Eugène Ernst (CSC-Enseignement) : "Si on détricote le Pacte d’excellence, ce sera très mal vécu"
- Publié le 30-08-2019 à 10h53
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Le patron du plus grand syndicat du secteur part à la retraite après 9 ans de mandat, avec inquiétude.À 62 ans, Eugène Ernst quitte, ce vendredi, le bureau de secrétaire général de la CSC-Enseignement, le plus gros syndicat du secteur, qu’il occupait depuis neuf ans. Neuf ans dont cinq de travail autour du Pacte pour un enseignement d’excellence, mis en œuvre en 2014 par l’alors ministre de tutelle, Joëlle Milquet (CDH). L’homme raccroche donc en pleine incertitude sur la survie de la réforme…
"Nous attendons avec impatience la prochaine déclaration de politique communautaire, confie-t-il. On est entré dans le Pacte avec l’idée de réaliser un projet d’école sur quinze ans. Le temps de l’école n’est pas le temps politique. Si maintenant, après un investissement en temps et en énergie énorme, on se met à rebattre toutes les cartes, ce sera très mal vécu. D’autant que, pour une fois, on a commencé par mettre des moyens (jusqu’en 2023-2024), avant de pouvoir en récolter tous les fruits. Aura-t-on tout dépensé pour rien ? Quand on a construit les fondations d’une maison, il faut que le gros œuvre se poursuive, sinon on tombe dans les travaux inutiles !"
Des moments de tension très importante
La feuille de route sur la table est un énorme compromis. Des questions qui dérangent laissées sur le côté risquent-elles d’exploser à l’occasion ? "Plusieurs dossiers ont suscité de vifs débats et de nettes réserves, c’est vrai. Il y a eu des moments de tension très importante entre les acteurs. Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu une sorte de marchandage à certains moments clés, mais on a surtout essayé d’associer ce qui paraissait équilibré et demandait des efforts à chacun, certes, mais pas démesurés." Imposer des efforts à sa base n’est pas forcément dans l’ADN du responsable syndical… Ce fut pourtant une des dernières missions du futur retraité avec la réforme en cours, une réforme qui impose notamment aux écoles un tout nouveau mode de gouvernance.
Une pilule qui coince un peu
Pour la première fois, les établissements scolaires doivent rédiger un "plan de pilotage" puis passer un "contrat d’objectifs" avec l’autorité qui en évaluera le respect. Une partie des écoles est arrivée au bout du processus. Une pilule pas toujours simple à avaler… "Je pense que tout dépend de la manière dont cette évolution a été appréhendée au niveau local. Là où les gens ont pu débattre sans tabou pour définir des objectifs communs, sur la base d’informations fiables, les plans de pilotage et contrats d’objectifs sont appréciés. Malheureusement, ce n’est pas partout pareil. Il y a des endroits où l’information a été tronquée ou partielle, où il n’y a pas eu de démarche collective. Là où le projet est seulement celui de la direction et de quelques collègues, l’appréciation des membres du personnel est beaucoup moins positive."
Nul doute que, même du fond de son jardin à Stavelot, le pensionné gardera un œil sur le sujet. L’école, il est tombé dedans très tôt. Originaire du pays de Herve, il est régent en mathématiques. Jeune diplômé, Eugène enseigne dans plusieurs écoles. Quand arrivent les premières grandes politiques de restriction dans l’enseignement, on lui propose de devenir délégué syndical. Il accepte en 1983. Puis, de fil en aiguille, il finit par poser son cartable de prof à temps plein pour embrasser la carrière syndicale à 100 %, jusqu’au poste de secrétaire général qu’il décroche en 2010, au départ de Prosper Boulangé.
"L’école n’est pas un GSM, si ?"
De sa carrière syndicale, il retient un grand moment de joie : la fusion réussie, en 2005, des quatre centrales qui affiliaient tous les réseaux en une seule CSC Enseignement. Et d’espérer que la Fédération Wallonie-Bruxelles s’en inspire pour faire coexister intelligemment les réseaux d’enseignements. "Aujourd’hui, ils se font concurrence. Comment expliquez-vous que les écoles dépensent de l’argent, des subventions, pour faire de la publicité ? Et tout ça pourquoi, sinon pour piquer des élèves aux autres ?"
À quelques heures de "la quille", il continue donc à plaider pour une information centralisée et objective. "Comme des acteurs qui, ensemble, offrent un service à la population. L’école n’est pas un supermarché… Et, quand elle se comporte comme tel, pourquoi s’étonner que les parents se transforment de plus en plus en clients avec, parfois, des revendications démesurées ? L’école n’est pas un GSM, si ?" Eugène Ernst recommande la plus grande attention pour l’anxiété grandissante de certains collègues. "En neuf ans, le comportement consommateur des familles s’est amplifié…"
Dans son parcours, il épingle quelques dossiers très difficiles : "La réforme des pensions, celle des titres et fonctions et le décret Paysage dans le supérieur." Et enfin, un regret : "De n’avoir pas pu obtenir davantage concernant la taille des classes. Il faut qu’on arrive à la limiter plus strictement."
Pourtant, il passe la main, serein, content de pouvoir profiter de sa famille (qui accueillera bientôt son deuxième petit-enfant) et confiant dans son successeur. À 53 ans, Roland Lahaye, originaire de la région liégeoise et instituteur de formation, prendra le relais dès lundi.