"En transformant les enseignants en prestataires de minutes, on les a amputés de leurs responsabilités"
Les réflexions concernant le système scolaire et les façons d’enseigner ne doivent pas faire oublier que l’école, c’est avant tout de l’humain : des gens, avec leurs idées, leurs choix, leurs émotions, leurs besoins. La crise sanitaire a braqué les projecteurs sur le rôle central de l’institution et, surtout, de ses acteurs de terrain.
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Publié le 26-06-2020 à 18h42 - Mis à jour le 27-06-2020 à 17h25
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Covid-19, et maintenant ? L’épidémie de coronavirus a mis en lumière les défaillances et les fragilités de nos sociétés. Quels changements pourraient être mis en œuvre sans attendre et pour être opérationnels dans un horizon de cinq ans ? La Libre Belgique réalise une série d'articles sur les leçons à tirer de cette crise sanitaire.
Les réflexions concernant le système scolaire et les façons d’enseigner ne doivent pas faire oublier que l’école, c’est avant tout de l’humain : des gens, avec leurs idées, leurs choix, leurs émotions, leurs besoins. La crise sanitaire a braqué les projecteurs sur le rôle central de l’institution et, surtout, de ses acteurs de terrain. Il faudra s’en souvenir car, alors que tout le reste buggait, c’est bien eux qui ont produit l’énergie nécessaire pour tenter de maintenir le navire à flot. Mais quelle place leur accorde-t-on vraiment ? "Les contrats d’objectifs conclus avec les écoles sont souvent perçus comme très contraignants et dépersonnalisants pour les enseignants. On semble ne pas leur faire confiance", regrette Bernard Delvaux de l’UCLouvain. "Quand on a transformé les enseignants en prestataires de minutes, on les a amputés de leurs responsabilités", accuse Anne François de l’ASBL Élèves. Pendant la crise, beaucoup de profs ont fait preuve de dynamisme et d’imagination pour entretenir le contact et, mieux, le plaisir d’apprendre. "Cette notion de plaisir est centrale", rappelle Jean-Pierre Coenen de la Ligue pour les droits de l’enfant. Et elle repose tout entière sur celui qui enseigne.
Des profs en classe : un fameux défi !
Pendant le confinement, beaucoup d’enseignants ont travaillé avec leurs propres outils (internet, ordinateur, téléphone). Pas de quoi faire la révolution sans doute, mais c’est assez pour alimenter le sentiment de manque de reconnaissance. La réorganisation de leur formation initiale et ses effets en termes de statuts et de salaires sont gelés, dans l’attente d’une évaluation financière. Avoir suffisamment d’enseignants dans les classes représente pourtant un fameux défi. "Ces dernières années", insiste Olivier Remels de la Fondation pour l’enseignement, "la pénurie d’enseignants a ôté aux élèves jusqu’à deux heures de cours par semaine (jusqu’à une perte de six semaines de cours par an en 2019). Il faut d’urgence veiller à corriger cet élément, en améliorant l’attractivité du métier et la mobilité des travailleurs entre entreprises et écoles. Lever les barrières qui empêchent de reconnaître l’ancienneté acquise dans le privé est une piste, ainsi que permettre des carrières mixtes." Cette suggestion de ponts entre écoles et entreprises ne fait pas l’unanimité.
Des directeurs épuisés
Que dire des directeurs ? La revalorisation et le renforcement de leurs fonctions sont l’un des objectifs du Pacte pour un enseignement d’excellence. Mais les capitaines d’équipage tiendront-ils jusque-là ? Ils croulent sous la surcharge administrative depuis des années. À la dernière rentrée de septembre, ils lançaient encore un SOS ("Un mois après la rentrée, les directeurs d’école sont épuisés", LLB 2/10/2019) et cette crise ne leur a rien épargné. "Nous avons été instrumentalisés", affirmaient certains après de multiples changements de consignes sanitaires ("Les dindons de la farce : les acteurs de l’enseignement réagissent", LLB 28/5/2020). "Il n’y a pas d’école de qualité sans une équipe de direction de qualité", rappelle Étienne Denoël, administrateur-délégué de l’ASBL Agir pour l’enseignement dans une récente interview au magazine Entrées libres. C’est encore plus vrai maintenant. Il faut du concret, et vite.
Des parents trop absents, mais sont-ils bienvenus ?
Enfin, certains souhaitent réexaminer rapidement la place des parents dans l’école. "Le confinement a permis aux parents de mieux comprendre la réalité du travail d’enseignant et l’engagement quotidien dans ce métier", relève l’ex-ministre Marie-Martine Schyns. Autant en profiter pour rapprocher ces deux mondes qui peinent à travailler comme des partenaires "et impliquer davantage les parents dans les projets d’école et les apprentissages des enfants." Même envie du côté d’Anne François. "Beaucoup d’enseignants ont peur d’aller vers les parents", constate-t-elle. Et réciproquement.