A l'enterrement du roi Baudouin, un casse-tête protocolaire et des invités surprenants
Après les hommages successifs des citoyens belges dès les heures qui avaient suivi l’annonce de son décès et qui étaient montés en puissance jour après jour pour se terminer par la présence de plusieurs centaines de milliers de personnes au Palais, il ne restait plus qu’à réserver de belles funérailles nationales au roi Baudouin.
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- Publié le 02-08-2018 à 07h34
- Mis à jour le 02-08-2018 à 08h04
Après les hommages successifs des citoyens belges dès les heures qui avaient suivi l’annonce de son décès et qui étaient montés en puissance jour après jour pour se terminer par la présence de plusieurs centaines de milliers de personnes au Palais, il ne restait plus qu’à réserver de belles funérailles nationales au roi Baudouin.
Elles prirent en fait une véritable dimension mondiale, planétaire… Bien sûr, lorsqu’on est le chef d’un Etat pendant plus de quatre décennies, on rencontre forcément des dizaines d’autres chefs d’Etat, de manière officielle ou privée. Bien sûr encore, lorsqu’on a la stature morale et humaine d’un Baudouin qui se doublait d’un homme de grandes convictions, on finit par les impressionner par sa droiture et son bon sens. Mais quand même, des chefs d’Etat et de gouvernements de tous les coins de la Terre se déplaceraient-ils pour rendre eux aussi hommage au Roi d’un pays qui comptait 10 millions d’habitants ?
Casse-têtes protocolaires et de sécurité
La réponse fut extraordinairement positive et posa de réels problèmes de protection et de sécurité de nombre de responsables publics de haut vol. Au fur et à mesure qu’on s’approchait de la cérémonie prévue le samedi 7 août en la cathédrale des saints Michel et Gudule, l’ultime hommage avait pris une coloration de plus en plus mondiale.
Et cela se mua aussi en casse-tête pour les responsables du protocole de l’Intérieur et des Affaires étrangères qui avaient été priés de préparer la régie de l’adieu au cinquième roi des Belges. Sans oublier qu’il fallait accueillir dignement ces invités de marque. Un fameux défi attendait aussi les responsables des Voies aériennes chargés de régler le ballet des atterrissages et envols de ces personnalités.
Tous les monarques européens
Parmi les incontournables qui avaient annoncé leur venue, il y aurait, cela allait presque sans dire, l’empereur Akihito et l’impératrice Michiko du Japon, de véritables proches pour ne pas dire des intimes de Baudouin et de Fabiola qui devaient du reste revenir exactement un mois plus tard en Belgique à l’occasion d’une visite d’Etat prévue de longue date.
Ensuite, allaient se retrouver autour de leur doyen tous les monarques européens : de Juan Carlos d’Espagne à Harald de Norvège et Margrethe du Danemark et Carl Gustaf XVI de Suède en passant par Beatrix des Pays-Bas sans oublier le Grand-Duc Jean de Luxembourg, beau-frère du roi défunt. Plus étonnante fut la présence d’Elizabeth d’Angleterre.
L’annonce de sa venue fut dans un premier temps une vraie surprise. Car la reine d’Angleterre ne se déplaçait pratiquement jamais en de telles circonstances. Mais il est vrai qu’elle était la cadette de Baudouin qui l’avait précédée sur le trône de quelques mois. Reste que les relations entre les Cours de Bruxelles et de St James n’avaient pas toujours été au zénith au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Il y eut aussi une très forte participation européenne. Bien entendu de l’Europe de l’Union dont tous les membres avaient envoyé des représentants à Bruxelles mais aussi de la Grande Europe étendue à ses territoires du centre et de l’est.
Lech Walesa et Vaclav Havel
A peine sortis de la lourde chape de la dictature communiste, les dirigeants d’Europe centrale et de l’est étaient aussi venus en grand nombre. Des "gros calibres" puisqu’on vit s’y côtoyer les présidents tchèque et polonais, Vaclav Havel et Lech Walesa. La Russie n’avait certes délégué que son vice-Premier ministre Lobov. Il passa de ce fait un peu inaperçu entre les principaux dirigeants de la Communauté européenne, dont le président de la Commission Jacques Delors qui appréciait beaucoup le roi Baudouin.
A la cathédrale, puis au déjeuner offert aux dirigeants présents, on avait mis en très bonne place François Mitterrand qui avait noué des liens particuliers avec le défunt. Plus étonnante fut la présence côte à côte des plus hauts responsables des pays de l’ex-Yougoslavie à peine sortis de la guerre. Tous ? Non, le président serbe, Slobodan Milosevic n’avait pas reçu de notification de la mort du roi Baudouin. Une manière diplomatique de lui signifier que sa présence à Bruxelles n’était pas vraiment souhaitée. Ce ne fut pas le seul président écarté. Le Zaïre qui n’était pas encore redevenu le Congo fut lui aussi ignoré. Le président Mobutu qui fit le forcing pour tenter de se faire inviter, malgré les événements tragiques de 1990, fut boycotté par les autorités belges.
