Des sans-papiers logés dans un bâtiment réquisitionné à Etterbeek : "Le propriétaire n’était pas heureux mais aimable"
Publié le 25-07-2017 à 07h07 - Mis à jour le 25-07-2017 à 11h04
Le collectif "La voix des sans-papiers" s’est installé dimanche soir dans une ancienne maison de repos située à Etterbeek. Le bourgmestre de la commune, Vincent De Wolf (MR), a réquisitionné ce bâtiment privé pour y loger la cinquantaine de sans-papiers. L’utilisation de la procédure est une première en Région bruxelloise. Devant le 269 de l’avenue d’Auderghem à Etterbeek, les caisses et les matelas s’entassent. Le bâtiment de trois étages, une ancienne maison de repos, va reprendre vie. A l’intérieur, de forts effluves d’eau de javel viennent piquer les narines des futurs habitants. Une cinquantaine d’hommes et de femmes s’affairent à nettoyer en profondeur l’espace qu’ils occuperont jusqu’au 14 septembre. Il s’agit de sans-papiers originaires d’Afrique. La plupart sont d’anciens demandeurs d’asile déboutés.

Un collectif qui déménage
Dans la pièce qui servira de salle commune, des matelas sont empilés. A côté, une pièce, encore vide, servira de cuisine commune. Les quelques vivres y sont déposés à même le sol mais il n’y a pas encore de plaques de cuisson. Lundi matin, les nombreuses associations et syndicats qui soutiennent le collectif étaient au rendez-vous pour les aider à emménager. La FGTB a fait venir une camionnette pour le transport des matelas.

Dans la cage d’escalier étroite, des bouchons se forment. Des meubles sont montés à l’étage, ce qui demande beaucoup d’attention. Les chambres ont été distribuées entre les occupants et chacun est en train de créer son cocon. Les femmes seront au premier et les hommes occuperont les deuxième et troisième étages. Chaque chambre, d’une quinzaine de mètres carrés, dispose d’une petite kitchenette ainsi que d’une salle de bain avec toilettes et accueillera trois occupants.
Bajy Oumou, 45 ans, frotte avec acharnement le sol plastifié, effet parquet, de sa chambre. Elle a le sourire. Elle est soulagée de pouvoir occuper cet espace avec deux autres femmes qui font partie du collectif depuis sa création, en 2014. "Il y a eu trois endroits principaux dans lesquels nous avons logé. Une ancienne maison de repos près du métro Ribaucourt, notre ancien logement à Ixelles et, maintenant, cet endroit. En moins d’un an nous avons parfois dû déménager cinq ou six fois."

Malheureusement, les chambres ne sont pas encore alimentées en eau et les kichenettes, les toilettes et les douches sont pour le moment inutilisables. "Des ouvriers de la commune sont passés et le problème sera bientôt réglé", explique Baidy, 29 ans, originaire de Mauritanie. En attendant, une réserve d’eau de la protection civile a été placée dans le hall d’entrée.
Alors que la fourmilière s’active à rendre les lieux habitables, Baidy explique que le collectif est très organisé. "Nous avons l’habitude de bouger sans cesse. Nous prévoyons toujours une équipe cuisine, une équipe nettoyage, une équipe communication et une équipe pour la sécurité, au cas où quelqu’un voudrait pénétrer de force dans le bâtiment."

Les cinquante migrants sont sous la responsabilité de Vincent De Wolf (MR), bourgmestre d’Etterbeek. "C’est lui qui peut décider de nous mettre à la porte". Cependant, le collectif espère que la réquisition du bâtiment s’étendra après le 14 septembre. En effet, l’ancienne maison de repos devra être transformée en kots pour les étudiants de l’Université libre de Bruxelles (ULB). "Si les travaux débutent avec du retard, nous pourrons peut-être y rester plus longtemps", espère Baidy. Dans le contrat passé avec le bourgmestre, il est stipulé que le bâtiment ne pourra pas accueillir plus de 65 personnes.
Sans attaches
Le fait de devoir sans cesse trouver un nouveau toit est très difficile à endurer psychologiquement pour ces sans-papiers. "Surtout pour la dizaine d’enfants. Ils arrivent dans une école et parfois, un mois plus tard, ils doivent déjà la quitter. Cela rend leur apprentissage plus compliqué", explique un jeune homme qui observe les passages dans le hall d’entrée.

