Les Belges et leurs "amigrants": "Des milliers de citoyens sont prêts à rebondir au parc Maximilien"
Depuis septembre, des familles hébergent les migrants de passage à Bruxelles. Après 8 mois, il n’y a toujours pas de solution politique. La mobilisation reste intacte mais elle va changer de forme. Les bénévoles vont quitter le parc.
- Publié le 16-04-2018 à 07h01
- Mis à jour le 16-04-2018 à 09h25
Depuis septembre, la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés organise l’hébergement des migrants de passage à Bruxelles. Comment cette mobilisation citoyenne sans précédent va-t-elle se poursuivre ? Les réponses de Mehdi Kassou, porte-parole.
Depuis deux semaines, les bénévoles ont du mal à vider le parc Maximilien. Le mouvement s’essouffle ?
Non. Même s’il y a une fatigue psychologique chez les hébergeurs et physique chez les chauffeurs, nous continuons chaque jour à recevoir de nouvelles propositions d’accueil. Pour beaucoup de familles, l’hébergement d’urgence s’est converti en accompagnement de longue durée.
Mais comment expliquer qu’il reste parfois 10, 20 ou 30 migrants sans toit pour la nuit ?
Dans le public qu’on absorbe, il y a 50 à 60 personnes qui ne sont pas des migrants mais des SDF, des sans-papiers, des personnes avec des problèmes psychiatriques… Ils débarquent au parc Maximilien parce qu’on est en première ligne. Ce phénomène s’est accentué depuis la fin du dispositif hiver bruxellois le 31 mars. Hier soir, un quart des 200 lits de la Porte d’Ulysse étaient occupés par des personnes dans une situation sociale différente de celle des migrants. Quand on sait qu’on quitte le Parc en laissant des gars derrière, c’est très frustrant.
N’est-ce pas au politique d’assumer ces rôles ?
On est en pleine réflexion : va-t-on aujourd’hui structurer ce qu’on a mis sur pied dans l’urgence et remplacer définitivement le gouvernement dans son rôle ? On se demande très sérieusement si on va envisager une suite au dispositif de la Porte d’Ulysse après le 1er mai . La ville de Bruxelles, avec qui on avait négocié une convention pour louer le bâtiment jusqu’au 30 avril, est d’accord de continuer si on souhaite maintenir le dispositif en vie.

La Porte d’Ulysse accueillera ses derniers invités la nuit du 26 avril. Y aura-t-il une suite ?
La vraie question, c’est celle-ci : réclame-t-on des moyens pour organiser un accueil de nuit après le 1er mai ou tire-t-on notre révérence comme le fait l’ensemble du secteur de l’aide aux plus vulnérables une fois l’hiver passé ? Et on recommencerait à faire ce qu’on faisait avant l’hébergement : distribuer des sacs de couchage, des vêtements…
Que faudrait-il pour prolonger un dispositif de ce type ?
Si on veut le maintenir, il faut qu’on ait les moyens de mettre en place des équipes complètes, formées et rémunérées et des moyens pour assurer le minimum d’approvisionnement en eau et en denrées non périssables, les urgences médicales et les transports. Aujourd’hui, on a dépassé la barre des 20 000 nuitées en dépendant des dons. Ce laboratoire nécessite des moyens énormes : il faut 150 bénévoles pour faire tourner la machine pendant une semaine ! Il y a 200 repas à préparer par jour, autant de lits… Tout est pris en charge par des citoyens. C’est littéralement miraculeux d’être passé à travers l’hiver comme ça. Il n’y a eu qu’une quinzaine d’incidents mineurs – c’est important de le préciser . Ils sont souvent liés à des problèmes d’alcool, de drogue, de violence… et provoqués par des personnes qui ne trouvent pas de places dans les autres dispositifs et veulent bénéficier de l’accueil chez nous.
Et l’hébergement en famille ? Va-t-il se poursuivre ?
