Les criminologues ne peuvent plus devenir assistants de justice : "Une règle absurde"
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Publié le 27-11-2018 à 13h53
Les universitaires n’ont plus accès à la profession du côté francophone. Une règle "absurde", peste-t-on en interne.Le bureau de sélection de l’administration fédérale (Selor) a récemment publié, pour le compte de la Communauté française, un appel aux candidats pour l’examen d’assistant de justice. Les maisons de justice ont été créées il y a près de vingt ans, dans la foulée de l’affaire Dutroux, avec la volonté affichée de rendre la justice plus accessible, plus humaine, plus efficace. En 2011, la 6e réforme de l’État a transféré l’ensemble des compétences de ces maisons de justice aux Communautés, en y ajoutant de nouvelles matières (l’aide aux victimes, l’aide sociale aux justiciables, l’aide sociale aux détenus…), mais le Selor est resté responsable du recrutement.
Les missions des assistants de justice sont multiples et de plus en plus complexes. Ils doivent réaliser, à la demande d’un magistrat, des enquêtes sociales et des rapports d’information succincts préalables à une décision judiciaire, assurer l’accueil des victimes et la guidance des auteurs d’infractions.
Moins d’un tiers
Ce sont donc les assistants de justice qui doivent vérifier si les détenus respectent les conditions mises à leur libération, s’ils effectuent leur peine de travail de façon scrupuleuse, s’ils se rendent bien à leur formation, s’ils cherchent effectivement un emploi ou un logement.
L’appel à candidatures précise que les futurs assistants de justice doivent avoir "des connaissances approfondies de la méthodologie et de la déontologie en matière de guidance d’auteurs d’infractions". Et encore de bonnes connaissances en matière de médiation pénale, de détention préventive, de probation, de peines de surveillance électronique, de peines de travail… Ils doivent aussi pouvoir jongler avec les modalités d’exécution de la peine, la mise à disposition, l’internement en défense sociale…
Bref, une description de fonction cousue main pour les criminologues. Sauf que ces derniers ne peuvent plus postuler pour ces postes. Les conditions d’inscription, fixées par la Communauté française, écartent les universitaires (les criminologues, mais aussi les sociologues, les psychologues et autres détenteurs d’un master en sciences de l’éducation). Pour des raisons essentiellement budgétaires liées aux barèmes. Seuls les diplômés de l’enseignement de type court, soit les assistants sociaux, les éducateurs (spécialisés) ou les conseillers sociaux peuvent y avoir accès.
Une règle "absurde", peste-t-on en interne, car elle prive les maisons de justice de profils adéquatement formés pour le suivi des auteurs d’infractions alors que "le politique prétend mettre l’accent sur la prévention de la récidive". Avant la communautarisation des maisons de justice, les criminologues avaient pourtant accès à la profession. Ce n’est donc plus le cas.
Les conséquences se font déjà sentir dans les treize maisons de justice francophones, qui ont du mal à trouver le personnel ad hoc pour compléter leurs équipes. Sur les 500 assistants de justice, moins d’un tiers sont encore porteurs d’un diplôme universitaire (surtout des criminologues). Et cette proportion va en diminuant.
Des populations complexes
C’est d’autant plus regrettable que les populations prises en charge se complexifient : les problèmes de santé mentale sont en augmentation, comme la précarité, la diversité (on parle 182 langues dans les maisons de justice !), la fragilité des auteurs… "Quand on avait 30 à 40 % de criminologues dans les équipes, cela donnait des dynamiques intéressantes avec les éducateurs et les assistants sociaux. Les gens qui ont fait la criminologie ont un autre background et sont mieux équipés pour aborder ces problématiques. C’était très intéressant d’avoir des regards croisés et complémentaires. On se prive de leur apport et de leur regard. C’est vraiment un appauvrissement sur le long terme", déplore la responsable d’une maison de justice.