La crise devrait modifier la façon d’enseigner : "Le confinement a montré des réalités souvent cachées"
Alors que divers scénarios sont posés pour la prochaine rentrée des classes en fonction des conditions sanitaires dans lesquelles celle-ci devra se dérouler, une réflexion à plus long terme s’engage sur les leçons à tirer de la crise concernant la façon d’enseigner.
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Publié le 26-06-2020 à 18h34 - Mis à jour le 27-06-2020 à 14h38
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Covid-19, et maintenant ? L’épidémie de coronavirus a mis en lumière les défaillances et les fragilités de nos sociétés. Quels changements pourraient être mis en œuvre sans attendre et pour être opérationnels dans un horizon de cinq ans ? La Libre Belgique réalise une série d'articles sur les leçons à tirer de cette crise sanitaire.
Alors que divers scénarios sont posés pour la prochaine rentrée des classes en fonction des conditions sanitaires dans lesquelles celle-ci devra se dérouler, une réflexion à plus long terme s’engage sur les leçons à tirer de la crise concernant la façon d’enseigner. "J’aime dire faire cours et pas donner cours", pose Anne François de l’ASBL Élèves. Pour elle, une pédagogie efficace repose sur ce qui se passe dans le groupe. Cette alchimie "prend" essentiellement en présentiel. Telle est la première leçon de la pandémie. Il a fallu en être privé pour le réaliser. "Le confinement a montré des réalités qui restaient souvent cachées", relève Jean-Pierre Coenen de la Ligue des droits de l’enfant. "Certains élèves ont avancé tout seuls, d’autres avec l’aide de leur famille et d’autres encore ont été largués", confirme Anne François. Tous deux s’accordent pour dire que c’est en classe que les choses se construisent. "C’est pourquoi nous luttons depuis longtemps contre les devoirs à la maison", explique le patron de la Ligue. Sans pour autant balayer la question de l’autonomie de l’élève.
Les pédagogies différentes
L’implication de celui-ci est une des clefs d’apprentissage reconnue par tous. C’est aussi la marque de fabrique des pédagogies dites actives. "Il existe un certain nombre de pédagogies différentes", relève Bernard Delvaux. "Après une première vague dans l’enseignement maternel et primaire, l’offre s’étend aussi dans le secondaire." Mais il ajoute : "Il faut interroger ce qu’on appelle alternatif ou actif." Pas mal de "recettes" pratiquées par ces pédagogies sont appliquées dans les classes d’écoles dites traditionnelles, à l’initiative de certains enseignants. Là, la posture d’écoute passive disparaît sur le principe du "on retient mieux ce qu’on a découvert soi-même". Apprentissage par projets, classe inversée (l’élève travaille d’abord seul la matière avant qu’elle soit mise en application dans des exercices avec la classe) : la pandémie a forcé presque tout le monde à se frotter, bon an mal an, à cette façon de procéder… Que doit-il en rester ? Et comment éviter que les élèves en difficulté soient enfoncés davantage ?
Au-delà des étiquettes pédagogiques, Jean-Pierre Coenen préfère mettre la priorité sur une école inclusive. Des méthodes qui impliquent les élèves, c’est bien. Encore faut-il que chacun d’eux puisse suivre le mouvement. "Travailler à inclure tous les élèves n’est jamais un nivellement par le bas et bénéficie réellement à tout le monde." Concrètement, l’instituteur a mis en place un système de tutorat par les pairs qui, dit-il, fonctionne très bien.
L’accompagnement individualisé
En l’absence de pairs et loin des classes, le confinement fut, pour quelques élèves et dans les meilleurs des cas, l’occasion de bénéficier d’un suivi particulier. On sait que la remédiation sera nécessaire pour tous dès la rentrée. "Il faut organiser l’accompagnement personnalisé", estime Marie-Martine Schyns. "Au sein de la classe, dans des groupes de besoin ou de niveau, avec des outils numériques, voire du travail autonome chez soi." Pour travailler sur ce dernier point, elle propose une journée d’apprentissage systématique à distance, même si les conditions sanitaires ne l’imposent pas, à titre d’expérience pilote sur base volontaire en 5e et 6e secondaires.
Cet accompagnement individualisé est-il "la" solution ? Plusieurs obstacles restent à surmonter, tels la formation des enseignants à la démarche et son coût. "C’est une possibilité parmi d’autres", relativise Anne François pour qui les savoirs scolaires ne suffisent pas. "Lutter contre les inéquités demande aussi de travailler le savoir être à l’école. Les codes sociaux sont fondamentaux à partager." Le centre PMS où elle travaille applique un processus collégial d’aménagements raisonnables "moins coinçant que ce que prévoit le décret Intégration". Basé sur la confiance et le dialogue avec les jeunes et les familles, il a permis de maintenir sur les rails pas mal d’élèves.
La question des évaluations
À ce propos, réfléchir aux critères pour y rester pose la question des évaluations. La pandémie a montré combien elles posent problème quand les habituelles sessions d’examens ne peuvent pas être organisées. "C’est parce qu’on évalue de manière certificative tard dans l’année", constate Marie-Martine Schyns. "C’est le moment de repenser les rythmes et de trancher. La proposition de 7 semaines de cours puis 2 semaines de congé doit revenir sur la table avec, en corollaire, une évaluation qui intervient après 6 semaines, puis de la remédiation. On peut ainsi certifier progressivement les savoirs et compétences." D’autres vont plus loin. "Il faut moins d’épreuves certificatives et plus d’autoévaluation", opine Anne François. Quant à Jean-Pierre Coenen, les examens ont disparu de ses classes de 3e et 4e primaires au profit d’une évaluation permanente. "Les examens peuvent représenter jusqu’à 40 % du temps disponible en primaire, si on tient compte de tout : révisions, épreuves, jours blancs, corrections, etc : quelle perte de temps !" Puisqu’on en cherche pour individualiser les accompagnements, le débat mérite d’être ouvert.