"On devrait réfléchir à une date fixe pour Pâques, mais cela demanderait de grands changements dans la société"
La Semaine sainte est le temps le plus fort de l'année liturgique. Mais les églises sont plus remplies pour évoquer la naissance du Christ. La victoire sur la mort est plus complexe à illustrer dans les rites.
Publié le 13-04-2017 à 13h26 - Mis à jour le 13-04-2017 à 14h10
Arnaud Join-Lambert enseigne la théologie pratique à l’UCL, le P. Tommy Scholtes, sj est porte-parole de la Conférence épiscopale et curé à Wezembeek-Oppem. Tous deux sont bien au fait des réalités du terrain. Un double regard croisé sur l’évolution des pratiques religieuses pendant la Semaine sainte.
La fête de Pâques est un moment fort de la liturgie. Mais suscite-t-elle le même engouement que la fête de Noël ?
Tommy Scholtes (TS) : C’est impressionnant de voir comment on prépare Noël dans nos sociétés. En même temps, on n’est pas dupe de sa dimension de plus en plus commerciale. Reste que la naissance de Jésus incite à de grands rassemblements. C’est une grande fête partagée en famille contrairement à Pâques qui devrait être la plus grande. Plus que l’Avent vers Noël, le carême nous y prépare. Elle est censée être un cheminement. Mais, à part des temps de réflexion ou de jeûn collectifs, elle touche nettement moins le public. On rassemble moins de monde à la vigile pascale que pendant la nuit de Noël. Pourtant le message de la mort et de la résurrection est plus fort que celui de la naissance. Les signes qui sont associés à cette fête le sont aussi, avec le feu et l’eau.
Arnaud Join-Lambert (AJL) : Votre analyse est confirmée par des sondages. Il faut comprendre ce phénomène à l’aune du christianisme populaire. Il n’y a pas un ancrage historique dans la longue durée comme pour Noël. La vigile pascale n’est mise en valeur que depuis 1951. Il y a plus de monde dans les églises le Dimanche des Rameaux. Nombreux sont ceux qui viennent chercher du buis béni qu’ils installeront pour un an comme pour se protéger des mauvais sorts.
La tradition des chemins de croix publics est aussi en chute ?
AJ L : Ils ont quasi disparu de nos villes et villages…
TS : … et ce sont les chrétiens d’Orient qui en organisent par solidarité avec leurs frères souffrants comme il y a quelques jours à la Viale d’Europe à Uccle.
AJL : En France, ils ont tendance à réapparaître depuis une trentaine d’années mais touchent surtout des publics particuliers. En même temps, je voudrais donner un contre-exemple qui m’a marqué… Je suis allé voir le jeu de la Passion à Ligny où le desservant est aujourd’hui un dynamique prêtre ivoirien. Cela m’a impressionné de voir tout un village s’engager aux côtés de 150 personnes impliquées dans une représentation de plus de 3 heures présentée quatre fois.
Comment les paroisses pourraient-elles mieux impliquer les fidèles et les chrétiens ?
AJL : Elles devraient essayer de mieux incarner la souffrance et la mort mais aussi la victoire sur la mort.
TS : Dans ma paroisse, le Jeudi saint, nous associons les enfants qui vont recevoir la première communion. Nous leur consacrons le temps qu’il faut pour faire comprendre que cette eucharistie fut la première mais aussi la plus importante. Tout y est centré sur le cadeau immense de Jésus qui donne sa vie. Il faut y faire une gymnastique spirituelle terrible puisqu’on part le dimanche précédent de son accueil en triomphe avant de mourir et in fine de ressusciter…
AJL : A Noël, on rappelle l’expérience commune de la naissance alors que le mystère de Pâques est plus inaccessible. Puis, Pâques frappe moins les esprits parce que la fête change de date chaque année.
Il faut suivre le pape François qui propose une date fixe aussi pour Pâques ?