Mais parmi les concélébrants prit place l’archevêque de Kisangani, Mgr Laurent Monsengwo, aujourd’hui cardinal qui représentait aussi les dirigeants zaïrois comme président du Haut Conseil de la République.
Reste à dire un mot des Etats-Unis… Bill Clinton n’entendait y déléguer que l’ancien vice-président Walter Mondale, mais c’est finalement l’ancien président Gérald Ford qui assista aux funérailles, au grand soulagement du Palais. Parmi les invités surprises de dernière minute, il y eut aussi le président égyptien Hosni Moubarak. Sa venue n’avait pas été confirmée officiellement car on craignait - déjà - pour sa sécurité.
Une célébration de gloire et d’espérance
Les personnalités présentes ne se doutaient certainement pas que la messe des funérailles du roi Baudouin serait un hommage à ses valeurs et à ses convictions. Notamment parce que la reine Fabiola avait tenu à y donner la parole à une jeune prostituée philippine, Luz Oral, qui symbolisa l’importance de lutter contre la traite des êtres humains aux côtés du journaliste flamand Chris De Stoop.
Plus surprenantes furent les présences du Dr Nathan Clumeck qui à Bruxelles s’engageait dans le combat contre le sida et de Paula D’Hondt qui fut commissaire royale à l’immigration et souligna la préoccupation du roi Baudouin pour les exclus, les démunis, les écorchés de l’existence. En même temps, ce fut aussi l’expression de la forte foi du Roi qui était entré dans "la gloire et dans l’espérance", comme la célébration fut intitulée, en passant de ce monde à celui du Père.

Canoniser le Roi ? Un faux débat pour un homme très engagé pour son prochain
Survenant trois ans après son "interruption volontaire de régner", les funérailles religieuses du roi Baudouin furent analysées par ceux qui n’avaient jamais admis l’objection de conscience du Roi. Ils avaient cependant oublié de constater que Baudouin avait tenu à ce que la loi soit promulguée. Et puis les raisons du refus étaient aussi morales que religieuses au nom de sa perception de la conscience. De toute façon comme nous le confia le cardinal Danneels, "il nous avait dit que même le Pape n’aurait pu le forcer à signer la loi"… Un propos relayé aussi par Willy Claes. La messe des funérailles "de gloire et d’espérance" s’efforça de ramener la sérénité.
Oui, le Roi était un catholique convaincu mais, comme son aïeul Léopold Ier, il aurait pu être protestant voire… libre-penseur. Ou même bouddhiste comme on le prêta assez bizarrement à cette époque-là à celle qui devint la reine Paola.
Reste qu’on chercha encore la petite bête en voyant des accents ultra-conservateurs dans la célébration qui fut surtout un reflet de l’évolution de l’Eglise. Non, le baiser de paix après le "Notre Père" n’avait rien de charismatique. Et puis l’intervention de plusieurs acteurs des combats sociétaux du roi défunt aurait dû finir de convaincre les plus sceptiques… Mais bon, dans son homélie, le cardinal Danneels brouilla malgré lui, les cartes…
Remémorons-nous ses propos : "Il y a des Rois qui sont plus que des Rois : ils sont les bergers de leur peuple […]. Cet homme portait en lui-même une chaleur, une capacité d’écoute et d’empathie à peine imaginable. […] Oui, à l’exemple de David, le grand Roi de la Bible, le roi Baudouin était le berger de son peuple. Il privilégiait les petits, les pauvres, les laissés-pour-compte […] Comme un bon berger, il n’a pas fait qu’écouter et compatir, il a donné sa vie pour les siens." De quoi ouvrir la voie à la béatification ?
Un saint ordinaire…
Sans doute. Mais 25 ans plus tard, il n’a jamais vraiment été lancé. Lors de l’hommage religieux de 2013, Mgr Danneels remit les pendules à l’heure : "Si Dieu le veut, cela viendra. Mais les statues sur les places publiques et les autels dans les églises, ce n’est que l’extérieur de la sainteté. Dieu l’a vue déjà beaucoup plus tôt." Traduisons : Baudouin n’a pas besoin d’être canonisé. Il est déjà un saint… Non pas un saint de "la Haute", mais un saint parmi les chrétiens de base qui ont vécu leur foi en accomplissant moult œuvres dans l’esprit de l’Evangile.