L’école catholique redéfinit sa mission de fond en comble : "Nous voulons former des personnes et non des individus"
Le texte qui décrit les finalités de l’école catholique avait 25 ans. Il a pour but de coller aux défis du XXIe siècle et est axé sur la personne. L’enseignement de la philosophie et citoyenneté pourrait être adapté.
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Publié le 18-05-2021 à 20h32 - Mis à jour le 19-05-2021 à 06h38
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C’est l’aboutissement d’un énorme travail qui a duré une bonne année auquel s’ajoutent neuf mois de délibérations : l’assemblée générale du Segec (Secrétariat général de l’enseignement catholique) a adopté, le 5 mai, le nouveau texte qui définit "la mission de l’école chrétienne". Ce texte succède aux éditions précédentes de 1975 et de 1995 dont il constitue une réécriture complète. "Ce travail est fondamentalement tourné vers l’avenir et vise à actualiser la philosophie de l’éducation catholique dans le contexte de notre époque", précise le directeur général du Segec, Étienne Michel. La rédaction du document a été confiée à un groupe de travail placé sous la houlette du sociologue à l’UCLouvain Jean De Munck, qui en présente le contenu à La Libre.
"De l’école maternelle aux études supérieures, de plus en plus longues, l’école occupe de plus en plus de place sur le plan biographique, explique Jean De Munck. Il apparaît dès lors fondamental, au-delà des questions de budget ou pédagogiques, légitimes, d’en questionner les finalités."
D’habitude, deux réponses sont données spontanément : l’école vise à former des travailleurs (c’est la demande du monde économique) ou l’école vise à former des citoyens (qui doivent s’intégrer dans l’État démocratique). "À nos yeux, s’arrêter là serait partiel, poursuit le docteur en philosophie. Ces dimensions doivent prendre place dans quelque chose qui les englobe, qui les transcende, sans les dévaloriser, à savoir l’accès à la culture humaine dans son universalité."
Et l’homme insiste : il s’agit bien de la culture humaine dans toutes ses composantes. "Pas seulement la connaissance et la science au sens strict, mais aussi la dimension du rapport aux autres, la sensibilité esthétique, l’accomplissement corporel et la spiritualité, et donc la religion, qui fait partie intégrante de ce projet culturel."
Le concept central de personne
L’école chrétienne s’appuie sur le concept central de personne. "Nous voulons former des personnes, répète Jean de Munck à plusieurs reprises. Former des personnes ne consiste pas à former des individus. Les individus, ce sont des abstractions. On les détache des liens sociaux. La personne que notre école veut former, elle, est une individualité en relations. Sa liberté n’est pas donnée d’emblée, elle se conquiert à travers ses interdépendances."
Le nouveau texte qui définit "la mission de l’école chrétienne" égraine donc les finalités de l’école dans les cinq composantes du développement de la personne, à propos desquelles un diagnostic d’époque devait être posé. Car le monde d’aujourd’hui et celui de demain n’ont plus grand-chose à voir avec ce qu’on vivait il y a 25 ans.
Les cinq dimensions de la culture humaine
La première des dimensions du développement de la personne identifiées par les auteurs du texte, c’est la connaissance. "Ce qui caractérise notre société, c’est la question si importante du discernement intellectuel, dans le flux toujours plus important d’informations, à cause de l’explosion des médias sociaux. Savez-vous que, comme le souligne mon collègue Gérald Bronner, plus d’informations ont été publiées depuis le début des années 2000, avec la démocratisation d’Internet, que depuis l’invention de l’imprimerie ?" La première mission de l’école est donc d’asseoir des capacités de raisonnement et d’appropriation de l’information, ainsi que des connaissances élémentaires.
Deuxième mission : le rapport aux autres. "La grammaire morale a beaucoup évolué. Il faut distinguer le moral du légal, apprendre à hiérarchiser les valeurs et que tout ne se vaut pas dans le rapport aux autres. Des notions de civilité doivent être enseignées, de respect d’autrui, y compris sur la Toile." La mission morale de l’école est clairement mise en avant. "Nous ne sommes pas du tout partisans d’une école qui ne se rabattrait que sur l’instruction."
Troisièmement, une attention à l’éducation esthétique. Après la quête du vrai et du bon, l’école catholique tente d’ajouter une orientation vers le beau. D’abord, le cadre scolaire constitue le lieu d’apprentissage d’un rapport harmonieux à l’environnement. Ensuite, l’école se veut attentive à former le goût des élèves et à les doter de ressources d’imagination. "C’est une vraie sensibilité qui est visée, capable non seulement de ressentir et de transmettre, mais aussi de créer." Cet accent est une nouveauté. On le rapprochera du parcours artistique prévu dans le cadre du futur Pacte d’excellence.
La corporéité est la quatrième composante de l’éducation chrétienne de la personne. "C’est le développement corporel, y compris sexuel. L’école doit également le prendra en charge à côté d’autres lieux éducatifs. Une de ses missions est bien de se préoccuper du bien-être corporel des élèves, de leur santé et de leur accomplissement."
"La religion est évidemment un point important"
La cinquième dimension est spirituelle et religieuse. "La religion est évidemment un point important. Nous savons que nous vivons dans une société sécularisée. Il y a un éventail d’options religieuses plus ouvert qu’il y a 25 ans. Nous n’en sommes plus au monopole catholique." Et il ajoute : "Cela ne nous effraie pas, bien au contraire. Les écoles catholiques savent qu’elles doivent changer (et elles l’ont déjà fait) dans la manière d’introduire le religieux, en tenant compte à la fois des élèves qui n’en ont jamais entendu parler, et de la pluralité de l’offre. Le défi est donc d’initier les élèves à la culture religieuse et, en particulier, au christianisme."
Comment ? "Pas sur le mode de l’histoire des religions. La question centrale est d’entrer dans une parole religieuse, dans une interprétation religieuse. L’objectif est d’apprendre à un petit Européen une dimension de la culture qu’il ne trouve presque plus dans son milieu de vie. Il doit aussi savoir dialoguer avec un non-Européen qui ne vit pas dans la même société sécularisée. On ne veut pas enseigner le mépris. Il y a un enjeu fondamental pour la formation d’un jeune Européen de 2030-2040 qui vivra dans un monde globalisé où la circulation de la parole religieuse sera probablement encore plus intense qu’elle ne l’est actuellement." On ne peut pas rater cette dimension, insiste-t-il.
Une éducation inscrite dans la société démocratique
Enfin, cette éducation pour la personne par la culture doit aussi s’inscrire dans la société démocratique. "L’éducation à la citoyenneté, c’est l’éducation à l’égalité qui passe par l’apprentissage de règles institutionnelles, mais aussi la responsabilisation des élèves : la citoyenneté politique, la participation économique et sociale et le respect de la nature." Ce dernier point est l’autre nouveauté de ce dernier texte. L’école catholique fait de la transformation de notre rapport à la nature un enjeu éducatif majeur. "Avec une dimension scientifique (veiller à ne pas diffuser de fake news sur les défis climatiques ou la manipulation biologique de l’être humain, par exemple), mais aussi morale. On ne peut sérieusement pas penser résoudre les problèmes d’environnement uniquement avec des moyens techniques."
Jean De Munck évoque la question de notre inscription harmonieuse dans le cosmos, sur laquelle le christianisme, comme d’autres spiritualités, apporte de précieuses ressources.