AJL : Oui. Mais cela entraînerait des changements dans la société. On devrait organiser les carnavals chaque année à des dates fixes avant le carême. Et tous les chrétiens devront accorder leurs calendriers… Ce n’est pas insurmontable car aux Etats-Unis, des Eglises de la diaspora fêtent la Résurrection en même temps que nous…
Met-on suffisamment en exergue les spécificités de Pâques ?
TS : On pourrait valoriser le feu, la réémergence de la lumière. La sortie de la longue nuit de souffrances se fait, devant l’église sur le parvis. Ces gestes frappent les esprits.
AJL : Le cierge pascal va retenir notre attention jusqu’à la Pentecôte. Ce cierge parfois monumental (jusqu’à plusieurs mètres) illuminait les assemblées. Sa personnification au Christ était telle qu’il était éteint à l’Ascension dans une scénographie impressionnante. A la cathédrale de Sées (France), on voit encore un trou dans la voûte du transept nord, dont la tradition orale dit qu’il servait à faire monter le cierge pascal "vers le ciel". La souffrance, la mort et la résurrection sont vraiment le centre de l’histoire.
TS : Derrière tous ces rites, il y a l’acte de la foi de la résurrection.
AJL : La croix peut aussi être vue comme le signe de la fin d’une souffrance, donc comme une victoire sur la mort.
C’est plus évident dans les célébrations pascales que lorsque les fidèles sont confrontés à la mort de proches.
TS : C’est une difficulté. Car si à Pâques, l’accomplissement de la mort de Jésus est un sommet, ceux qui viennent de perdre un être proche ont du mal à faire ce lien à ce moment-là, marqués plutôt par une grande tristesse et un grand silence.
AJL : … mais la mort n’a pas le dernier mot. Selon Xavier Thévenot, le Triduum pascal est paradigmatique de la vie : c’est la souffrance, c’est le silence et c’est enfin la lumière que l’on reçoit de Dieu.
Deux cent vingt-neuf baptêmes d’adultes, surtout en Wallonie et à Bruxelles
C’est le baromètre de l’évolution des fêtes pascales au sein de l’Eglise : la moyenne des adultes demandant le baptême ou le sacrement de la confirmation ne cesse d’augmenter ces dernières années.
A l’inverse, le nombre de chrétiens désirant se faire débaptiser redevient quantité négligeable. Pour cause : depuis que l’Eglise a pris à bras-le-corps la question de ses "moutons noirs" déviants sexuels et a activement décidé d’aider les victimes, de moins en moins de catholiques tournent le dos à la religion de leur enfance. "Tertio", l’hebdomadaire catholique flamand indépendant vient, une fois encore, de faire le tour des diocèses afin d’y identifier le nombre de futurs baptisés et/ou confirmés adultes pendant la période pascale.
Relance spectaculaire depuis 2013
La progression est remarquable. Juste après qu’eût éclaté la grave crise des clercs pédophiles dont le sommet fut la démission de l’évêque de Bruges, Roger Vangheluwe, on enregistrait en moyenne seulement 150 demandes de baptêmes. En 2013, alors que l’institution ecclésiale reconnaissait ses torts, le nombre montait à 167. Depuis lors, il a augmenté d’année en année : 185 en 2014 et en 2015, et 222 l’an dernier.
Cette année, nouveau gain. Durant le temps pascal, on baptisera 229 personnes. Le phénomène est plus marquant en Belgique francophone même s’il est difficile d’établir l’appartenance linguistique des 59 catéchumènes bruxellois. Reste que les diocèses wallons ont enregistré plus de demandes (infographie).
L’hebdo flamand a aussi mené l’enquête pour le sacrement de confirmation qui est généralement conféré entre Pâques et la Pentecôte. La statistique est ici aussi intéressante même si on ne dispose pas (encore) des chiffres pour le diocèse de Tournai et le vicariat du Brabant wallon. Si la tendance se poursuit, on peut imaginer que dans les années à venir, on développe davantage ces temps forts liturgiques qui illustrent un dynamisme nouveau dans le monde catholique…
