Caroline Désir : "On va rattraper le retard des élèves, pas diminuer leur niveau"
La ministre de l’Éducation, Caroline Désir (PS), balise les grands chantiers de l’année scolaire. Coronavirus oblige, la priorité est de raccrocher tous les élèves. À cet effet, les incontournables de chaque cours ont été définis cet été.
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Publié le 01-09-2020 à 06h43 - Mis à jour le 12-05-2021 à 15h11
Cette rentrée 2020-2021 restera dans les mémoires. Consignes sanitaires précises pour éviter la propagation du Covid-19 (masques, protocole en cas de contamination avérée, etc.), mais aussi obligation scolaire à 5 ans : l’inhabituel occupe le terrain. Pour autant, les autres dossiers prennent-ils la poussière dans les placards ? Pour La Libre, la ministre de l’Éducation, Caroline Désir (PS), balise le travail qui se prépare. Ou pas.
Vous avez précisé à plusieurs reprises que les élèves et enseignants qui rentrent d’un pays situé en zone rouge doivent se mettre en quarantaine et se faire tester. On est d’accord : les écoles ne sont pas en position de vérifier quoi que ce soit ?
Exactement. Je me suis calquée sur ce qui est demandé par les Affaires étrangères. Ces règles s’appliquent à l’école comme au reste de la société. Je ne pouvais pas imaginer de demander aux directions, déjà très occupées, d’aller vérifier d’où chacun est revenu et quand. Les parents connaissent les règles du jeu. Chacun doit prendre ses responsabilités. Par contre, si une direction sait qu’un élève est revenu de zone rouge et n’a pas respecté les obligations en vigueur, elle est en droit d’intervenir.
La commune de Jette impose aussi la quarantaine et les tests pour ceux qui reviennent à l’école de retour d’une zone orange. Une bonne idée ?
Je regrette cette communication. J’aimerais qu’on avance tous de la même façon. Les messages contradictoires n’aident vraiment pas.
Quelle est l’ambiance avec les acteurs du secteur, les syndicats en particulier, dont quelques-uns dénoncent l’insuffisance des mesures en place dans les écoles ?
L’ambiance reste très constructive. Nous nous sommes entendus mi-août. Les syndicats ont demandé des "pauses masques" dans le secondaire. Elles sont possibles dans les endroits aérés, quand les distances de sécurité sont respectées, quand il y a silence, etc. Mais vous pensez bien qu’il ne peut pas être question pour moi de réglementer à quelle heure et comment elles doivent s’organiser.
Un des gros enjeux de la rentrée est de réduire, autant que possible, les écarts qui se sont creusés entre élèves durant le confinement et de cibler ce que chacun doit savoir pour avancer ("les essentiels"), après plusieurs mois d’interruption. Avez-vous un mode d’emploi pour cette mission ?
Oui. J’ai chargé l’administration de rassembler les bonnes pratiques et les conseils en la matière. Des outils de diagnostic doivent être communiqués aux écoles, via une circulaire, ce mardi. En outre, tant les réseaux que la Fédération Wallonie-Bruxelles ont travaillé à définir les essentiels. Si on n’arrive pas à rattraper la totalité des retards d’apprentissage, qu’est-ce qui est incontournable ? Pour répondre à cette question, un énorme travail a été accompli. Pour chaque branche, à chaque niveau, les essentiels ont été définis. C’est d’autant plus important qu’on ignore comment cette année va tourner. Chacun saura ainsi sur quoi il faut se concentrer. Par ailleurs, un soutien est organisé en matière de suivi différencié des élèves, sous forme de conseils et d’accompagnement, mais aussi de budget (17 millions d’euros ont été dégagés pour financer des périodes supplémentaires de remédiation dans les écoles aux indices socio-économiques les plus bas).
Certains se demandent si, vu que les élèves ont perdu plusieurs mois d’apprentissage, les prochaines épreuves du CEB, CE1D et CESS ne devraient pas être adaptées. Qu’en pensez-vous ?
L’idée n’est évidemment pas de diminuer les niveaux d’apprentissage des élèves, mais bien de mettre le paquet pour les rattraper.
Plusieurs centaines d’élèves sont toujours sans école : les changements à opérer sur le décret "Inscription" sont encore reportés d’un an. Qu’est-ce qui coince ? Est-ce politique ?
