Le PS va-t-il gouverner avec la N-VA à Bruxelles en 2024 ? "Si on n’a pas le choix, on devra le faire"
Rudi Vervoort (PS), ministre-Président bruxellois, craint que la N-VA devienne incontournable en Région Bruxelles-Capitale après les élections. Mais il n’y aura pas de véto socialiste. “Si on se trouve dans cette situation, on ne bloquera pas nos institutions”.
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Publié le 26-01-2023 à 06h33 - Mis à jour le 26-01-2023 à 09h44
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La Libre a révélé ce mardi la tenue de “réunions secrètes” entre partis francophones bruxellois, dans la perspective d’une réforme de l’État. Ces rencontres ont provoqué des réactions plus ou moins irritées côté néerlandophone. Pascal Smet (Vooruit) a notamment estimé que “communautariser ce débat serait une erreur stratégique catastrophique pour Bruxelles”.
Au sein du PS bruxellois, ce n’est pas le seul thème qui agite les discussions. Une possible participation, inédite, de la N-VA à la prochaine majorité en Région bruxelloise est évoquée. Rudi Vervoort (PS), le ministre-Président bruxellois, a accepté de livrer son analyse à la Libre.
La N-VA pourrait-elle devenir incontournable en 2024, en Région bruxelloise ?
C’est un risque que je relève. Il ne faut pas énormément de voix pour avoir un siège dans le collège électoral néerlandophone. Si on retire le Vlaams Belang et Agora de l’équation, il n’y a plus que 15 sièges côté flamand. Mathématiquement, il n’en faut pas 9 sur 17 pour faire une majorité, mais 9 sur 14. C’est bien plus qu’une majorité classique. Cela risque de fermer le jeu, coté flamand. La N-VA pourrait mathématiquement devenir incontournable (NdlR : en 2019, sur 17 sièges néerlandophones, la N-VA en a obtenu 3, Vooruit 3, 4 pour Groen, 3 pour l’Open VLD, 1 pour le CD&V, 1 pour le Vlaams Belang, 1 pour Agora, 1 PVDA).
Donc, vous vous préparez à gouverner avec la N-VA ?
Si on n’a pas le choix, comment faire autrement ? On ne va pas bloquer nos institutions. Nous avons vécu ça dans un autre style et un autre contexte avec le Belang lors de précédentes élections. Mais je ne pense pas que la N-VA soit dans l’idée de bloquer les institutions. Bien sûr, c’est un parti un peu particulier, qui ne reconnaît pas la région de Bruxelles-Capitale. C’est un des problèmes pour nous. Mais ça fait partie des scénarios possibles pour Bruxelles, et j’assume pleinement de le dire car c’est mathématique. Et que ce n’est pas mon choix.
Ce n’est pas votre choix, mais vous pouvez gouverner avec la N-VA ?
On devra. Le cas échéant, on n’aura pas le choix. Mais il y a d’abord une campagne électorale. Nous n’allons pas ranimer des feux communautaires en ne respectant pas l’autonomie constitutive de la Flandre à Bruxelles. Parce que je pense que du côté néerlandophone, y compris bruxellois, ils ne sont pas dans le même état d’esprit que nous dans le rapport à la N-VA. Cela peut ne pas nous plaire, mais on le voit bien côté néerlandophone, entre Vooruit et la N-VA.
Et quel est votre état d’esprit, au PS ?
Le MR a déjà gouverné avec la N-VA. Mais pour le PS, la N-VA est clairement considérée comme un parti hostile à l’autonomie des Bruxellois. C’est en cela que ce n’est pas notre scénario préféré. Mais on pourrait se retrouver confrontés à cette situation et on doit pouvoir montrer que nos institutions sont suffisamment robustes que pour continuer à gérer ça.
Cieltje Van Achter (chef de groupe N-VA au Parlement bruxellois), que le PS semble juger plus modérée que d’autres de son parti, est-elle disposée et prête à gouverner ?
De ce que je ressens comme message venant d’eux, la réponse est oui. Pour le reste, je ne vais personnaliser et ce n’est pas mon choix. (NdlR : contactée par La Libre, Cieltje Van Achter estime qu’il est inapproprié de s’occuper de la formation d’un gouvernement actuellement mais précise “qu’en 2024, les Bruxellois décideront de qui gouvernera et de qui rejoindra les bancs de l’opposition”.)
