Dans la langue française, le féminin n'a pas toujours été l'exception
- Publié le 13-08-2017 à 18h52
- Mis à jour le 13-08-2017 à 21h58
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Des alternatives voient le jour contre la règle du "masculin qui l'emporte". Les institutions compétentes sont plus réticentes à une réelle réforme.
Sur les réseaux sociaux, dans les communiqués ou les offres d’emploi, un nouveau type d’écriture apparaît parfois : "Cher. ère.s ami.e.s", "Recherche un-e assistant-e"… L’objectif d’un tel type d’écriture est de donner une visibilité au féminin dans la langue française.
Les règles d’accord avec "le masculin qui l’emporte", les pronoms utilisés et le genre, souvent masculin, du vocabulaire employé rendent le féminin invisible. Les revendications ne sont pas ici de féminiser la langue française mais de mettre fin à la soi-disant neutralité ou universalité du masculin.
L’écriture inclusive
Le "e", ajouté afin d’inclure le féminin, n’est pas la seule technique utilisée. Une attention est également portée aux termes, pronoms et expressions employés. L’ensemble de ces alternatives constituent ce que l’on nomme "l’écriture inclusive".
"La société rend déjà absent le féminin et la langue française en fait de même. Même la plupart des métiers sont masculins, comme si une femme ne pouvait pas être docteur, auteur ou écrivain", explique Camille Wernaers, chargée de communication à Amazone, une association pour l’égalité de genre.
L’association pratique l’écriture inclusive, tout comme Alter Visio, une organisation de jeunesse LGBTQI. "C’est une question de bienveillance aussi. Nous ne connaissons pas toujours l’identité de nos destinataires. Il peut y avoir un transgenre", explique Xavier Wyns, détaché pédagogique. Le sujet est également défendu par des groupes plus politiques, notamment celui des Femmes prévoyantes socialistes et Ecolo J.
La question n’est pas d’accepter un anglicanisme, un néologisme ou une nouvelle réforme de l’orthographe. L’objectif est plus profond : s’attaquer aux messages idéologiques, politiques et culturels véhiculés par la langue. Un combat loin d’être futile pour ses partisans, qui admettent toutefois que leurs opposants ne sont pas spécialement tous des misogynes.
Le féminin n’a pas toujours été l’exception
Face à l’argument de la tradition, les participants rappellent que la règle de proximité - qui veut que l’accord se fait avec le genre du terme le plus proche - a été appliquée jusqu’au XVIIIe siècle. Ce sont des hommes qui ont œuvré à sa disparition.
En 1675, l’abbé Dominique Bouhours écrit que "lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte". En 1767, le grammairien Nicolas Beauzée précise : "Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle."
Le terme "féministe", utilisé pour qualifier cette lutte, est lui-même un exemple du sexisme de la langue. Les féministes revendiquent des droits pour les femmes mais, plus généralement, l’égalité des sexes. Les avancées pour les hommes, aussi cantonnés dans un rôle social, sont toutefois cachées par l’emploi du féminin. Les partisans de l’écriture inclusive se demandent pourquoi, à l’inverse, toutes les notions se rapportant à l'homme peuvent, elles, inclure la femme.
Ne pas complexifier notre langue et son apprentissage
Les alternatives, proposées par l’écriture inclusive pour tendre à l’égalité entre les genres dans la langue française, ne sont pas toutes applicables. Ce sont les dires de plusieurs institutions compétentes. Si la volonté d’égalité des sexes existe, la prudence et le pragmatisme l’emportent sur de réelles réformes.
Au sein du ministère de la Culture de la Communauté française est établi un service général des lettres et du livre, dont dépendent notamment l’Académie royale de langue et de littérature françaises et la Direction de la langue française.
L’Académie se dit "favorable à la féminisation mais certaines divergences subsistent quant aux modalités". Quant à la Direction, un conseil en son sein a publié en 2014 la troisième édition de son "Guide de féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre". L’ouvrage, voulu par un décret de 1993, se limite au vocabulaire.
Avoir des bases grammaticales solides
Le ministère de l’Enseignement est également compétent. "Les éditeurs de manuels scolaires veillent de plus en plus à respecter la dimension de genres. Ce choix est positif pour susciter dès le plus jeune âge le respect de l’égalité hommes/femmes. Mais tendre vers une obligation d’apprentissage de l’écriture inclusive à l’école risque de complexifier l’enseignement du français", indique le ministère. Benoit Wautelet, co-auteur de livres d’orthographe grammaticale, confirme : "Les enfants doivent acquérir une base grammaticale solide."
La situation n’est pas la même avec les étudiants du cycle supérieur. "Nous les sensibilisons à cette problématique", confie Benoit Wautelet, qui forme également de futurs instituteurs du primaire. "J’attire l’attention des étudiants sur le côté contre-intuitif : un seul homme dans un groupe fera que le tout est masculin", précise Pascale Vielle, professeure de "Droit et genre" à l’UCL.
Des règles qui ne sont pas anodines
Outre la féminisation des titres et fonctions, "les définissants comportent souvent les deux genres", explique l’éditeur du "Petit Robert", dictionnaire usuel édité en France. Ainsi, "assembleur" est défini par "ouvrier, ouvrière qui…". Autre modification : "Les cheveux ne sont plus des caractéristiques de l’homme mais de l’être humain", précise l’éditeur.
Quant à la Direction de l’Egalité des chances en Communauté française, elle fournit des "Trucs et astuces pour les communicateur-trice-s". "La langue contribue à l’invisibilité des femmes et nous luttons contre cela", explique Deborah Kupperberg, attachée de la Direction. Si ce service public utilise l’écriture inclusive, il ne l’impose pas.
Pour les adeptes de l’écriture inclusive, ces règles de français ne sont toutefois pas anodines : elles contribueraient, dès l’enfance, à une culture phallocratique.
Qu'est-ce que l’écriture inclusive ?
Le terme “écriture inclusive” vise l’ensemble des alternatives utilisées afin de rendre visible le genre féminin dans la langue française. Par exemple, écrire“ami-e-s” ou “il/elle”. Sont privilégiés les termes épicènes – masculins ou féminins sans variation de forme, comme un ou une “élève” – ou génériques – genrés mais qui renvoient à un référent non genré comme “une personne”. Les expressions stéréotypées, telles que “le panier de la ménagère”, sont évitées. Les titres et les fonctions sont neutres ou renvoient aux deux sexes.