Vraiment pas, non. On n’a juste pas eu le temps de s’y atteler, mais c’est en cours. Cela dit, un changement de décret ne résoudra pas tout. Aucun système ne permettra jamais à chaque parent d’obtenir une inscription dans son premier choix d’école. Chaque année, il reste des places dans des écoles qui n’attirent pas : c’est ça, le problème. À noter que cette année est tendue car on enregistre moins de nouvelles écoles que d’habitude (avec seulement deux nouveaux établissements).
Depuis plusieurs années, les rythmes scolaires sont remis en cause. Les élèves, parfois absents depuis longtemps, rempilent cette semaine pour une période de neuf semaines d’affilée. N’est-il pas temps de repenser à revoir le calendrier ?
Il est recommandé de laisser deux ans entre une éventuelle décision de modification du calendrier et sa mise en application. Et puis les calendriers scolaires s’établissent longtemps à l’avance. Mais c’est vrai qu’on aurait peut-être eu besoin de souffler avant novembre, en particulier cette année. En tout cas, ce dossier n’a enregistré aucune avancée récemment.
Les directeurs répètent chaque année qu’ils sont épuisés. Comment leur venir davantage en aide ?
Une série de choses entrent en vigueur pour eux dès maintenant, dans le sens de la suppression de certaines démarches administratives devenues obsolètes. Un vrai nettoyage a été effectué. Par ailleurs, l’allègement de leurs fins de carrière a été approuvé par le gouvernement. Il s’agit de diverses possibilités, pour eux, de réduire leur temps de travail, notamment en travaillant avec un adjoint. On ira le plus vite possible, mais il faudra sans doute attendre la rentrée prochaine pour que la mesure puisse se concrétiser.
Des règles précises existent concernant les frais qui peuvent être réclamés aux parents, mais des abus sont constatés chaque année. Ne faudrait-il pas être plus sévère ?
Je me suis engagée auprès de la Ligue des familles, qui dénonce chaque année le problème, à systématiser une forme de contrôle sous forme de coups de sonde ponctuels. La faisabilité de la mesure est à l’étude à l’administration. Elle sera ensuite concertée avec les pouvoirs organisateurs. Il n’est pas normal du tout que des fournitures soient encore réclamées aux parents en première et deuxième maternelles, alors qu’un subside est donné aux écoles pour couvrir ces frais (ce qui coûte plus de 11 millions d’euros à la Fédération Wallonie-Bruxelles) !
Le référentiel des compétences initiales est entré en vigueur dans le maternel. Mais où en sont les autres référentiels ?
Ils doivent être approuvés prochainement. C’est important pour pouvoir lancer la formation des enseignants de première et deuxième primaires qui entrent dans le tronc commun à la prochaine rentrée. Là aussi, il faut aller vite. À ce propos, il y a une autre urgence : nous devons préparer le cadre pour la mise en place du dispositif d’accompagnement personnalisé, ces années-là aussi. Deux périodes par semaine y seront consacrées. Il faut les formaliser.
On a enregistré de gros couacs dans l’organisation des épreuves via les jurys pour les élèves inscrits dans l’enseignement à domicile : y a-t-il des solutions ?
La pandémie nous a empêchés d’organiser les épreuves comme d’habitude, mais on a vraiment fait au mieux et nous continuons à chercher des solutions. Je ne peux pas laisser dire que c’est une branche que nous délaissons, mais je comprends la colère des familles. Je pense que le malaise est profond. Comme la dernière réforme date de 2016, j’ai demandé à l’administration de plancher sur une réforme à moyen terme.
Reste-t-il d’autres grands chantiers planifiés pour cette année scolaire ?
Je vous en mentionne deux. D’abord, le gros morceau que constitue la réforme de la formation continue des enseignants. L’idée est de rencontrer au mieux les besoins. Les enseignants sont demandeurs mais le système reste parfois mal adapté, trop compliqué. Et il faut que les formations évoluent, par exemple sur des thèmes comme la réalisation de projets en commun, les inégalités, les différences de culture, etc. Enfin, un mot de l’énorme chantier de la réforme du qualifiant. Là également, il faut qu’on avance. Toute l’offre d’options actuelle doit être revue. C’est un processus très lourd qui vise à ce que chaque formation aboutisse à un emploi.
Redoutez-vous un retour de flamme budgétaire avec d’éventuels impacts pour votre secteur, la crise ayant encore aggravé les choses ?
Je ne suis pas inquiète. Nous avons peu de marge de manœuvre et nous sommes liés à la situation fédérale, c’est vrai. Mais, heureusement, le Pacte a été bétonné. Le choix d’investir dans cette réforme n’est pas remis en cause.