A Saint-Hubert, on rejoue "la vache et le prisonnier"

Reportage : Isabelle Lemaire. Photos : Jean-Luc Flémal
ferme agriculture SPF justice prison centre detention Saint Hubert travail reinsertion travail prisonnier detenu gardien surveillant
ferme agriculture SPF justice prison centre detention Saint Hubert travail reinsertion travail prisonnier detenu gardien surveillant ©JEAN LUC FLEMAL

Des détenus travaillent dans l’exploitation agricole de l’établissement pénitentiaire.

La matinée d’hiver est incroyablement lumineuse en cette fin décembre. Le givre qui recouvre chaque brin de végétation magnifie encore plus le décor de carte postale que l’on découvre à la ronde. De hauts grillages verts viennent un peu gâcher le paysage. Ce sont ceux qui entourent le centre de détention de Saint-Hubert, une petite prison à régime ouvert et communautaire qui compte 216 détenus.

A Saint-Hubert, on rejoue "la vache et le prisonnier"
©Jean Luc Flemal

Il ne s’agit pas d’une prison comme les autres. Avec Ruiselede (en Flandre), Saint-Hubert est le seul établissement pénitentiaire de Belgique qui possède et gère une exploitation agricole.

Septante hectares de prairie et de bois, un jardin d’un hectare et demi où poussent des fruits et des légumes, une serre pour les tomates et plus d’animaux d’élevage que de détenus : 226 bêtes, une petite moitié de vaches viandeuses, l’autre de laitières, quelques lapins et des poules. Les vaches paissent habituellement en prairie, le long de la clôture de la prison mais là, hiver oblige, elles sont rentrées à l’étable, située dans une belle ferme carrée en pierre qui jouxte l’établissement.

A Saint-Hubert, on rejoue "la vache et le prisonnier"
©Jean Luc Flemal

Une longue liste d’attente

La ferme à la prison ne date pas d’hier. Construite en 1906, elle a été cédée à l’administration pénitentiaire en 1933. Le Centre pénitentiaire agricole de Saint-Hubert a été officiellement créé onze ans plus tard. Aujourd’hui, sous la supervision active des gardiens qui, formés aux métiers de la ferme, mettent eux aussi la main à la pâte avec passion, une quarantaine de détenus y travaillent, sur une base volontaire, sans limite de temps et contre une petite rémunération. L’engouement est grand puisque la liste d’attente compte une trentaine de noms.

"Notre philosophie est de mettre un maximum de détenus au travail et de leur proposer des travaux différents de ce que l’on peut trouver en milieu carcéral. Ceux qui choisissent le travail agricole ont, pour certains, déjà une expérience en la matière. Pour d’autres, il s’agit d’une découverte qui tourne parfois à la révélation et suscite des vocations comme pour des jeunes issus de quartiers sensibles, des toxicomanes ou même des psychotiques", signale Marisol Michel, la directrice de Saint-Hubert.

"Ce travail à la ferme leur apporte de la resocialisation, de l’équilibre, de l’apaisement, de l’épanouissement, le respect de la vie et des consignes. Il réinstaure un rythme de vie normal", poursuit-elle.

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Le contact bienfaisant des animaux

Elle raconte, un brin émue, quelques anecdotes appuyant ses dires. "On avait confié le soin des lapins à un détenu dont je n’avais pas entendu le son de la voix pendant trois ans. Eh bien, il a fini par me parler. Un autre a hésité à accepter le port du bracelet électronique car on venait de lui proposer la responsabilité d’une étable. Il y a aussi cet homme qui a trouvé du travail au service des Parcs et jardins de Bruxelles à sa libération."

Maxime et Thomas (1), deux jeunes détenus, s’occupent des vaches. Ils les nourrissent et nettoient l’étable. Sept jours sur sept, le travail commence à 6h et se termine à 17h30. "On a choisi ce travail car on aime les animaux. C’est dur mais on préfère ça que rester en cellule toute la journée à s’ennuyer. On se sent libre, bien dans la tête. Et on dort bien la nuit (sourires)", expliquent-ils un peu timidement avant de retourner à leurs tâches.

A Saint-Hubert, on rejoue "la vache et le prisonnier"
©Jean Luc Flemal

Après avoir travaillé avec les vaches pendant trois ans, Lionel (1) est désormais employé à la fromagerie de la prison, ouverte en 2012 et gérée par "Chef Isabelle", un agent pénitentiaire qui a suivi une formation. Car les 150 000 litres de lait produits chaque année à la ferme sont transformés en beurre, crème, glace, maquée et plusieurs types de fromages. "J’ai toujours aimé travailler et c’est un plaisir de ne pas être obligé de rester en cellule. On pense trop…", lance Lionel qui arrive en fin de peine. Il note d’autres avantages au travail en fromagerie. "On peut goûter la glace et le fromage et puis, il y a la fierté que nos produits soient achetés, même par un hôtel de luxe à Liège."

"Chef Isabelle" se rend aussi une fois par trimestre au SPF Justice à Bruxelles, les bras chargés de ses produits laitiers qu’elle offre à ses collègues de l’administration pénitentiaire.

A Saint-Hubert, on rejoue "la vache et le prisonnier"
©Jean Luc Flemal

Cercle vertueux

Les produits alimentaires issus de la ferme de Saint-Hubert servent en grande partie à alimenter les cuisines de la prison. Le surplus est acheté par le personnel de la prison, des restaurateurs et des particuliers du coin. Le bois est vendu pour le chauffage et l’allumage. Il est aussi transformé en châssis de fenêtre. "L’argent récolté sert à financer des projets ‘bien-être’ pour les détenus", précise la directrice. Une belle façon de boucler la boucle.

(1) Prénoms d’emprunt

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