La réflexion est différente. On ne peut plus, nous, bénévoles, continuer à se relayer tous les soirs comme on le fait depuis 8 mois. C’est intenable. Il y a une fatigue physique mais surtout un épuisement émotionnel. Il faut qu’on sorte du parc Maximilien et qu’on ne soit plus dans un mécanisme d’urgence tous les soirs entre 20h et une heure du matin. On ne peut pas maintenir l’action sous cette forme-là.
Comment alors ?
Il faudrait le faire de manière plus organisée. On pourrait passer par une identification des familles qui souhaitent continuer l’hébergement avec les migrants les plus vulnérables : les femmes et les mineurs. On pourrait alors orienter les migrants qui seraient eux identifiés via le hub humanitaire, à la gare du Nord, vers les familles. On pourrait aussi, en amont, constituer une base de données d’hébergeurs qui accepteraient de travailler dans l’urgence et vers qui on pourrait diriger les migrants qu’on a repérés à l’issue d’une maraude. Tout cela reste très hypothétique. Notre force reste l’adaptation à la réalité du terrain. Le besoin fera notre action. Nous avons des milliers de citoyens bénévoles prêts à rebondir s’il le faut.
Combien de migrants pourraient ainsi être pris en charge ?
Si on poursuit avec un dispositif similaire à la Porte d’Ulysse avec 250 places et qu’on place 50 femmes et mineurs en famille, on hébergerait tous les jours 300 personnes.
Ce qui veut dire que 200 gars resteraient sur le carreau ?
Nous, bande d’amateurs citoyens, avons fait tout ce qu’on pouvait en espérant faire changer les choses. Après huit mois, il n’y a pas de solution. S’il reste 200 personnes à la rue, les moins fragilisées, le gouvernement les verra, les entendra et réalisera qu’elles existent. Aujourd’hui, le fait est qu’on cache le problème en hébergeant tous les jours 500 à 600 personnes. Theo Francken a raison de dire qu’il n’y a personne au parc Maximilien. De là à dire qu’il ne s’y passe rien, c’est autre chose. Il ne faut pas que notre mobilisation invisibilise le problème et permette au gouvernement de se reposer sur notre action.
Un événement festif le 1er mai, entre sitting et pique-nique
La semaine dernière, Mehdi Kassou a posté un message sibyllin sur la page Facebook de la Plateforme citoyenne : “Bloquez votre 1er Mai :) Enfants et compagnons acceptés. Pour le reste, surprise :)”
Il lève un coin du voile. “On voudrait rassembler tous les hébergeurs, chauffeurs et sympathisants dans un lieu symbolique et partager un moment ensemble. Pour se rappeler qu’à la base, ce sont des citoyens qui ont pris les choses en mains. Ce n’est pas une manifestation. On a opté pour une formule “sit-nic”, entre sitting et pique-nique. On va juste se retrouver quelque part, s’installer, casser la croûte, peut-être faire un barbecue, mettre un peu de musique et jouer au foot.”
La Plateforme convoquera la presse pour faire un état des lieux de ce qui a été réalisé (nombre d’hébergements, d’interpellations, de motions contre les visites domiciliaires, de logements collectifs…) et présenter les nouveaux projets. “On veut rappeler que près de 5 000 familles se sont relayées pendant 8 mois dans toute la Belgique pour accueillir des migrants. Avec l’aide de chauffeurs, de groupes locaux de soutien alimentaire et d’autres initiatives pour récolter des vêtements, des téléphones…”
La Plateforme compte aujourd’hui plus de 40 000 membres. Au total, plus de 100 000 nuitées ont déjà été offertes par les familles et la Porte d’Ulysse, précise le porte-parole de cette chaîne de solidarité. Grâce à cette mobilisation, les migrants sont aujourd’hui suivis et accompagnés. “On a réussi à fédérer au niveau citoyen mais aussi au niveau des ONG : Médecins du Monde, Médecins sans frontières, Oxfam, la Croix-Rouge, le Ciré… L’ensemble de la société civile s’est serré les coudes”, se réjouit Mehdi Kassou.