“Il faudrait un psychologue dans chaque maison de retraite”
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Publié le 21-07-2018 à 15h45 - Mis à jour le 07-09-2018 à 16h02
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D’ici la fin de l’année, les rendez-vous chez le psychologue seront remboursés par la sécurité sociale. Pour deux fois quatre séances (maximum), les patients ne paieront plus que 11 € par consultation.
Mais ce dispositif ne vaudra pas pour les personnes âgées. Pour des raisons budgétaires, la ministre de la Santé, Maggie De Block (Open VLD) a décidé, “en âme et conscience”, de réserver “pour le moment” le remboursement de ces soins psychologiques pour dépression, anxiété ou dépendance à l’alcool aux patients qui n’ont pas 65 ans. Avec l’espoir, à l’avenir, d’étendre ce groupe-cible aux seniors.
“Surpris, dubitatif, si pas fâché”
Dans l’intervalle, c’est l’incompréhension, voire la consternation, dans le secteur du troisième (et quatrième...) âge. Responsable de l’unité de psychologie clinique du vieillissement de l’Université de Liège, neuropsychologue, Stéphane Adam se dit “surpris, dubitatif, si pas fâché” par le choix de la ministre De Block. De bon compte, le chercheur souligne que débloquer un budget pour rembourser des consultations psychologiques, “c’est une avancée importante”. Mais les limiter avant 65 ans, “c’est, quelque chose de complètement aberrant”.

Pourquoi ? La consommation de traitements psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères..) ne fait que grimper avec l’âge, indique Stéphane Adam. Et peut-être pas toujours pour de bonnes raisons. “On a un peu tendance à voir excessivement une hausse de la dépression avec l’âge alors qu’en fait les études montrent que le bonheur ne diminue pas en vieillissant mais qu’il augmente”. Ces traitements sont proposés aux seniors de manière non correcte; l’intervention d’un psychologue permettrait d’affiner le diagnostic pour éviter une surprescription de ces psychotropes, insiste le spécialiste du vieillissement.
Des effets délétères
D’autant que tout un pan de la littérature récente montre les effets délétères de ces substances sur les personnes âgées. Au cours des tests cliniques, les antidépresseurs et les anxiolytiques ne sont administrés qu’à des patients de maximum 60 ans. A un âge plus avancé, on observerait trop d’effets secondaires qui pourraient rendre le médicament plus difficile à commercialiser, explique le chargé de cours à l’ULg. “Et donc on administre à tour de bras aux personnes âgées des médicaments qui n’ont pas nécessairement fait l’objet d’essais cliniques sur elles”.
Les effets possiblement toxiques de ces traitements sur les seniors sont, dans le même temps, de plus en plus objectivés. “La prise d’anxiolytiques et d’antidépresseurs fait augmenter le risque de chutes – un élément qui prédit l’espérance de vie de la personne âgée. Ces substances génèrent aussi des troubles du sommeil, directement en lien avec la bonne santé : plus on a de troubles du sommeil, plus on risque d’avoir une santé qui évolue négativement en vieillissant”.
Ces études font aussi apparaître que des seniors qui prennent des antidépresseurs et des anxiolytiques ont une mortalité plus importante et des risques élevés de développer une pathologie comme la maladie d’Alzheimer, très coûteuse pour la sécu, poursuit le chercheur.
Un risque de mortalité... 40 fois supérieur
On a ainsi comparé 14 000 patients Alzheimer qui prennent un anxiolytique ou un antidépresseur avec 28 000 autres patients Alzheimer, relativement équivalents dans la maladie, qui n’en prennent : l’étude a constaté que le risque de mortalité était… 40 fois supérieur pour les premiers.
“Dans la plupart des recommandations de ces publications récentes, on dit qu’il faut privilégier des approches non médicamenteuses”, insiste Stéphane Adam. Lui-même a reçu un subside européen pour déployer le soutien aux aidants de personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer (souvent des conjoints mais aussi des enfants qui ont parfois plus de 65 ans). Il propose des consultations d’une heure trente (à 65 €). “On a pu montrer que 6 séances permettaient aux patients de vivre un an de plus à la maison et que les aidants avaient eu 3 ans de moins de dépression par rapport à d’autres qui n’ont pas bénéficié de ce type de prestations. Je peux vous assurer qu’à ce jour, aucun médicament pour la maladie d’Alzheimer n’est parvenu à ce résultat !”.
L’absence d’approche psychologique de la personne âgée génère un coût sociétal et clinique très important, poursuit le chercheur. Six séances, c’est moins de 400 euros au total, pris en charge quasi à 100 % par les aidants non professionnels. A mettre en balance avec un an d’institutionnalisation, qui plombe le budget de la sécu… Si on remboursait ce type de prestations, on ferait des économies majeures en sécurité sociale, estime Stéphane Adam.
“Je pense qu’il faudrait un psychologue dans toute institution pour personnes âgées. Cela n’existe pas aujourd’hui pour répondre aux problèmes psychologiques de cette population, permettre aux patients de mieux s’adapter à cet environnement institutionnel, aborder la culpabilité des familles… Au lieu de cela, dans le secteur des maisons de retraite, on prescrit à tour de bras des médicaments qui coûtent cher à la sécu et précipitent des enjeux de santé physique et mentale assez conséquents pour les personnes”.