Politisation de l'administration: PS et CDH vampirisent les postes clés (TABLEAUX)
Le PS reste le maître absolu de l’administration wallonne avec 47 % des hauts postes, devant le CDH (29 %). Mais le MR améliore progressivement sa position.
Publié le 20-04-2018 à 06h51 - Mis à jour le 20-04-2018 à 07h30
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Le PS reste le maître absolu de l’administration wallonne avec 47 % des hauts postes, devant le CDH (29 %). Mais le MR améliore progressivement sa position. Personne de sérieux (ou presque) ne songerait à nier la forte politisation qui règne dans l’administration wallonne. Elle existe, à la base, chez un grand nombre de fonctionnaires. Cela se révèle encore plus important au sommet du Service public de Wallonie. Le Gerfa (Groupe d’étude et de réforme de la fonction administrative) a pu quantifier le phénomène, en dressant une cartographie de l’administration wallonne en 2018 dans son diagnostic d’avril .
Ainsi, le Gerfa a attribué une étiquette politique aux 68 postes de hauts fonctionnaires ou plus hautes fonctions du SPW (qui emploie 10.000 fonctionnaires). Cette étiquette est souvent relativement aisée à apposer : la plupart de ces hauts fonctionnaires ont transité par les cabinets ministériels ou sont engagés en politique locale. En cas de doute, les personnes sont qualifiées de non-étiquetées.
Leur constat est sans surprise : le PS reste "le maître absolu" du SPW. Mais son emprise se révèle légèrement moins importante que les années précédentes.
Ainsi, 47,05 % de ces postes sont occupés par des mandataires étiquetés socialistes. Cette proportion s’élevait à 51,56 % en 2017, et à 57,63 % en 2016. En pondérant (*) ces postes (sur base de l’importance des fonctions), ce qui reflète mieux l’influence en termes de pouvoir, ce score atteint même 53,38 % pour 2018, pour 57 % en 2017 et 62,26 % (!) en 2016.
Par effet de balancier, cette baisse s’explique par l’augmentation de postes dont l’essentiel a profité… au MR, qui occupe désormais 11,76 % des fonctions, contre à peine 6,25 % l’an dernier. En effet, quatre des six nouveaux postes attribués l’ont été à des fonctionnaires à l’étiquette libérale. Or, nul n’ignore que le MR a remplacé le PS au sein de la majorité wallonne, l’été dernier.
Coïncidence ? Certainement pas, selon Michel Legrand, président du Gerfa. " Il y a évidement un lien. Le MR reprend des positions petit à petit depuis qu’ils sont au pouvoir. L’an prochain, il est probable qu’ils auront atteint les 20 %. Pour les experts effectifs, la promotion dépend du gouvernement, sur proposition du comité de direction. Pour les faisant-fonction, la décision est laissée à la discrétion du ministre. M ais quand le système est colonisé à ce point, comme avec le PS et le CDH actuellement, il n’est pas possible de reprendre position plus rapidement ", assure Michel Legrand. " Le MR exerce une percée significative au niveau des Inspecteurs généraux . Mais le parti reste absent au sommet de la haute hiérarchie. Car pour les fonctions plus élevées, il devra attendre la fin de la législature. Ici, les nouveaux postes obtenus le sont suite au décès ou à la retraite de personnes en poste. Ils devront attendre la suite des prochaines élections pour les postes dirigeants. Car les directeurs généraux sont nommés sur mandats de 5 ans. D’ailleurs, au PS, ils frémissent avec l’arrivée des prochaines élections. "
De son côté, le CDH conserve une position très enviable, surtout en comparaison de son score électoral. Le parti subit cependant la même érosion que le PS et descend sous les 30 % (29,41 %). Le couple PS-CDH occupe à lui seul 81,7 % des postes (chiffres pondérés.)
Ecolo, quant à lui, maintient sa maigre position avec à peine 3 % des postes. "C’est le seul parti qui n’a pas profité de son passage au pouvoir pour coloniser l’administration. C’est à souligner", reprend le président du Gerfa.
Enfin, 6,76 % des postes sont occupés par des non-étiquetés : c’est à peine plus qu’en 2017 (6 %). Constat : la politisation ne recule guère, ou alors, très lentement. Et l’arrivée du MR au pouvoir ne change pas la donne. "La politisation serait la même avec le MR au pouvoir qu’avec le PS", conclut Michel Legrand. "Il s’agit d’un cercle vicieux sans fin, où chacun, quand il reprend le pouvoir, veut récupérer sa part du gâteau."
Adrien de Marneffe * 15 points pour le Secrétaire général, qui cumule avec le personnel, 10 points pour chaque directeur général mandataire, 5 points pour chaque inspecteur général mandataire et 3 points pour chaque inspecteur général effectif, expert, ff ou contractuel .

"Le PS a fait de l’école d’administration une coquille vide "
Comment, malgré la création d’un un certificat de management public et d’une école d’administration, la politisation persiste au sein du top de l’administration.
Que la tête de l’administration wallonne soit politisée ne signifie pas qu’elle soit incompétente, tant s’en faut.
Une École d’administration publique Wallonie-Bruxelles (EAP) a été créée en 2011.
Cet établissement délivre notamment un certificat de management public (CMP), obligatoire pour obtenir un poste de haut fonctionnaire. La politisation des nominations n’a pas disparu pour autant.
