À l’école, le jeu vidéo se profile comme nouveau partenaire d’éducation
Jeux vidéo et école : a priori, ces deux univers n’étaient pas destinés à se rencontrer. L’intérêt pour différentes formes de jeu dans une perspective éducative est pourtant ancien. Mais pendant longtemps, le jeu vidéo n’en a pas fait partie. Dans les années nonante, les jeux vidéo éducatifs, pensés sur la base d’un rapport scolaire au savoir, sont apparus. Les jeunes enfants y "jouent" (apprennent ?) pendant quelques années, avant de basculer vers des jeux plus amusants. Justement, début 2000, les pas-drôles-du-tout serious games (jeux sérieux visant à faire passer un message éventuellement éducatif) ont tenté une incursion sur le marché. Trop scolaires également, ils n’ont pas atteint le succès escompté.
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- Publié le 06-02-2020 à 06h46
- Mis à jour le 06-02-2020 à 06h47
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Jeux vidéo et école : a priori, ces deux univers n’étaient pas destinés à se rencontrer. L’intérêt pour différentes formes de jeu dans une perspective éducative est pourtant ancien. Mais pendant longtemps, le jeu vidéo n’en a pas fait partie. Dans les années nonante, les jeux vidéo éducatifs, pensés sur la base d’un rapport scolaire au savoir, sont apparus. Les jeunes enfants y "jouent" (apprennent ?) pendant quelques années, avant de basculer vers des jeux plus amusants. Justement, début 2000, les pas-drôles-du-tout serious games (jeux sérieux visant à faire passer un message éventuellement éducatif) ont tenté une incursion sur le marché. Trop scolaires également, ils n’ont pas atteint le succès escompté.
Aujourd’hui, à côté de quelques jeux à succès spécifiquement adaptés au monde de l’éducation (le Discovery Tour d’Assassin’s Creed Odyssey pour faire découvrir, par exemple, la Grèce antique), c’est le jeu vidéo "de base" qui débarque dans les classes.
Quelques craintes liées à l’ignorance
Julien Annart est spécialiste du genre. Ancien prof aujourd’hui détaché pédagogique, il coordonne l’ouvrage Jeux vidéo et éducation, avec le soutien de Digital Wallonia. La première version date de 2016. D’année en année, elle a été rafraîchie. Une dernière édition est sortie de presse en octobre. Objectif : proposer un autre regard sur cette culture aux enseignants et éducateurs.
"Le jeu vidéo peut être utilisé de deux manières : pour transmettre des connaissances (dans le cadre d’apprentissages scolaires) et, surtout, pour forger des savoir-être et savoir-faire", résume-t-il. L’exemple le plus connu du premier volet est l’utilisation du jeu Minecraft pour développer, en primaire, toute une série de compétences, notamment mathématiques. Quant au second volet, pour exercer la coopération par exemple, il sera au centre de l’atelier qu’anime Julien Annart, ce vendredi 7 février, au salon SETT.
Dans les familles, le jeu vidéo se trouve souvent au centre de disputes entre générations. Son irruption dans les classes est-elle forcément bien acceptée, par les parents notamment ? "Il n’y a pas de problème dans les écoles, à partir du moment où les choses sont claires. La clef de la réussite, c’est de définir un objectif pédagogique précis et de bien expliquer les choses : que va-t-on faire et pourquoi?" Certes, il y a quelques craintes plutôt liées à l’ignorance. "Mais les professeurs sont bien formés puis, une fois qu’ils connaissent, tout va bien."
Un processus "erreurs admises"
Pour le spécialiste, le jeu vidéo comporte, par rapport aux méthodes éducatives classiques, plusieurs avantages. "Attention, précise-t-il cependant, le jeu vidéo n’est qu’une méthode parmi d’autres. Il ne permettra pas, à lui seul, de résoudre tous les problèmes." Et de préconiser un maximum de six ou sept séances sur une année scolaire, pour introduire ou conclure un chapitre, ou pour mobiliser ce qu’on a vu, au milieu d’un chapitre. Cette recette, il l’a expérimentée avec des élèves de troisième maternelle, jusqu’en dernière année de master en économie !
Le jeu vidéo permet d’apprendre en faisant et, donc, en se trompant. "Dans notre système d’enseignement qui fonctionne par sanction et relégation, c’est très précieux. Dans le jeu vidéo, l’échec n’existe pas." Sans compter que la participation à la construction de l’apprentissage l’enracine davantage. Et c’est valable aussi pour le savoir-être.
Un nouveau gadget pour "faire jeune" ?
Et si le jeu vidéo n’était qu’un nouveau gadget ? Une tentative d’accrocher l’attention des élèves en parlant leur langue ? Ces questions font rire l’ex-enseignant. "Si vous faites cela, c’est une catastrophe. Non seulement, vous n’avez pas une séquence rigoureuse, mais, en plus, vous mentez aux jeunes en vous réappropriant leur culture." Or la question de la motivation est cruciale. "Le jeu ne va pas créer une motivation là où il n’y en a pas chez le jeune. On a cru ça avec les serious games , ce fut un cul-de-sac. Non, l’objectif reste d’apprendre. Et le jeu peut donner du sens à l’apprentissage, le concrétiser." Un scénario que l’alors jeune prof a pu expérimenter en 2002, devant huit élèves de la filière professionnelle auxquels il devait donner un cours de philosophie. "Nous, Monsieur, on n’est pas assez intelligents pour cela", lui disaient-ils. "Je leur ai répondu : alors on va jouer." Et ils ont conceptualisé, énoncé des thèses, réfuté des arguments et posé une conclusion. "Tout ça, c’était de la philosophie…"
Fort de son expérience, Julien Annart conclut : "Le jeu vidéo est plus égalitaire, il est accessible à tous." Accessible à tous ? Du coup, il faut poser la question du nivellement par le bas. "Mais pas du tout ! L’enseignement s’est démocratisé, il est devenu accessible à tous. Mais les canaux, les outils d’enseignement, eux, n’ont pas du tout évolué. Alors c’est normal qu’ils y passent. Enseigner avec les jeux vidéo, c’est une façon de s’ouvrir à un public socialement varié."