Droit au logement versus droit à la propriété
Il y a quelques années, il y a eu, à Bruxelles, plusieurs cas d’occupation illégale et forcée de grands immeubles vides : l’hôtel Tagawa (1999), l’église du Gésu (2007), l’ancien bâtiment des contributions de la place Morichar (2009), l’immeuble de bureaux rue Belliard 45 (2009). Des squats d’ampleur effectués en référence à l’article 23 de la Constitution garantissant notamment le droit à un logement décent.
En effet, pour peu qu’un occupant puisse justifier une occupation personnelle d’un lieu (y ayant passé une nuit avec ses affaires, par exemple), sans effraction (ce qui suppose parfois de… remplacer le barillet cassé), il ne peut être délogé. "Le droit au logement prime sur le droit à la propriété. La personne qui occupe les lieux peut en refuser l’entrée. Pour procéder à l’expulsion, il faut passer par le tribunal de première instance ou par la justice de paix", confirme Véronique Gérard, coordinatrice au sein de la Fébul, la Fédération bruxelloise de l’union pour le logement. "Ce qui ne veut bien sûr pas dire que n’importe qui peut entrer dans une habitation qui serait inoccupée ne fût-ce que pendant quelques mois", rassure-t-elle.
La proposition de loi actuellement en discussion en commission Justice, visant à pénaliser davantage le squat, l’interpelle d’autant plus. "Parce qu’il y a assez d’outils permettant aux propriétaires de récupérer rapidement leur bien - en moins de 3 semaines."
Si, aujourd’hui, ce type de croisades - à l’instar de celle du collectif "La voix des sans-papiers" - est rarissime, ce n’est ni par manque d’offres (il reste beaucoup de bâtiments vides à Bruxelles), ni par manque de demandes. Mais plutôt que désormais, sauf dans le cas d’une médiatisation intentionnelle de revendications politiques, les associations qui défendent le droit au logement tentent d’abord la conciliation avec les propriétaires. "On lutte contre les logements vides en attente de permis ou de travaux, poursuit Véronique Gérard. Car le vide crée le chancre. On négocie avec les propriétaires pour pouvoir occuper leur bien de manière temporaire. Convention à l’appui, ce qui suppose une responsabilité dans notre chef." Ces 7-8 dernières années, la Fébul a signé une cinquantaine de conventions. Pas pour des immeubles de bureaux "trop grands et difficiles à gérer", mais plutôt pour des immeubles résidentiels ou assimilés à taille humaine.

3 questions à Vincent De Wolf, bourgmestre d’Etterbeek (MR)
1. Il s’agit du premier cas de réquisition en Région bruxelloise. Pour l’exemple ou parce qu’il n’y avait pas d’autre choix ?
Le collectif a pénétré par effraction dans un immeuble communal, ce que je trouve inacceptable. Cet immeuble étant insuffisamment sécurisé (incendie…) et dangereux pour les occupants, on les a relogés dans le gymnase, qui, dans notre plan catastrophe, est le lieu permettant un hébergement d’ampleur. Mais j’avais un ultimatum, car 48 heures plus tard, 200 enfants y effectuaient un stage sportif. Tout le week-end, on a pris des contacts pour voir s’il y avait un bâtiment public disponible. C’est alors que je me suis rappelé qu’un permis d’urbanisme de reconversion/transformation d’un logement collectif (un ancien home pour personnes âgées) en logements pour étudiants (de l’ULB) avait été déposé à la commune, qui correspondait à l’usage.
2. Comment a réagi le propriétaire ?
Le propriétaire n’ayant pas encore de permis, ni commencé ses travaux, l’occupation ne pouvait lui causer de préjudice. Mon choix était fait. J’ai d’abord contacté le recteur de l’ULB qui m’a assuré de son soutien moral. Puis le propriétaire qui n’était pas heureux, mais aimable et conciliant. Il y a alors eu un travail de rédaction pour bétonner l’arrêté car une réquisition d’un bien privé pour une telle fonction, dans une telle urgence, cela ne s’était encore jamais fait en Région bruxelloise. Même si on a veillé à concilier les parties avant de la mettre en œuvre, il s’agit bel et bien d’une réquisition, effectuée de manière obligatoire, coercitive. Si nous n’avions pas eu accès au bâtiment, nous y serions entrés en force. C’est une révolution dans le droit au logement. Les collectifs et les partis de gauche et d’extrême gauche qui soutenaient les sans-papiers étaient stupéfaits.
3. L’occupation est prévue jusqu’au 15 septembre ? Avec ou sans indemnités ? Avec ou sans prolongation ?
Le propriétaire a planifié des travaux à partir du 15 septembre. Nous avons signé une convention avec les sans-papiers qui se sont engagés à quitter le bâtiment le 14 septembre à midi. Si les travaux sont retardés pour quelque raison que ce soit, on pourra prévoir une prolongation. Quant aux indemnités, il n’y en aura pas puisque j’ai obtenu que le collectif paye l’eau et l’électricité. J’ai également été attentif aux dégâts éventuels. La reconversion de l’immeuble prévoyant la démolition de tout l’intérieur, c’est sans risque.
