À la Ducasse d’Ath, le personnage “Le sauvage” tente de calmer la polémique: “Il n’était pas question de faire de la provocation”
Le personnage aurait dû être adapté pour abandonner certaines références estimées racistes et colonialistes, mais est apparu grimé comme les autres années, au plus grand plaisir de la foule. “Nos traditions peuvent pourtant évoluer avec la société”, observe le philosophe Edouard Delruelle.
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- Publié le 28-08-2023 à 18h53
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La ducasse d’Ath était particulièrement scrutée ce dimanche. Plus précisément, le char dit des “Pêcheurs napolitains” qui devait présenter le personnage du “Sauvage” quelque peu adapté, afin de mettre un terme aux nombreuses polémiques sur le caractère raciste de la représentation. Mais l’édition 2023 aura plutôt soufflé sur les braises.
Pour rappel, l’Unesco avait décidé en décembre 2022 de retirer la Ducasse d’Ath de la liste du patrimoine immatériel de l’Unesco, dont elle faisait partie depuis 2005, à cause du “sauvage”. Apparu en 1873 sous les traits d’un Amérindien, le personnage avait glissé vers la figure d’un Africain, le corps grimé de noir, un anneau dans le nez et attaché aux cordages d’un bateau. À la suite des nombreuses polémiques et au retrait de la liste de l’Unesco, le conseil communal d’Ath avait décidé de mettre en place une commission citoyenne du folklore qui devait se pencher sur les adaptations à fournir à cette figure aussi emblématique que décriée du cortège athois. Il avait été décidé que le “sauvage” deviendrait un “diable”. Pour attester du changement, il devait entourer ses yeux d’un maquillage rouge, porter des lentilles rouges et abandonner son anneau dans le nez.
Personnage plébiscité
Mais surprise ce dimanche : le sauvage est apparu uniquement grimé de noir avec un anneau dans le nez, contrairement à ce qui était attendu. La foule présente au bord du cortège a rapidement scandé “merci, sauvage” à son passage, visiblement enthousiaste à l’idée du maintien du costume habituel.
Interrogé, le bourgmestre d’Ath Bruno Lefèbvre (PS) s’est montré surpris par la tournure des évènements. “Il n’était pas question de faire de la provocation”, déclarait-il quelques instants après l’apparition du char polémique.
Preuve du malaise provoqué, le groupe folklorique du char des “Pécheurs napolitains” a dû tenir une conférence de presse lundi en début d’après-midi. Celui qui tient le rôle du sauvage est apparu, grimé de noir, les yeux cette fois-ci cernés de rouge et sans anneau dans le nez. “L’intention n’était pas de faire de la provocation”, a-t-il assuré, en précisant que le maquillage affiché devant les caméras serait celui visible l’année prochaine.
Il a expliqué qu’il était initialement prévu de sortir dimanche avec les yeux rouges, incarnant ainsi la figure du diable plutôt que celle du sauvage, mais qu’avec la transpiration, “le noir avait absorbé le rouge”. Et que s’il avait finalement arboré l’anneau nasal décrié, “c’était justement pour montrer l’évolution du personnage. J’ai remis l’anneau pour montrer que l’essence du personnage demeurait”. Mais le dispositif de ce dimanche n’a pas eu l’effet escompté. “En voyant les articles de presse, on a compris que le message n’était pas bien passé”, a-t-il reconnu.
Pas de suppression
”Le sauvage véhicule une symbolique raciale dénigrante. Nos traditions peuvent évoluer avec la société”, observe Edouard Delruelle, philosophe et ancien directeur du centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme qui n’était initialement pas en faveur d’une intervention dans les débats sur les représentations dans le folklore. Je pensais précédemment que les choses allaient évoluer naturellement, que la lutte antiraciste allait progresser et que dès lors les institutions culturelles allaient évoluer dans le bon sens. Force est de constater que depuis dix ans, ce n’est pas le cas. Je suis maintenant convaincu qu’il faut faire évoluer le folklore et les traditions. Cela ne veut pas dire tout supprimer, mais avoir une réflexion sur la transformation.” “Je rappelle qu’il n’est pas question à Ath de supprimer le personnage du sauvage, mais bien de l’adapter, poursuit le philosophe. Je ne vois absolument pas ce que le personnage tel qu’il existe jusqu’à présent apporte au folklore. Je m’étonne du refus de voir évoluer ce genre de tradition.”