Bruno De Wever : “Het verhaal van Vlaanderen, c’est un peu du réchauffé”
L’historien et frère du président de la N-VA estime que la série de la VRT permet néanmoins aux Flamands de mieux connaître leurs racines communes.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/223bb6d6-9e5e-4195-84c5-a0e810d98bf2.png)
Publié le 06-02-2023 à 06h38
:focal(2495x1671.5:2505x1661.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/GM6YD66LUBFZFPGVV2HL3LMCXQ.jpg)
Het verhaal van Vlaanderen est la série dont on parle beaucoup et qui cartonne sur la VRT en ce moment. Le succès est au rendez-vous : plus d’un million de téléspectateurs à chaque épisode. Le documentaire est très regardé le dimanche soir en prime time. Dans De Standaard, l’historien de l’UGent Steven Vanderputten et le germaniste Jesse Fabré ont affirmé que cette série est une nécessité : “Le Flamand moyen ignore le plus souvent ce qui s’est passé jadis sur ses terres.”
Personne ne doute cependant du fait que la série, réalisée à grands frais à l’initiative du gouvernement flamand, doit aussi contribuer à forger et servir l’identité flamande. Certains vont jusqu’à prétendre qu’elle a été pensée pour alimenter la machine propagandiste de la N-VA. Elle suscite en tout cas la discussion, provoque la controverse parfois, mais nourrit le débat concernant les Flamands et leurs racines communes.
Bruno De Wever, professeur d’histoire à l’UGent estime que la nuance est de mise lorsque l’on se penche sur le passé. “L’histoire est plus complexe que ne sont les mathématiques”, prétend l’historien qui est le frère de Bart De Wever. Ce à quoi le président de la N-VA aurait répondu en plaisantant que sur point, il donne “exceptionnellement” raison à son frère aîné.
Bruno De Wever, êtes-vous fan de la série Het verhaal van Vlaanderen ?
La série est bien faite, les commentaires du présentateur Tom Waes sont accessibles, l’audience est exceptionnelle, l’approche didactique et scientifique aide les Flamands à mieux comprendre leur passé. Mais l’essentiel est dans le titre : HET verhaal van Vlaanderen, comme s’il n’y avait qu’une seule histoire ? Cela me paraît présomptueux. On pourrait en raconter des milliers ! Bien sûr, l’ensemble est orchestré par la N-VA qui concrétise ici une partie de son programme politique.
Une histoire convenue
Cette série pourrait-elle donner aux Flamands ce qu’ils recherchent, une identité ?
“Une hirondelle ne fait pas le printemps.” Selon la N-VA, les Flamands doivent se forger une identité, c’est clair. Pour ce que j’en ai vu (trois épisodes), cette histoire de Flandre me semble un peu convenue, vieillotte. Je dirais que c’est du réchauffé, il n’y a que l’emballage qui a changé… (Bruno De Wever utilise l’expression “Oude wijn in nieuwe zakken” ce que l’on traduit par : “Du vin vieux dans des outres neuves”, NdlR.)
Les commentaires sont faits en tussentaal. Ce n’est pas le néerlandais standard qui est utilisé. Qu’en pensez-vous ?
C’est un choix. Ils ont opté pour les commentaires du présentateur Tom Waes qui parle comme dans la vie courante. Il incarne le Flamand moyen, il est devenu en quelques semaines le professeur d’histoire le plus populaire de Flandre. Ce néerlandais intermédiaire est censé être à la portée de tous. Mais je reconnais que l’argument de Geert Bourgeois, député européen N-VA et ancien ministre-président flamand, est fondé. Il critique ce choix de se servir de la tussentaal. Pour lui, le Mouvement flamand s’est efforcé d’imposer le néerlandais depuis le XIXe siècle. Le néerlandais standard est la langue officielle des Flamands et a contribué à forger l’identité flamande.
La vérité historique est-elle respectée dans cette série dont la vocation est aussi pédagogique ?
Je ne pense pas qu’il y ait eu, à ce stade, des erreurs flagrantes ou des contresens. Mais il est encore trop tôt pour juger. On peut puiser comme on veut dans le vivier flamand en mettant plus ou moins l’accent sur tel ou tel fait. Les faits sont importants mais, dans notre discipline, la “pensée historique” est le fil conducteur qui nous donne ce cadre référentiel. L’histoire ne se résume pas à des faits que l’on apprend par cœur. Le cours d’histoire sert aussi à développer le sens critique des élèves. L’important, c’est de comprendre ce qui les relie les uns aux autres. Le contexte particulier détermine le regard que nous avons comme individus sur notre passé. Le respect des perspectives pluridisciplinaires fait partie de la “pensée historique”. Ce regard, sans cesse complexe et dynamique, favorise l’approche nuancée d’une réalité. C’est effectivement pour cette raison que j’ai organisé, avec ma consœur Naïma Lafrarchi (UGent), des Olympiades d’histoire. Ce projet a pour but d’enthousiasmer les élèves du secondaire pour le cours d’histoire.
Un besoin de repère
Comment expliquer ce regain d’intérêt des Flamands pour leur passé commun ?
C’est dans l’air du temps. En ces temps troublés, nous avons besoin de repères et de balises qui sont autant de points d’appui afin de retrouver nos certitudes. Il y a comme un malaise ambiant, facteur de stress. En Europe occidentale, le citoyen est le témoin de glissements sans fin qui lui échappent. Cet îlot de justice et de paix est en déclin. La guerre en Ukraine, le changement climatique, la migration, l’État de droit, la sécurité sociale… Comme gérer tout cela ? Nous sommes à un tournant de notre histoire. Que va-t-il se passer après ? C’est pourquoi nous avons besoin de nous raccrocher à notre histoire commune, canonisée. Comme à des béquilles qui doivent nous aider à vivre. D’où cette envie de nous pencher sur cette histoire commune qui nous relie et nous unit. Une histoire un peu à l’eau de rose, comme les Flamands l’aiment, un peu à la Hendrik Conscience, “l’homme qui apprit à lire à son peuple”.