Pourquoi le projet de loi anticasseurs fâche les syndicats et la société civile?
Thierry Bodson déplore un contexte très hostile aux syndicats et aux mouvements sociaux dans leur ensemble. Entretien.
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- Publié le 05-06-2023 à 19h35
- Mis à jour le 05-06-2023 à 21h14
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C’est une tradition, le patron du syndicat socialiste dispose d’un siège au bureau du parti frère. Mais en général, il ne s’y rend pas, pour bien marquer la différence entre la FGTB et le PS. “Eux, c’est eux. Et nous, c’est nous.” Mais ce lundi 5 juin, Thierry Bodson a franchi les quelques centaines de mètres qui séparent la rue Haute du boulevard de l’Empereur, à Bruxelles. “Cela fait quatre ans ou cinq que je n’y étais plus allé, assure le président de la FGTB. Mais là, la situation est inhabituelle et il était nécessaire de faire le point.”
Ce qui tracasse Thierry Bodson, c’est la conjonction de décisions qui vont à l’encontre des droits sociaux. Il y a le conflit Delhaize, où la justice a rendu une série de jugements défavorables aux grévistes "dans lesquels les droits économiques de Delhaize et la liberté de commerce sont supérieurs aux droits sociaux des travailleurs. Le droit de grève est attaqué de plein fouet car la grève, c’est faire mal à l’économie par principe.” Il y a ce projet de loi anticasseurs de Vincent Van Quickenborne (Open VLD). Il y a enfin la volonté du ministre de la Justice de fusionner les cours d’appel et les cours du travail, avec suppression des conseillers sociaux à la clé et, “immanquablement, un recul des droits sociaux”.
”Provocation”
Bref, sale temps pour les syndicats, et les mouvements sociaux dans leur ensemble. Cela valait bien un déplacement au siège du PS. Où le président Bodson a surtout expliqué aux élus PS en quoi le projet Van Quick était dangereux. “Déposer un projet comme ça, c’est vraiment une provocation. Cette loi pourrait être appliquée à des grévistes qui auraient lancé des œufs sur une façade, tagué la porte d’une entreprise ou mis le feu à des palettes sur un piquet. Un syndicaliste qui tomberait sous le coup de la loi serait interdit de participer à n’importe quelle autre action, même une manif pour le climat du dimanche. Parce qu’il a lancé un œuf sur la façade de l’usine !”
Juste pour un œuf ? Thierry Bodson n’exagère-t-il pas ? Les juges pourront tout de même apprécier la gravité des faits avant de prononcer une interdiction de manifester. “Dans un premier temps, un œuf ne suffira pas, on est d’accord, répond-il. Mais des activistes de Greenpeace ont déjà été condamnés pour avoir tagué à la peinture à l’eau ! Ce n’est pas un fantasme ! Quant à moi, je suis en sursis d’une peine de prison de deux mois pour entrave méchante à la circulation lors d’une grève. Pourtant, quand cette règle avait été prévue, on avait juré que cela ne s’appliquerait jamais aux faits de grève. Qu’on l’écrive dans la loi, alors, que ce ne sera pas appliqué à une grève ! Mais le problème, c’est que le projet dit que ce sera appliqué à tous les ‘rassemblements revendicatifs’. Et un jour, un juge qui ne nous apprécie pas trop, nous ou un mouvement citoyen, appliquera la loi.”
”La société est-elle vraiment plus violente ?”
Quel accueil le président Bodson a-t-il reçu au bureau du PS ? “J’ai été entendu. Je ne suis pas convaincu que tous les membres du bureau étaient au courant du projet et de l’analyse qui en est faite par les mouvements sociaux. Qu’est-ce que cela va donner dans les jours qui viennent ? Je ne sais pas. Mais à mon avis, le projet va être revu (Écolo et le PS ont fait des sorties en ce sens, NdlR). La levée de boucliers, et pas seulement des syndicats, est tellement large que ce sera compliqué que le projet passe. Il y aura sûrement des râleries de la famille libérale mais les socialistes et les Écolos sont très mal par rapport à ce projet.”
”La FGTB n’est pas là pour défendre les casseurs, reprend Thierry Bodson. On parle plus d’eux que de nos manifs. Mais la loi ne réglera rien. Et puis franchement, la société est-elle vraiment plus violente en 2023 ? Faut-il un tel arsenal ? Quand, dans les années soixante-septante, les agriculteurs n’obtenaient pas gain de cause dans le cadre de la Politique agricole commune, ils montaient à Bruxelles avec les tracteurs, les bulldozers, et il ne restait rien de la rue Neuve. C’était autre chose. L’époque actuelle ne justifie pas ces mesures.”
Plus fondamentalement, Thierry Bodson observe “parmi les responsables politiques en Belgique, en Europe et dans le monde, des gens qui n’acceptent pas que la démocratie soit constituée d’un pouvoir et d’un contre-pouvoir. Je pense aussi que c’est un aveu d’impuissance de vouloir mettre le couvercle sur la marmite, avant que la situation ne devienne délicate à cause du réchauffement climatique ou des problèmes de justice sociale. Il y a une sorte de hiérarchie qui est en train de se créer où les droits économiques prennent le pas sur les droits sociaux et humains. En termes de respect des droits syndicaux, la Belgique fait désormais partie des mauvais élèves de la classe. On est pointé du doigt dans le concert international. Ça fait mal !”