Au fédéral, il y a déjà eu des vétos du PS vis-à-vis de la N-VA.
Je n’ai pas été impliqué dans les dernières négociations de 2019, mais en 2010, avec Elio Di Rupo, nous avons eu un démarrage de négociations avec la N-VA.
Les néerlandophones négocient de leur côté séparément pour former la majorité bruxelloise. Mais en pratique, les francophones peuvent-ils influencer ce choix ?
Il suffit de se souvenir de la saga MR/Open VLD. Le MR a fait pression sur l’Open VLD pour forcer son entrée dans la majorité à Bruxelles. Les Flamands ont résisté car ils ont respecté le choix francophone de ne pas aller avec le MR. J’ai la mémoire de cela. Il ne faudrait pas jouer cela à l’envers.
Vous éprouvez déjà des difficultés dans ce gouvernement bruxellois, tantôt avec Écolo, tantôt avec Défi. Y ajouter la N-VA ne risque-t-il pas de compliquer la donne ?
Bien sûr que oui. La N-VA n’a, jusqu’ici, pas fait la démonstration d’un grand attachement aux institutions bruxelloises. Mais on doit inscrire dans un coin de notre tête que le résultat des élections pourrait à un moment nous amener à cela.
Quels seront les points sur lesquels le PS pourrait accepter d’avancer en termes de régionalisation ?
Entre Bruxellois, on peut réfléchir à une simplification au niveau de la Cocom (Commission communautaire commune) et de la Région. Les craintes communautaires qui ont amené à la création de la Région bruxelloise n’ont plus lieu d’être. Cela mène aussi à une injustice envers le premier parti. À part les 5 années où le MR a eu la ministre-Présidence, le PS n’a jamais géré la compétence sociale ni santé car le ministre-Président ne peut assumer ces compétences qui dépendent de la Cocom. Pour un parti comme le PS, ne pas gérer ce qui fait partie de notre ADN est un peu lourd. Toujours dans cette logique de simplification, la Fédération Wallonie-Bruxelles pourrait se délester du sport et de l’accueil de la petite enfance au profit de la Région bruxelloise. En revanche, pour la culture et l’enseignement, ça me paraît compliqué.
Étiez-vous impliqué dans les réunions secrètes entre présidents de partis bruxellois ?
Non, ce sont des initiatives de président à président. Ça s’est toujours fait. La crispation est venue du côté flamand car ils ont eu l’impression qu’on faisait les choses dans leur dos, comme si les francophones ne les considéraient pas comme des Bruxellois à part entière. Le moment venu, il n’est pas question qu’on fasse Bruxelles dans leur dos.
L’émiettement des voix ne se limitera pas au côté flamand.
Oui. Il y a la nécessité pour les Engagés d’arriver à plus de 5 %. Car c’est tout ou rien : quand on atteint les 5 %, on obtient facilement 4 ou 5 sièges au Parlement bruxellois. Si on est en dessous, c’est zéro.
Qu’impliquerait un échec des Engagés en 2024 ?
Sans être politologue, et sachant que les derniers sièges se répartissent de manière aléatoire, ils vont se répartir un peu plus vers le parti le plus important. C’est de la roulette. Mais cela rétrécirait les possibilités. Cela veut dire, en partant du principe que le PTB ne joue pas, qu’il y a un autre parti en moins dans le jeu.
Donc, vous pourriez être contraint de prendre le MR dans le gouvernement ?
Si les derniers sondages se réalisent, et on sait que la marge d’erreur est importante à Bruxelles, cela pourrait rendre le MR incontournable.
Serez-vous candidat à la ministre-Présidence pour un 4e mandat en 2024 ?
Je serai le ministre-président sortant, donc c’est logique. D’un point de vue personnel, j’ai quand même assouvi un grand nombre de mes ambitions. J’arriverai à 11 ans de ministre-Présidence. Je ne vais pas dire ouin ouin, je suis triste, si ce n’est pas moi. Mais en même temps, cela va dépendre du contexte d’ici un an, dans les intentions de vote, le climat général. Il faut choisir le candidat qui sera le mieux à même de rassembler toute la sociologie bruxelloise et nous amener à la victoire. Je suis un homme de parti et nous devons mener une réflexion collective. Le jeu reste ouvert.