret qu’en 2020, donc sous le prochain gouvernement. Qui pourrait tout revoir…
Nous devons bétonner les grands investissements prévus dans le plan. Le gouvernement a l’intention de signer les grands contrats (NdlR, essentiellement le remplacement des F-16, les nouveaux navires, les drones, et les véhicules et systèmes d’armes pour la composante Terre) avant la fin de la législature, en 2019. Si on y parvient, on sera bien parti pour les années à venir.
Le gouvernement Michel a exigé près d’un milliard et demi d’euros d’économies dans l’armée sur la législature, avant de lui restituer progressivement 500 millions. Mais l’effort reste important. Y aura-t-il des conséquences sur les opérations à l’étranger ?
Le budget de l’armée comprend les dépenses de personnel, d’investissements, de fonctionnement, et celles liées aux opérations. Pour les deux premiers volets, il n’y a pratiquement plus de marge de manœuvre. Aller plus loin dans la compression des dépenses de fonctionnement, c’est risquer de mettre la sécurité de nos gars en jeu parce qu’on toucherait aux entraînements et à la formation. Reste les opérations. Et là, toutes choses restant égales, je crains qu’il sera difficile de garder le niveau d’ambition actuel à l’horizon 2019-2020.
Il faudra faire une croix sur l’engagement au Mali ou sur celui en Irak et en Syrie ?
Avec le budget actuel, on risque effectivement de devoir prendre ce genre de décision.
Comment gérer le passage d’une armée de 32 000 à 25 000 hommes, comme c’est prévu dans le plan stratégique ?
L’une des opportunités que nous avons, c’est l’outsourcing, c’est-à-dire l’externalisation de certaines tâches. Nous allons regarder toutes les tâches qui ne font pas vraiment partie du "core business" du militaire et qui ne doivent pas être projetées en opération, et voir si elles peuvent être confiées au secteur privé.
Quelles sont les pistes ?
Les repas, la logistique, la sécurisation des casernes. Egalement la gestion des camps d’entraînement, comme ça se fait dans d’autres pays.
La prochaine étape, c’est le plan directeur, avec les fermetures de casernes.
On cherche les bons équilibres entre Nord et Sud, Est et Ouest, entre les composantes (Terre, Air, Marine). Mais ce sera en premier lieu une décision politique.
"C’est en Irak qu’on doit être présent, pas à Bruxelles"
Le 17 janvier 2017, cela fera deux ans que les soldats sont présents dans les rues en Belgique. Selon les syndicats, le ras-le-bol croît parmi les gens déployés.
Je veux être clair : si le gouvernement nous demande de faire ce genre de missions, on le fait ! Et je crois que la situation sécuritaire le justifie. Mais est-ce notre mission première ? Non, ce ne l’est pas. La sécurité de la Belgique commence en Afrique subsaharienne, en Irak et en Syrie, en Afghanistan, sur le flanc Est. C’est là que nous devons être présents, pas dans les rues à Anvers et Bruxelles. L’année passée, certains ont effectué 22 semaines de garde. A côté, ils devaient encore s’entraîner et prendre leurs congés. Ça devient lourd. Cela dit, je ne suis pas d’accord avec certains syndicats quand ils disent que les soldats en ont ras-le-bol. Je suis convaincu que ce n’est pas le cas parce qu’ils se rendent compte que, pour le moment, il n’y a pas d’autres alternatives.
Selon le général-major Deconinck, le chef de la composante Terre, le déploiement en rue pourrait avoir des conséquences négatives sur les opérations.
Effectivement. Mon plus grand souci, c’est de maintenir notre capacité opérationnelle. Mais vu la disponibilité de nos gens, on se limite à l’entraînement de base pour la mission qu’ils doivent assumer. Du coup, on perd déjà des compétences.
Lesquelles ?
La Défense est en train de perdre sa capacité à déployer une compagnie interarmes dans un conflit d’une certaine intensité. C’est-à-dire une compagnie qui peut mener un combat d’une intensité assez élevée avec tous ses moyens (le fantassin, l’appui feu direct, l’appui feu indirect, l’appui des avions, éventuellement le génie et la logistique, etc.). Ça demande un entraînement poussé qu’on ne peut plus organiser. Et puis, il y a un autre problème : il faut faire très attention à ne pas créer une génération perdue.
Que voulez-vous dire ?
On a maintenant des lieutenants et des sergents qui n’ont rien fait d’autre que cette mission, qui ne sollicitent qu’une petite partie des compétences à acquérir. C’est inquiétant. Ils sont en train de rater une phase d’apprentissage qu’il va falloir rattraper.
Vous dites au gouvernement qu’il est temps de réduire le déploiement en rue ?
Je pense que tout le monde en est convaincu, y compris le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon (N-VA). La difficulté, c’est qu’il faut un élément déclencheur nous indiquant que le monde est plus sûr.
Qu’est-ce que ça pourrait être ?
C’est au politique de le dire, sur la base des analyses de l’Ocam (Organe de coordination pour l’analyse de la menace).
Mais cette présence en rue est-elle vraiment efficace ? Il y avait des soldats à l’aéroport de Zaventem le 22 mars, jour des attentats.
C’est un débat difficile. Je ne sais pas si c’est efficace, mais on a quand même des indications selon lesquelles la présence des militaires a incité les terroristes de Zaventem à changer leurs plans. Ils pensaient d’abord à une attaque complexe, avec utilisation d’armes puis de bombes. En revanche, où je suis certain que la présence des militaires a eu un impact, c’est dans le suivi et les secours après les attentats. Je suis fier de ce qu’ils ont accompli.