Attentats de Paris: un quatrième commando aurait dû frapper la capitale française le 13 novembre 2015 (Récit)
Publié le 19-04-2018 à 06h31 - Mis à jour le 19-04-2018 à 11h10
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/WHGLJYCNUFFTTAX3DWYZEZN7PA.jpg)
On peut déduire de retranscriptions d’auditions que quatre commandos et non trois auraient dû frapper Paris. Deux hommes ont été arrêtés avant de commettre l’irréparable. Leurs auditions, sur lesquelles "La Libre" a jeté un œil, révèlent le rôle joué par un certain "Abou Ahmed", qui pourrait être le Belge Oussama Atar.
"Abou Ahmed me disait que je devrais me suicider en France. Il me racontait que la vie actuelle ne ressemble à rien. Il me disait qu’une vie paisible m’attend au paradis si je mets fin à ma vie." Ces phrases ont été prononcées dans l’un de ses interrogatoires par Muhammad Usman l’un des terroristes qui aurait dû frapper, sur une cible indéterminée, en France le 13 novembre 2015.
"La Libre" a consulté les retranscriptions de ses auditions en Autriche, ainsi que celles de son compagnon, Adel Haddadi, qui aurait dû commettre avec lui un attentat-suicide. Ces retranscriptions apportent un éclairage sur le recrutement de ces terroristes, leur parcours sur le chemin des réfugiés et les contacts qu’ils avaient en route avec leurs commanditaires - dont le fameux "Abou Ahmed". Pour rappel, ce dernier, qui pourrait être le Belge Oussama Atar, était le dernier contact en Syrie des deux terroristes qui se sont fait exploser le 22 mars 2016 à l’aéroport de Bruxelles-National.
On peut en déduire que quatre commandos - et non pas trois - auraient dû frapper à Paris. Les équipes comportaient majoritairement des Belges et des Français. La seule exception était les deux Irakiens qui se sont fait exploser avec le Bruxellois Bilal Hadfi au Stade de France.
Arrêtés avec de faux passeports
Les deux kamikazes irakiens avaient gagné la France en empruntant le chemin des réfugiés. Ils avaient quitté Raqqa, le bastion de l’Etat islamique en Irak, en compagnie d’Adel Haddadi et de Muhammad Usman.
Mais ces deux derniers ont été retardés. Lors des contrôles de passeport sur l’île grecque de Leros, premier accès au territoire Schengen, les douanes ont détecté leurs faux passeports syriens. Ils ont été incarcérés entre le 3 octobre et le 28 octobre 2015. Leurs deux compagnons irakiens étaient passés entre les mailles du filet et avaient pu poursuivre leur route.
Adel Haddadi et Muhammad Usman seront arrêtés le 10 décembre 2015, près d’un mois après les attentats de Paris dans un centre d’accueil pour réfugiés à Salzbourg où ils ont été longtemps interrogés par la police. Ils ont été remis à la France où ils sont désormais incarcérés.

Le parcours avorté de 2 terroristes partis de Syrie pour participer aux attentats de Paris (Récit)
A l’entendre, rien ne semblait prédestiner Adel Haddadi, un Algérien de 30 ans, à devenir un terroriste qui aurait dû commettre un attentat en Europe s’il n’avait pas été arrêté. Fin février 2015, Adel Haddadi, aidé de passeurs qui lui ont montré un chemin escarpé, a gagné la Syrie au départ de la Turquie. "Là-bas, deux ou trois personnes attendaient. Elles étaient habillées en noir et armées de kalachnikov."
La zone était alors contrôlée par l’Etat islamique. Haddadi est resté deux mois dans une petite ville, où il a suivi un premier entraînement. En avril, il a gagné Raqqa. Il affirme y avoir travaillé plusieurs mois dans un restaurant.
"Un Syrien est venu me voir un jour dans la cuisine et m’a dit qu’Abou Ahmed voulait me parler. C’était environ 10 jours avant que je quitte Raqqa. J’ai quitté Raqqa le 27 septembre 2015", explique Haddadi au cours d’un de ses interrogatoires.
Adel Haddadi sera emmené dans un appartement où il sera abordé par, dit-il, un Saoudien "très sérieux, calme, pas du tout stressé".
"Une mission pour Allah"
"Il ne m’a dit que des choses positives sur moi, que ceux de Daech me faisaient confiance, que je devais maintenant prouver la confiance. Il m’a dit que ceux de Daech allaient m’envoyer en France et que je devrais faire tout ce qu’un homme exigerait de moi en France. Il a dit que j’irai en France avec les réfugiés. Que je devais remplir une mission pour Allah. Il n’a pas donné de détails. Les détails, je les aurais quand j’arriverais en France", poursuit Adel Haddadi. Quelques heures plus tard, "Abou Ahmed est venu. Il avait apporté à manger et est reparti presque tout de suite".
