"Dehors, on ne s’occupait pas trop de Dieu. En prison, c’est un remontant"
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- Publié le 04-02-2019 à 10h31
- Mis à jour le 04-02-2019 à 10h32
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Derrière les barreaux, les aumôniers et conseillers moraux jouent un rôle crucial. Tour des chapelles à Saint-Gilles. Debout, micro en main, le gaillard qui protestait trois minutes plus tôt contre les fouilles à corps, se radoucit. S’adressant aux aumôniers (catholiques, orthodoxes, anglicans, protestants, évangéliques) et aux conseillers moraux alignés dans la salle de visite de la prison de Saint-Gilles, le détenu dit "un grand merci à tous". Ce sont les seules personnes vers qui on peut se tourner en prison si on veut parler, explique-t-il. Il est incarcéré depuis seize mois. "Dehors, on ne se préoccupait pas trop de Dieu. Ici, c’est un remontant."
Un codétenu acquiesce. "Je suis athée, donc on pourrait penser que leur présence signifie très peu pour moi. Bien au contraire ! Ce sont des personnes de confiance, qu’on peut regarder droit dans les yeux. Merci à tous de nous écouter de façon fantastique. J’y trouve beaucoup de réconfort."
Un autre, de nationalité française, dont la famille est loin, renchérit : "Je peux m’exprimer sans contrainte. Chaque jour en prison est un combat. Grâce à eux, on tient le coup."
Une jeune agente pénitentiaire témoigne à son tour : "Ils sont 22 heures sur 24 en cellule. Quand on ouvre la porte à un représentant d’un culte, on voit leur visage s’illuminer."
Ces quelques témoignages ont ponctué, jeudi dernier, la visite la prison de Saint-Gilles, organisée par #Jail&Justice, une plateforme informelle constituée de tous les cultes reconnus et de la laïcité - qui a le soutien du ministre de la Justice Koen Geens (CD&V).
"La justice ne peut s’arrêter aux portes de la prison. Les détenus restent des êtres humains qui retourneront un jour dans la société", insiste l’abbé Éric de Beukelaer, qui coordonne #Jail&Justice. En vue de la réinsertion ultérieure de ceux-ci, les aumôniers et conseillers moraux jouent un rôle crucial, "constructif et humanisant".
Incertitude
La prison de Saint-Gilles est la maison d’arrêt la plus peuplée du pays . Jeudi, 792 hommes étaient détenus dans l’attente de leur procès dans cet établissement pénitentiaire à la fois surpeuplé (la capacité est de 579 places) et vétuste. "C’est la plus grande porte d’entrée carcérale. Chaque année, on admet 4 500 détenus. Ils restent en moyenne trois mois. Il y a un grand turnover. Ce n’est pas un environnement stable", pointe Jurgen Van Poecke, le directeur de l’établissement.
La date de sortie n’est jamais connue. "Cette incertitude de la maison d’arrêt rend la prise en charge très difficile", juge Henri Caers, conseiller moral à Saint-Gilles. "On part de zéro : on a un nom, un numéro de cellule. On doit d’abord et surtout écouter le détenu qui a besoin de parler." De lui, de sa famille, des faits, de ses perspectives… Cela prend du temps. "On peut ensuite tenter d’amener le détenu à plus d’esprit critique et de lucidité sur lui-même et sur la société, qui est parfois vue avec une franche hostilité."
Le conseiller laïque insiste : "Il n’y a pas de moralisme imposé ou de discours tout faits de notre part. On veille à mettre l’accent sur l’autonomie de la volonté et le sens de la responsabilité. On est tenus au secret professionnel : rien ne peut sortir de l’entretien. Mais quand le détenu retournera dans la société, peut-être se souviendra-t-il d’avoir été entendu comme une personne."
Roulement à la mosquée
Les représentants des cultes reconnus consacrent aussi une grande partie de leur temps aux entretiens individuels avec les détenus. Mais ils ont aussi leurs chapelles dans l’aile C de la prison. Orthodoxes, protestants, anglicans et évangéliques se partagent un lieu multiculturel où le décor change selon la célébration. Un détenu a fabriqué une église en carton ; un autre un tableau figurant Jésus sortant du tombeau. Ici, comme dans les autres lieux de culte de la prison, sécurité oblige, les cérémonies rassemblent au maximum 25 détenus.
Murs jaunes, éclairage halogène, la chapelle catholique ressemble à beaucoup d’autres à l’extérieur. Un peu plus loin, il y a la mosquée, dont l’occupation est elle aussi limitée. "Il y a 450 à 500 détenus de confession musulmane. On doit organiser un roulement. La direction nous permet d’avoir deux ou trois jours de culte par semaine", indique Brahim Bouhna, imam à la prison de Saint-Gilles. Mais il faut parfois attendre trois mois. Certains détenus n’ont pas l’occasion d’accéder à la mosquée au cours de leur détention préventive.