Une composante des terrains synthétiques pourrait nuire gravement à notre santé: la Wallonie et Bruxelles prennent les choses en main
Faute de certitudes sur la dangerosité, les pouvoirs publics jouent la carte de l’extrême prudence.
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- Publié le 12-11-2018 à 06h51
- Mis à jour le 12-11-2018 à 14h07
Faute de certitudes sur la dangerosité, les pouvoirs publics jouent la carte de l’extrême prudence.
Alors… Dangereux pour la santé ou pas, ces fameuses billes noires qui assouplissent les terrains synthétiques sur lesquels se roulent les sportifs chaque week-end ? Les innombrables études sur le sujet - près d’une centaine - disent tout et son contraire. En avril 2017, la Fifa se penchait sur la question après avoir analysé lesdites études. Elle concluait qu’il "n’existe aucun élément permettant de démontrer que le jeu sur un gazon synthétique avec des billes en caoutchouc pouvait être dangereux pour la santé". Dans une synthèse, certes destinée à défendre son business, la Fédération des acteurs des équipements de sports et de loisirs (France) expliquait de son côté qu’il "y a moins d’arsenic dans ces billes que dans le riz, moins de benzène que dans le homard ou les sodas, moins de chrome et de plomb que dans les sols naturels"…
De quoi rassurer les parents de Bruxelles et de Wallonie ? Bien au contraire. Vendredi dernier, la commune d’Anvaing validait une décision prise en mars dernier : le remplacement des billes de pneus recyclés de son tout nouveau terrain synthétique par des billes de type Ecofill - des coques de noix de coco écrasées et pulvérisées puis mélangées avec de la fibre de coco. La commune de Wanze a quant à elle commandé l’étude d’un échantillon des billes SBR de son terrain synthétique. En mars dernier, après la diffusion d’une enquête sur le sujet sur France 2, les autorités communales avaient même demandé aux gardiens de but de ne plus s’entraîner sur le terrain synthétique… Rassurer avant tout à défaut de certitudes scientifiques. Voici le leitmotiv de nos responsables politiques. En Wallonie, la ministre compétente Valérie De Bue (MR) finance les études sanitaires lancées par les communes (lire par ailleurs) qui en font la demande.
À Bruxelles, la secrétaire d’État chargée du dossier Fadila Laanan (PS) va plus loin. Outre l’arrêt des subsides pour la construction de terrains synthétiques en billes de pneus recyclés, la secrétaire d’État a demandé aux 19 communes la liste de leurs terrains synthétiques. Ce cadastre est désormais bouclé. La DH vous en dévoile le résultat. Sur les 46 terrains synthétiques communaux bruxellois, 42 sont remplis de billes SBR (pneu recyclé). Le cadastre wallon révèle de son côté que 125 terrains synthétiques - sur 156 - sont équipés du même matériau, potentiellement cancérigène selon certaines études, donc. Soit 83 % des terrains synthétiques communaux de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Pour Fadila Laanan , cette première étape permet d’avoir une vue précise de la situation à Bruxelles, même si les terrains privés n’en font pas partie. Plutôt que d’entrer dans une guerre d’études scientifiques, l’élue socialiste préfère adopter une position pragmatique. "Nous préférons prendre nos précautions et financer des mesures de prudence. Raison pour laquelle j’ai suspendu les subsides pour ce type de granulets, et j’invite les communes qui souhaitent renouveler leurs terrains par des billes de Liège ou de coco à entrer une demande de subsides pour le mois de février prochain au plus tard", assure la secrétaire d’État, qui réunira tous les échevins bruxellois des Sports afin de leur expliquer les propositions de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur ce dossier. "Je sais que les parents sont très inquiets. Les responsables sportifs aussi. On ne peut pas dire de manière ferme qu’il n’y aura jamais de risque pour la santé. Donc, pour moi, le principe de précaution prévaut."
La carte des terrains synthétiques équipés de billes de pneus usés
Un risque moindre que la pollution
Les risques d’inhalation et d’absorption cutanée seraient quasi nuls.
La toxicité des microbilles de caoutchouc (pneus en fin de vie recyclés) pose question. Elle fait débat depuis 2016, lorsque des cas de cancer de jeunes joueurs de football ont été rapportés dans la presse britannique. Forcément, l’affaire, qui a fait le tour du monde, inquiète le grand public, les joueurs sur gazons synthétiques et leurs proches.
Pourtant, les spécialistes belges ne semblent pas alarmés. Ils observent, attendent des résultats d’études scientifiques à ce propos, mais ne tirent pas la sonnette d’alarme. Au contraire, certains estiment que les risques d’inhalation et d’absorption cutanée de ces microbilles sont quasi nuls.
Interrogé à ce sujet par la Fondation contre le Cancer, le toxicologue de l’UCLouvain, Alfred Bernard, poursuit ce qu’il nous avait déjà déclaré : "Le risque d’absorption de ces microbilles par la peau me semble extrêmement faible, pour ne pas dire nul. Dès lors, même dans l’hypothèse d’une blessure, celle-ci est nettoyée rapidement, et donc, l’absorption est quasi nulle. Et dans l’hypothèse où il y aurait une absorption significative via la peau, le type de cancer n’est pas compatible avec une absorption cutanée. En effet, quand on parle de leucémie, on invoque plutôt le benzène. Or, ici, il n’y a pour ainsi dire pas de benzène dans ces microbilles."
Le temps d’exposition jouerait également un rôle clé. Il faudrait y être confronté quotidiennement à hauteur de plusieurs heures par jour pour éventuellement percevoir des effets immédiats.
Le toxicologue est cependant plus inquiet concernant la pollution atmosphérique, comme il nous le confiait il y a deux ans, en octobre 2016 : "L’air pollué des villes est plus cancérigène que ces billes, selon moi. Dans l’air des villes, on trouve des particules fines qui proviennent, entre autres, des pneus. L’exposition à ces substances, comme le benzène, est continue et ces particules vraiment fines."
Des normes aussi strictes que pour les jouets
SBR, Ecofill, bouchons de Lièges, etc. Tous ces matériaux ont un point commun. Ils inondent les terrains de sport synthétiques de leurs petites billes. Ces petites billes issues de pneus usés et autres résidus chimiques contiennent de nombreuses substances toxiques : du plomb, de l’arsenic, du mercure, du benzène, etc., réunis sous l’appellation HAP pour hydrocarbures aromatiques polycycliques.
Une étude menée par l’université de Yale a dénombré près de 200 substances nocives dans les microbilles, dont certaines potentiellement cancérigènes. Soit. La question est, maintenant, de savoir si la teneur de ces substances dans chaque microbille peut refiler le cancer au gardien de but de votre club favori. La plupart des études assurent que non car la concentration de ces substances dans les microbilles ne dépasse jamais les seuils officiels. Fadila Laanan souhaite que ces seuils soient réduits au même niveau que celui imposé par l’Union européenne pour les jouets.