Trois compagnons le rejoindront dans l’appartement : les deux kamikazes irakiens qui frapperont au stade de France et Muhammad Usman, un Pakistanais de 24 ans, qui, d’après les services de renseignements, serait connu pour être artificier au sein d’un groupe djihadiste pakistanais penjabi "Lashkar e Jhangvi" ou "Lashkar e Taiba".
Ils resteront quelques jours dans cet appartement. Ils y recevront des visites d’Abou Ahmed, qui leur confiera à chacun, avant leur départ, 2 000 dollars, en billets de 100 dollars. Au cours de ces interrogatoires en Autriche, Adel Haddadi dit ne pas avoir reçu de mission spécifique. "Abou Ahmed m’a dit alors que je devais aller en France. Il ne m’a rien dit de plus précis."
"Se suicider en France"
Muhammad Usman, dans ses interrogatoires, sera bien plus clair : "Abou Ahmed me disait que je devrais me suicider en France. Il me racontait que la vie actuelle ne ressemble à rien. Il me disait qu’une vie paisible m’attend au paradis si je mets fin à ma vie."
Dans une autre audition, Muhammad Usman a raconté qu’il avait acquiescé quand Abou Ahmed lui avait dit : "Tu dois aller en France et y mettre fin à ta vie."
Les quatre hommes, selon les aveux d’Haddadi, seront conduits dans une boutique de photographie. Les photos d’identité seront apposées dans des faux passeports qui leur seront remis après que le quatuor sera convoyé, quelques jours plus tard, à la frontière syro-turque.
C’est Abou Ahmed qui a supervisé la fabrication des passeports, a expliqué Adel Haddadi.
Le même Abou Ahmed leur a donné son numéro de portable. Haddadi recevra un GSM neuf encore emballé dans lequel était déjà insérée une carte SIM turque où était enregistré le numéro de téléphone d’Abou Ahmed.
Un bout de papier, avec ce même numéro de téléphone d’Abou Ahmed, sera retrouvé dans la poche d’une des deux kamikazes irakiens qui s’est fait exploser au Stade de France.
Téléphones et argent confisqués
Une fois en Turquie, un passeur, renseigné par Abou Ahmed, les a pris en charge. Le quatuor arrivera par la mer à Leros où Haddadi et Usman seront retenus à l’inverse des deux Irakiens dont les faux passeports ne seront pas détectés.
Incarcérés sur l’île de Kos pendant 25 jours, Haddadi et Usman verront leur argent et leurs portables confisqués.
Une fois libérés, à l’aide d’un téléphone d’un autre réfugié, "j’ai appelé Abou Ahmed et je lui ai raconté ce qui s’était passé en Grèce et que nous n’avions plus d’argent. Il a alors organisé l’envoi de 2000 euros", a expliqué Adel Haddadi, qui connaissait le numéro d’Abou Ahmed par cœur. L’argent arrivera quelques jours plus tard via Western Union au nom d’un Pakistanais qui était détenu avec eux et qui, vu qu’il avait toujours une pièce d’identité valable, pouvait retirer l’argent.
Haddadi et Usman, qui n’ont évidemment pas été attendus par les deux futurs kamikazes du Stade de France, gagneront le continent début novembre. Ils suivront le "chemin des réfugiés". Le 13 novembre 2015, jour des attentats de Paris, ils étaient en Croatie.
Les contacts avec Abou Ahmed se faisaient toujours, selon Haddadi, via la messagerie cryptée Telegram, qui est liée à un numéro de téléphone portable. C’était Haddadi qui les gérait, vraisemblablement car Usman, à qui Abou Ahmed avait dit qu’il "devrait toujours rester avec Haddadi", ne parlait pas arabe.
Les échanges se feront de manière codée : "Bien mon oncle, je suis en chemin mon vieux", ou "Ma tante te transmet mille bises". A chaque passage de frontière, Abou Ahmed sera informé par Adel Haddadi.
Le dernier échange, selon ses aveux, a eu lieu début décembre alors qu’il était en Autriche où il sera arrêté quelques jours plus tard.
Oussama Atar, comment l'État belge l'a fait libérer
Dans une enquête, nos confrères de Paris Match dévoile les dessous de la libération d’Oussama Atar qui pourrait bien être une affaire d’État.