"Avant de parvenir à une dépolitisation, l’essentiel est déjà de s’assurer que ceux qui accèdent à certaines fonctions soient formés et disposent du bagage suffisant. Avant l’instauration du certificat, les nominations se faisaient sur des critères peu clairs et moins objectifs", tempère un membre de la direction de l’EAP. "Renouveler les postes de hauts fonctionnaires pour parvenir à plus de pluralité prendra du temps."
Les hauts fonctionnaires eux-mêmes mettent souvent en avant, et à juste titre, les examens qu’ils ont réussis pour obtenir leur poste. Reste qu’une fois cet examen réussi, le lauréat est sélectionné et jugé par ses pairs.
En résumé, les hauts fonctionnaires sont sélectionnés parmi les titulaires du certificat.
Mais le premier classé n’obtient pas forcément le poste.
"Toute une série de dérogations existe désormais pour passer entre les mailles du filet", ajoute Michel Legrand. "Le système de nomination n’est plus du tout verrouillé comme il a pu l’être aux débuts de l’EAP. Le PS a fait de cette école d’administration une coquille vide."
Une certitude : la dépolitisation de l’administration prendrait des années. "Même s’ils en avaient la volonté, Ecolo et le MR ne disposent pas d’éléments qu’ils pourraient activer facilement pour occuper ces postes. La politisation ne bénéficie qu’aux placements à long terme, donc aux partis colonisateurs qui occupent le pouvoir de manière permanente", conclut le président du Gerfa.
Parmi les top managers du public, certains, tenus à un devoir de réserve, affirment ne jamais "avoir remarqué que l’orientation politique pouvait jouer un rôle".
Un autre avoue cependant "qu’il est toujours compliqué d’atteindre des postes de haut niveau sans être passé par des cabinets politiques", tout en précisant que "la politisation était encore bien plus importante avant."


La Fédération Wallonie-Bruxelles PS à… 69 % !
La politisation constatée au sein des services publics de Wallonie n’a rien d’un cas isolé. On la constate également, dans une moindre mesure, au sein de l’administration fédérale. La présence de deux groupes linguistiques et d’un plus grand nombre de partis atténue toutefois cette tendance. Elle reste par contre très prégnante au sein des administrations de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les dernières données (datées de juin de 2017) du Gerfa montrent que l’emprise du PS y est encore bien plus importante : 68,97 % des hauts fonctionnaires de la Communauté française sont étiquetés PS.
Le PS conservant sa place au sein de la majorité à la Fédération, il est peu probable que sa domination se soit fortement atténuée en un an… 24,14 % des hauts postes vont par ailleurs au CDH, 1,72 % à Ecolo, et 0 % (!) au MR ! 5,17 % des postes sont encore occupés par des hauts fonctionnaires non étiquetés. Le MR, qui ne comptait que deux hauts fonctionnaires en 2015, n’en possédait plus aucun en 2017.
Le Gerfa s’est également penché sur la situation bruxelloise. Les données récoltées sont éclairantes, même s’ils datent de 2014 et que les données ont pu évoluer . S’agissant de la Région bruxelloise, donc des 5,000 agents des services publics de la Région bruxelloise (SPRB), une importante politisation a été constatée également au sein des fonctions dirigeantes. Elle est cependant plus diversifiée qu’en Wallonie. Au sein du groupe linguistique francophone, le PS atteint presque 50 % (47 %), soit un score proche de celui atteint au SPW. Sur la totalité, il n’atteint "que" les 27,21 %, ce qui en fait cependant, de loin, le parti le plus puissant. Le CD&V suit avec 25,17 % (59,68 % au sein de son groupe linguistique). Vient ensuite l’Open-VLD avec 13,61 %, puis le CDH (13,60 %), Ecolo (6,80 %), le MR (6,80 %) et le SPA (3,4 %). "Les grands bénéficiaires sont le PS. Mais aussi les partis flamands qui sont surreprésentés pour un électorat de moins de 10 % !", analyse le Gerfa.
La percée du MR : "Ce n’est pas choquant"
La percée de hauts fonctionnaires MR au sein de l’administration wallonne ne surprend pas Marie Goransson, professeur en management public de l’ULB. "Le nouveau système en vigueur en Wallonie et à la Fédération Wallonie-Bruxelles laisse le choix au politique dans la sélection", contextualise-t-elle. "Que des personnes étiquetées MR puissent avoir été nommées après l’accession de ce parti à la majorité n’est pas choquant. Si l’on veut que l’administration et le politique collaborent, il faut une plus grande confiance. Ils peuvent ainsi recruter quelqu’un qui correspond à leur politique. Mais cette personne doit figurer dans le pool de lauréats ayant réussi l’examen de management de l’EAP ."
En effet, au niveau wallon, les hauts fonctionnaires sont désormais nommés par mandat, d’une durée de 5 ans, comme celle de la législature politique. En cas de changement de majorité aux élections, ils peuvent être remplacés. Le système fédéral fonctionne différemment. "Et c’est dommage, car il y a une inadéquation entre la durée du mandat du fonctionnaire et celui du politique. C’est un système mi-figue-mi-raisin", reprend Marie Goransson. "L’objectif, c’est d’avoir des gens de qualité aux postes importants. Il ne s’agit pas ici de clientélisme pur, avec des personnes qui n’ont pas les qualités pour le poste. Le problème réside plutôt dans la trop grande importance des cabinets. Pour changer cela, il faut justement améliorer progressivement la confiance entre l’administration et le politique."