Le décret Inscription ne permet plus aux directions de s’adapter
Publié le 20-02-2017 à 06h24 - Mis à jour le 20-02-2017 à 06h25
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Ecoles et parents sont déstabilisés par le décret, révèle une étude de l’UCL.Si l’on regarde Bruxelles et la Wallonie de haut, il n’y a pas photo. Comme "La Libre" le révélait le 7 février dernier, les effets globaux du décret Inscription en termes d’accroissement de la mixité sociale et du taux de réussite sont nuls.
Si l’on se penche sur certains établissements par contre, on découvre que les conséquences locales du décret peuvent être "importantes et massives", en particulier dans le premier degré du secondaire. Elles y ont même bouleversé les repères, et jeté la plupart des acteurs dans l’incertitude.
Les directions ne trouvent pas le rythme
Ce constat est celui de Hugues Draelants et de Jérôme Deceuninck. Chercheurs à l’UCL pour le Girsef (le groupe interdisciplinaire de recherche sur la socialisation, l’éducation et la formation), ils travaillent sur une enquête qualitative à Schaerbeek et Anderlecht afin de discerner dans ces deux communes témoins les effets du décret.
L’étude n’est pas encore terminée, mais de premières conclusions se dessinent.
Certaines directions rencontrées par les chercheurs témoignent ainsi d’une même déstabilisation. Leur public change, et change souvent suite au décret Inscription. "Il est devenu difficile pour les chefs d’établissement de prédire qui seront leurs élèves à moyen terme. Or, comme toute organisation, un établissement a besoin de stabilité, de pouvoir se projeter dans le futur. Lorsque la composition de la population change, parfois fortement, au premier degré, c’est l’adéquation entre l’identité de l’établissement, son projet pédagogique et son public qui est remise en question. Et ce ne sont pas seulement des directeurs d’écoles dites élitistes qui témoignent de ces difficultés. Il s’agit d’inquiétudes partagées", constatent les chercheurs.
Un décret trop complexe
Les inquiétudes et les incertitudes se retrouvent aussi chez les parents, même si elles diffèrent en fonction du profil socio-économique des familles.
Pour les parents les plus défavorisés ou récemment immigrés par exemple, la complexité du décret se présente comme un obstacle important. "Il est difficile pour eux de maîtriser les nouvelles règles et de comprendre quelle serait l’école la plus appropriée pour leur enfant. Ils s’en remettent souvent à des tiers pour les conseiller, ou choisissent l’école la plus proche, pour des raisons essentiellement économiques, poursuit Jérôme Deceuninck. Les choix des parents issus des classes les plus populaires n’ont pas toujours été ceux espérés par les rédacteurs du décret qui souhaitaient qu’ils favorisent la mixité sociale."
Mais les incertitudes dues à la bureaucratisation du système d’inscription ont aussi bouleversé les habitudes et les réflexes des parents issus de la classe dite moyenne. Le décret a été vu comme un tiers venant perturber le processus d’inscription jusque-là tout à fait libre.
"Alors que le décret voulait favoriser la liberté de choix pour tous les parents en rendant le processus d’inscription plus transparent, il a été considéré comme bridant la liberté pédagogique. Pour certains, il était inacceptable que leur choix d’établissement dépende en partie d’un cheminement bureaucratique qu’ils ne maîtrisaient pas", explique Hugues Draelants.
Des choix moins adaptés aux enfants
C’est cependant en contexte urbain, là où le décret a le plus de conséquences, que les processus d’inscription ont été les plus bousculés.
On découvre ainsi que les parents n’ajustent plus autant qu’auparavant le choix de l’école aux particularités de l’enfant. "Etant donné que le décret accorde la priorité lors de l’inscription aux élèves qui cherchent à rejoindre un établissement où se trouve déjà un autre enfant de la fratrie, de nombreux parents relativement satisfaits d’une école utilisent leur aîné comme une tête de pont pour augmenter leurs chances d’y obtenir une place à l’avenir. Et cela, même s’ils sont par ailleurs conscients que la personnalité de leurs autres enfants n’est a priori pas aussi compatible avec l’identité de cet établissement", révèle l’étude
On découvre aussi que certains parents ne cherchent plus tant à viser un établissement en particulier qu’à éviter le choix du pire.
"Avec les outils de simulation en ligne, les parents sont en mesure de calculer l’indice qu’ils obtiendront s’ils tentent d’inscrire leur enfant dans telle ou telle école. Cet indice leur donne une indication sur le degré de chance qu’ils ont d’obtenir une place dans l’établissement convoité. Nombre d’entre eux renoncent dès lors à placer leur premier choix absolu en tête sur le formulaire d’inscription, au profit d’un deuxième ou troisième choix qui leur garantit un indice plus fort, et donc plus de chances d’obtenir une place pour leur enfant."
Cela engendre une conséquence plus globale, concluent les chercheurs, celle que les critères de choix d’un établissement sont peut-être moins qu’avant liés à une adéquation entre la personnalité de l’enfant et celle de l’établissement, mais considérés plus généralement au regard de la réputation d’un établissement. Sont retenus par les parents les établissements vus comme attractifs, et moins qu’auparavant les établissements considérés comme les plus adéquats pour leurs enfants.
La logique de concurrence entre les établissements n’a donc pas disparu avec le décret Inscription, estiment les chercheurs. Et globalement ou localement, le décret Inscription ne semble donc pas encore avoir répondu à l’entièreté de ses objectifs.
Les premiers résultats de la recherche ont été publiés dans l’ouvrage "Les écoles et leur réputation" aux éditions De Boeck (2016).