Kazakhgate : le cadeau de la justice belge à Patokh Chodiev

Antoine Clevers
20120903 - ANTWERP, BELGIUM: Prosecutor General Yves Liegeois pictured during the opening of the new judicial year of the Antwerp appeal court, in Antwerp, Monday 03 September 2012. BELGA PHOTO NICOLAS MAETERLINCK
20120903 - ANTWERP, BELGIUM: Prosecutor General Yves Liegeois pictured during the opening of the new judicial year of the Antwerp appeal court, in Antwerp, Monday 03 September 2012. BELGA PHOTO NICOLAS MAETERLINCK ©BELGA

Les procureurs généraux ont autorisé une transaction pénale pour lui durant une période suspecte.Le collège des procureurs généraux (PG), celui-là même qui définit avec le ministre de la Justice la politique criminelle en Belgique, a permis à Patokh Chodiev de bénéficier d’une transaction pénale durant une période suspecte, en 2011, contre la volonté du Sénat. Jusqu’à preuve du contraire, la décision des PG ne visait pas à aider spécifiquement l’homme d’affaires belgo-ouzbek, personnage central du Kazakhgate. Mais la séquence des événements est troublante. Reprenons.

Le 2 mars 2011, la majorité fédérale se met d’accord pour élargir le champ d’application de la transaction pénale. La grande fraude, dont est accusé Patokh Chodiev, est ciblée. Après son vote à la Chambre le 17 mars 2011, le texte arrive au Sénat où - problème - on constate qu’il est mal ficelé et qu’il doit être corrigé. Ça cale dans la majorité. Le MR exige - pour des raisons purement politiques, dit-il - que la mesure soit votée sans délai avec l’ensemble de la loi de dispositions diverses dont elle faisait partie.

Le double vote au Sénat

Un deal est trouvé : le 31 mars, deux textes sur la transaction pénale sont votés en même temps. Le premier est la version originale, reprise dans la loi de dispositions diverses. Le second est une loi réparatrice, qui vient corriger le premier. Bingo, donc ? Eh bien non. Parce que les dates d’entrée en vigueur ne sont pas les mêmes (la loi réparatrice devait encore passer par la Chambre). Le premier texte est applicable dès le 16 mai alors qu’on le sait bancal. Le second texte, lui, n’entre en vigueur que le 11 août. Que faire dans l’intervalle ?

Le ministre de la Justice, Stefaan De Clerck (CD&V), prend un engagement devant les sénateurs. Il demandera au collège des procureurs généraux de rédiger une circulaire afin que les parquets du Royaume attendent l’entrée en vigueur de la loi réparatrice pour conclure des transactions pénales élargies. Pourtant, deux transactions de ce type seront réalisées, dont celle de Chodiev.

Le 2 mai, comme convenu, Stefaan De Clerck écrit au collège des PG. Le 13 mai, lors d’une réunion ensemble, le collège dit au ministre qu’il accepte sa demande - et donc celle du Sénat. Mais le 18 mai, le procureur général de Bruxelles, Marc de le Court, émet une circulaire à l’attention des parquets de son ressort. Il y précise qu’une transaction élargie est envisageable "dans des circonstances tout à fait exceptionnelles" et sous réserve d’avoir obtenu son aval. Le 24 mai, le procureur général d’Anvers, Yves Liégeois, émet la même circulaire au niveau de son propre ressort.

Hasard ou non, deux transactions élargies seront conclues durant la période suspecte (du 16 mai au 11 août 2011). L’une à Bruxelles, celle de Patokh Chodiev, le 17 juin. L’autre à Anvers, liée à une affaire financière impliquant la banque française Société générale.

Les PG de l’époque ont été entendus, mercredi, par la commission d’enquête parlementaire sur le Kazakhgate. Ils ont expliqué que ni eux, ni le ministre n’avaient le pouvoir d’interdire l’application d’une loi, même si elle est mal ficelée (le droit d’injonction négative n’existe pas en droit belge). Cela dit, c’est surtout la notion de "circonstances exceptionnelles" qui interpelle les députés.

Dewolf et Godbille, deux noms du Kazakhgate

"Nous savions qu’à Bruxelles et Anvers, il y avait des dossiers qui entraient en ligne de compte pour l’application de la nouvelle loi", a répondu Frank Schins, précisant que le contenu des dossiers leur était inconnu. Il a justifié l’initiative des deux PG par la seule volonté d’éviter un engorgement encore plus conséquent des parquets bruxellois et anversois. Et "pour des raisons de célérité, il avait été convenu que chaque procureur général envoie une circulaire interne", a complété Marc de le Court.

Cela dit, ce dernier a aussi admis, mercredi, avoir eu connaissance du dossier Chodiev dès le 8 mars 2011. Ce jour-là, "j’ai reçu deux avocats généraux pour évoquer des mesures alternatives" à un renvoi de l’affaire devant le tribunal correctionnel. Etait-il question d’une transaction pénale ? Il ne le sait plus. Mais pour le député Eric Massin (PS), cela ne fait aucun doute. Marc de le Court a, en effet, donné le nom des deux avocats généraux : Patrick Dewolf, celui-là même qui fera la transaction de Chodiev; et Jean-François Godbille, qui apparaît aussi dans le Kazakhgate…

Le rôle de l’avocat général

En outre, ce 8 mars 2011, Patrick Dewolf savait déjà qu’une loi sur la transaction pénale élargie allait être votée. Il se fait que, à cette époque, il était aussi magistrat de liaison au cabinet du secrétaire d’Etat Carl Devlies (CD&V), où fut rédigé le texte tant décrié. Devant la commission Kazakhgate, il avait aussi reconnu avoir parlé, le 18 février, de la loi sur la transaction avec l’avocat de Patokh Chodiev, un certain Armand De Decker, ex-sénateur MR. Enfin, dans un courrier du 12 mai, il signale à Marc de le Court que l’affaire peut rapporter 20 millions d’euros à l’Etat.

Dans ces conditions, l’ex-procureur général de Bruxelles pouvait-il ignorer, le 18 mai, qu’une transaction se préparait pour Chodiev ? Quelles furent les "circonstances exceptionnelles" permettant la conclusion de cette transaction, le 17 juin ? S’agissait-il de répondre à une demande de la France de régler rapidement le cas Chodiev (c’est cela le cœur du Kazakhgate) ? Le haut magistrat sera réentendu par la commission le 5 juillet prochain.

Antoine Clevers

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