Comment construire un système scolaire plus équitable?
La crise sanitaire a mis en pleine lumière le principal défaut du système scolaire francophone : son caractère inégalitaire. Les différences entre élèves, entre classes, entre écoles, entre réseaux nous ont explosé à la figure. Peut-on retenir de ce qui vient de se passer quelques pistes d’amélioration ?
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Publié le 26-06-2020 à 18h34 - Mis à jour le 28-06-2020 à 22h29
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Covid-19, et maintenant ? L’épidémie de coronavirus a mis en lumière les défaillances et les fragilités de nos sociétés. Quels changements pourraient être mis en œuvre sans attendre et pour être opérationnels dans un horizon de cinq ans ? La Libre Belgique réalise une série d'articles sur les leçons à tirer de cette crise sanitaire.
La crise sanitaire a mis en pleine lumière le principal défaut du système scolaire francophone : son caractère inégalitaire. Les différences entre élèves, entre classes, entre écoles, entre réseaux nous ont explosé à la figure. Peut-on retenir de ce qui vient de se passer quelques pistes d’amélioration ?
"Notre système scolaire est fragmenté" , regrette Bernard Delvaux, sociologue, professeur et chercheur à l’UCLouvain. Il questionne la sphère d’autonomie des acteurs. "Nous avons besoin d’un horizon commun. Aujourd’hui, les balises sont très larges. La Fédération Wallonie-Bruxelles définit un projet d’instruction. Il s’agit, en gros, des savoirs et des compétences décrits dans les référentiels. Seulement le projet d’éducation, lui, n’est pas partagé. Les normes, les valeurs que les personnes doivent intérioriser restent du ressort de chaque pouvoir organisateur." Pour avancer, le chercheur suggère de déplacer le champ des objectifs communs. "Ce qui est imposé aux écoles à travers les nouveaux plans de pilotage, c’est de se fixer des objectifs chiffrables qui donneront lieu à un contrôle bureaucratique. Mais une grande autonomie est laissée concernant le choix de ces objectifs. Et si on faisait le contraire ? Les mêmes finalités éducatives seraient ainsi définies pour tous, que chacun serait libre d’atteindre à sa manière." Possible à court terme ? "La crise du Covid a amené une prise de conscience sur laquelle on pourrait s’appuyer pour commencer à petite échelle, avec des accords entre écoles ou pouvoirs organisateurs d’une même commune par exemple."
"Commencer par faire respecter le droit"
En attendant ce renversement, comment construire dès maintenant une école plus équitable ? "Le décret Missions et diverses conventions stipulent que les enfants ont les mêmes droits et qu’il ne peut y avoir de discriminations. Tel n’est pas le cas à l’école dont la mission, pour moi, est de transmettre les savoirs à tous les élèves, quelles que soient leurs difficultés. On devrait donc commencer par faire respecter le droit", tranche Jean-Pierre Coenen de la Ligue des droits de l’enfant. Pas besoin pour lui de règles supplémentaires.
"Défendre l’égalité des singularités"
"On l’a encore vu ces dernières semaines, un tas d’écoles mettent des choses en place pour leurs élèves", ajoute-t-il. "Mais cela devrait être le cas partout. Trop d’écoles sont construites de façon pyramidale. À force de sélectionner et de reléguer, elles comptent de moins en moins de classes d’année en année. Quand on a six classes de première secondaire et trois classes de rhéto, on peut se demander où sont passés les élèves." Pourquoi donc ces pyramides ? "On pratique la sélection pour montrer qu’on est une bonne école", pense Anne François de l’ASBL Élèves qui prône au contraire un système bienveillant "mais qui doit rester exigeant aussi, avec pour objectif de développer le maximum des potentialités de chacun, sinon on tombe dans la mièvrerie".
"Réduire les inégalités scolaires dans une société inégalitaire, c’est poursuivre un objectif d’égalité des chances… d’accéder aux places inégales", estime pour sa part Bernard Delvaux, pour qui le fait que certaines fonctions dans la société donnent plus de pouvoir et de reconnaissance que d’autres constitue le véritable problème. "Le discours sur l’égalité des chances reste trop basé sur des déficits qu’il faut combler avec des remèdes, dans un système qui nie une série d’aptitudes. Ne faut-il pas plutôt défendre l’égalité des singularités et lutter contre l’inégalité des places sur le marché du travail ?"
Qualifiant dédaigné, orientation positive bloquée
La négation d’une série de compétences interpelle aussi Olivier Remels de la Fondation pour l’enseignement qui vise à jeter des ponts entre les systèmes éducatif et professionnel. Son raisonnement, en revanche, est différent. Oui, un système dont une branche (l’enseignement qualifiant) continue à être dédaignée bloque trop souvent l’orientation positive. "À cause de cette mauvaise image, certaines filières menant à des métiers de pointe, valorisants et à fort taux d’emploi, souffrent d’un déficit structurel d’inscriptions." Mais, p our réduire les inégalités et le déterminisme social, la Fondation réclame une meilleure interaction entre écoles et entreprises ainsi que des parcours "métiers" concrets et en lien avec la réalité du monde. "À Bruxelles, depuis 3 ans, 11 écoles ont mené un programme ("story-me") pour renforcer le sens des apprentissages dès la 3e année de l’enseignement qualifiant, en veillant à restaurer la confiance en soi, à affiner la découverte des métiers pour préciser l’orientation et à mettre l’élève en projet comme acteur de sa vie." Il faut se saisir de ces bonnes pratiques, dit-il, sans attendre les effets du Pacte d’excellence qui ne sera pas implémenté complètement avant… 2028 ! "Il y a urgence", insiste-t-il. "L’OCDE nous alerte sur le fait que la majorité des jeunes restent focalisés sur les dix mêmes professions quasiment inchangées depuis dix-huit ans !"
"Voter l’obligation scolaire dès trois ans"
À l’autre bout du parcours scolaire, une dernière piste de réflexion vers plus d’équité est avancée par Marie-Martine Schyns. Ancienne enseignante et ex-ministre de l’Éducation, elle propose une correction en tout début de scolarité. "Voter l’obligation scolaire dès 3 ans : c’était déjà une nécessité et la crise a révélé de manière encore plus nette le besoin de sociabilisation et de scolarisation dès le plus jeune âge." Une façon de mettre tout le monde dans le même bain, au moins pour commencer…