Référent numérique depuis 20 ans dans son école, il dénonce la réalité de son quotidien
Dans cette école secondaire d’environ 600 élèves en Wallonie picarde, tout le monde est équipé et connecté. En cette "rentrée" si particulière, c’est déjà un gros stress en moins. Mais tel ne serait pas le cas sans le travail d’un professeur qui, il y a environ vingt ans, mit le doigt dans un engrenage chronophage en acceptant d’être le référent informatique de son établissement.
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Publié le 17-11-2020 à 12h40
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Cette tâche mal connue est au cœur de la numérisation de l’enseignement. Son témoignage, il l’a couché dans un carnet de bord que la députée Mathilde Vandorpe (CDH) relaie à la ministre de l’Éducation, Caroline Désir (PS), pour que cette mission soit reconnue comme il se doit. Où il apparaît que l’évolution informatique des écoles repose, aujourd’hui encore, sur des bonnes volontés individuelles.
"On y croit, on s’investit plus qu’imaginé"
"Mon histoire de personne-ressource informatique commence à l’époque où, dans les écoles, on ouvre les premiers centres cybermédias, les ancêtres des cyberclasses." On est autour du passage à l’an 2000. Bertrand Montaine est prof d’économie, marketing et bureautique quand sa direction lui dégage deux périodes par semaine pour faire vivre le tout nouveau centre informatique. "Seule consigne donnée : comme ces 2 heures ne nécessitent ni préparation ni correction, la direction me demande d’en prester effectivement 4 à 5… Qui se transforment très vite en 15 ou 20 heures !" Mais l’homme est très enthousiaste. "Quand c’est nouveau", se souvient-il, "on y croit, on s’investit plus qu’imaginé. Volonté et motivation personnelles ne manquent pas, le projet est beau (extérieurement) et on ne veut décevoir personne."
Alors, il découvre ce nouveau réseau, se forme le mieux et le plus rapidement possible, crée des comptes utilisateurs (pour les élèves et les professeurs), donne des microformations pour les collègues intéressés, installe et recherche des logiciels pour les collègues prêts à se lancer, intervient durant les cours de certains afin de les aider, crée un site internet pour l’école. Le tout, bien entendu, sans oublier les 9/10 de son travail normal : ses heures de cours.
Vis-à-vis de ses collègues, M. Montaine passe pour un original. "Un seul accepte de m’épauler dans cette aventure." Un seul sur une équipe d’une petite centaine de personnes découragées par la peur de l’inconnu, les difficultés d’organisation, le manque de compétences dans le domaine, l’investissement personnel que cela demande. "On sentait déjà que le nombre d’heures à passer dans cette pseudofonction de personne-ressource informatique allait pomper énormément d’énergie, de temps et de volonté."
Et ce n’était que le début… En 2004-2005, sa mission prend un nouveau tour. La direction lui propose ("Mais avais-je le choix ?") de dégager deux ou trois périodes de plus par semaine pour numériser les horaires de cours de toute l’école ("À condition, là aussi, d’en prester deux ou trois fois plus…"). Il a fait le calcul : "Ce travail d’horairiste demande environ 135 heures étalées sur neuf semaines, en plus des autres missions." Il est apprécié. Tant et si bien qu’au fil de sa carrière d’autres charges viennent alourdir son emploi du temps déjà trop rempli.
"Je vous demande de créer un statut précis"
Les projets se succèdent dans le cadre théorique d’une mission qui plafonne, depuis, à dix périodes hebdomadaires mais représente en vrai bien plus d’heures prestées en plus des cours qu’il tient à continuer à assurer. L’enseignant évoque l’informatisation des bulletins ("600 bulletins sept fois par an"), la création d’une plateforme numérique précoce (avant Microsoft Office 365 puis Teams) ou encore la participation à l’appel à projets "Connectivité" initié par la Région wallonne en 2016 pour installer le wi-fi dans les écoles. "Il a fallu attendre 2018 pour la mise en chantier effective." Une lourdeur épuisante.
"Aujourd’hui, je me trouve toujours avec autant de demandes de collègues et d’élèves, avec une motivation quasi intacte… mais de l’énergie en moins. La non-évolution de notre situation de personne-ressource n’y est pas pour rien. Le citron est pressé et le jus ne s’y trouve plus. L’élan est brisé." Les soutiens informatiques extérieurs (mis en place par exemple par les réseaux) ne suffisent pas, ni les quelques heures financées pour endosser ce rôle central en interne. Les candidats ne se bousculent pas. Alors, dénonce le spécialiste, les écoles en chargent des personnes qui n’ont aucune affinité numérique.
C’est pourquoi Bertrand Montaine s’adresse à Caroline Désir : "Je vous demande de créer une véritable fonction de référent numérique avec un statut précis permettant un travail de qualité. L’avenir de l’enseignement et de nos jeunes en dépend réellement."