"Le texte sur les visites domiciliaires est contraire aux droits européen, pénal et constitutionnel"
Publié le 09-04-2018 à 18h33 - Mis à jour le 11-04-2018 à 10h10
Paul Martens, qui fut, notamment, président de la Cour constitutionnelle, a démontré en quoi le projet de loi sur les visites domiciliaires contrevient aux droits pénal, constitutionnel et européen.
Il s’est interrogé sur les fondements du droit qui pourraient déroger aux principes, qu’il qualifie de "civilisationnels", de l’inviolabilité du domicile et du respect à la vie privée.
Il a beau chercher : les visites domiciliaires que pourrait ordonner l’Office des étrangers ne rencontrent aucune des conditions énumérées par la Cour de cassation pour permettre aux services de police de pénétrer de force chez un tiers.
La lecture de la directive européenne qui aborde la question ne permet pas davantage, selon M. Martens, de justifier l’usage de la force tel qu’il est prévu par le projet de loi. Cet usage doit être mis en œuvre conformément aux droits fondamentaux, dit la directive - laquelle pose des limites. On ne peut se fonder sur elle pour justifier les visites domiciliaires prévues par le gouvernement, observe Paul Martens.
Aucun contrôle réel et aucun recours
Ce dernier rappelle également que la Cour constitutionnelle a établi que les perquisitions chez un suspect ne peuvent avoir lieu que si un magistrat indépendant et impartial en a contrôlé la légalité, la nécessité et l’efficacité. Si ces conditions n’ont pas été réunies, il faut permettre au suspect de saisir la justice de l’illégalité éventuelle de la "visite".
Enfin, cette visite ne peut viser que les suspects d’activités illégales de nature pénale. Or, selon Paul Martens, rien de tout cela n’est visé par le projet de loi en question, qui n’offre aucune des garanties exigées par la Constitution.
M. Martens enfonce le clou en indiquant qu’il ne connaît aucune disposition autre que pénale qui permettrait de pénétrer chez un tiers non suspect d’infraction, comme l’est l’hébergeur d’un étranger en séjour illégal. Il s’étonne donc que le projet de loi ne voie aucun problème à cette démarche.
Un juge ravalé au rang d’"estampilleur"
Certes, ajoute-t-il, les auteurs du texte se reposent, à cet égard, sur une directive des procureurs généraux mais c’est à mauvais escient, selon lui. Les procureurs, se livrant à une construction juridique plutôt fine, vont trouver dans l’article 40 de la Constitution, affirmant que les arrêts et les jugements sont exécutés au nom du Roi, un argument qui permettrait de déroger au principe de l’inviolabilité du domicile consacré par l’article 15. Mais, commente M. Martens, "ce raisonnement ne vaut que pour les décisions pénales prises par un juge. Le projet de loi vise, lui, une décision administrative à propos de laquelle l’article 40 ne peut jouer".
Qui relève encore que le projet ne donne au juge d’instruction qu’un rôle "d’estampilleur". C’est bien l’Office des étrangers qui fait le tri et choisit les suspects à "traquer". C’est, selon l’orateur, une atteinte à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance du juge.
Paul Martens s’insurge enfin contre le fait que le projet de loi, en permettant aux policiers d’entrer chez eux, "criminalise" d’une manière ou d’une autre les tiers "hébergeurs", alors même qu’ils n’ont pas commis d’infraction pénale et qu’ils ont agi dans un but humanitaire et sans but lucratif.
C’est contraire au droit européen, scande-t-il, avant de citer Winston Churchill et cette formule qui résume bien l’enjeu du dossier : "La démocratie, c’est quand quelqu’un sonne à votre porte à 5 heures du matin et que vous pouvez vous dire que c’est le laitier."