"À partir du 1er octobre, on va rencontrer de vrais problèmes dans les écoles bruxelloises"
Benoit Gallez, directeur des secondaires du collège Saint-Michel, craint qu'il devienne compliqué d'organiser certains cours d'ici quelques jours.
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- Publié le 25-09-2021 à 11h45
- Mis à jour le 28-09-2021 à 10h31
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Cela fait un peu plus de trois semaines que les enfants ont repris le chemin de l'école. Si les élèves belges bénéficient à nouveau d'un enseignement à 100% en présentiel, ils ne sont pas tous logés à la même enseigne. Les écoles bruxelloises doivent maintenir des mesures sanitaires plus strictes que celles en application dans le reste du pays. La faute à une situation épidémiologique qui reste préoccupante dans la capitale et à une campagne de vaccination qui stagne. Au collège Saint-Michel à Etterbeek, les mesures actuelles sont accueillies plutôt favorablement. Mais on craint que la situation ne s'envenime dès le mois d'octobre. Benoit Gallez, directeur des secondaires du collège Saint-Michel, est l'Invité du samedi de LaLibre.be.
Avez-vous enregistré beaucoup de contaminations au sein de votre établissement depuis la rentrée ?
Le nombre d'infections commence petit à petit à devenir conséquent. On a été confronté à un pic lors de la première semaine de cours, mais ça s'était un peu calmé ensuite. Maintenant, les contaminations repartent à la hausse. Cela demande beaucoup de travail de gestion. Surtout que nos missions concernant ces infections ont été alourdies...
C'est-à-dire ?
Le PSE (services de promotion de la santé à l'école, ndlr.) a été débarrassé de cette mission de tracing, qui revient dès lors aux écoles*. Nous devons désormais nous charger des documents spécifiques à compléter, alors que l'année passée nous nous contentions de signaler par mail les élèves contaminés et ceux qui avaient été en contact rapproché. Le travail bureaucratique est donc accru ! Et il en va de même de notre charge de responsabilité, car il nous revient de déterminer qui est à haut ou bas risque, qui doit être écarté. Cela demande beaucoup d'énergie. Une de mes éducatrices occupe la moitié de son temps à ces tâches. Pendant ces moments, elle n'assure pas toutes ses autres missions, qui concernent notamment l'encadrement des élèves. C'est paradoxal car on nous demande de redoubler d'effort pour accueillir au mieux les élèves qui sont les victimes de deux années de crise sanitaire. On nous donne des moyens supplémentaires pour ce faire. Et en même temps, on nous les retire puisque ce personnel qui devait veiller à l'encadrement, à la pédagogie et au dialogue doit finalement faire un travail qui n'est pas supposé être celui de l'école.
Comment se fait-il que le PSE ne se charge plus du tracing ?
Il a été décidé par le politique que le PSE devait revenir à ses missions de base, comme la détection des problèmes de vue. Il doit également organiser la vaccination Covid. Si on ajoutait à cela le tracing, cela devenait évidemment trop lourd pour cette structure, qui a des moyens limités et qui rencontre des problèmes en termes de recrutement. On a donc retiré au PSE certaines missions pour qu'il puisse se concentrer sur la vaccination. Mais nous jouons également un rôle dans la campagne ! Nous nous occupons de la sensibilisation aux enjeux de la vaccination. En tant que citoyen, je n'ai aucun problème par rapport à cela. Il est normal d'expliquer qu'il faut protéger les plus âgés et les plus faibles dans la société. Mais ces tâches sont-elles les nôtres ? On nous demande, par exemple, de distribuer et de récupérer un formulaire pour que les gens désirant bénéficier de la vaccination via le PSE puissent le signaler. On organise l'anonymat, mais cela peut éveiller de la suspicion au sujet de la confidentialité au sein de certaines familles. Toutes ces missions induisent que l'on doit gérer les réactions de gens complotistes ou antivax qui estiment que ce n'est pas notre tâche d'informer sur le sujet. Cela nous demande de déployer de l'énergie que l'on n'a pas nécessairement car ce n'est pas notre métier. De plus, cela nous met en porte-à-faux avec toute une série de personnes.

Pour vous, l'école n'avait pas de rôle à jouer dans la campagne de vaccination ?
Si, c'était nécessaire. J'avais déjà interpellé les élèves sur le sujet dans le courrier de rentrée. J'évoquais la nécessité pour eux de se poser la question de la vaccination, à la fois pour se protéger eux-mêmes mais aussi pour protéger les plus faibles de leur entourage et par solidarité vis-à-vis de ceux qui se sont fait vacciner. Je n'ai aucun problème par rapport à cette sensibilisation. Mais on nous a fait passer à la vitesse supérieure en nous demandant de jouer un rôle institutionnel qui n'est pas le nôtre. Je suis d'accord avec l'idée d'informer et de sensibiliser, mais pas avec celle de recueillir des formulaires.
Ressentez-vous une certaine appréhension de la part des élèves au sujet du coronavirus ? Est-elle moins forte que l'année dernière ?
Ils ont appris à vivre avec le Covid, comme tout le monde. On en a eu tous peur au moment où on a complètement fermé les écoles et que l'on vivait cloîtré. Mais aujourd'hui, on a déjà vécu une année scolaire avec le coronavirus. Les interrogations concernent désormais davantage la vaccination.
Avez-vous l'impression que le niveau des élèves de votre établissement a baissé à cause de la crise sanitaire et du confinement ?
Les élèves ont vu moins de matière que les années précédentes, c'est un fait. Mais est-ce la quantité ou la qualité des apprentissages qui prévaut ? À mes yeux, la qualité prime. Certes, il y a effectivement des choses à rattraper. Ce sera un défi à relever. Mais il y a les matières, les compétences dans les matières et les compétences transversales. La plupart des élèves ont accru leurs compétences transversales, notamment leur niveau d'autonomie par rapport à l'apprentissage et de résilience. Evidemment, on est dans une école avec un indice économique qui reste très élevé, avec des familles qui sont davantage en mesure de suivre la scolarité de leurs enfants. Il y a d'autres écoles où le facteur est beaucoup moins favorable.
Comment les élèves ont-ils vécu le fait que les règles sanitaires soient plus strictes dans les écoles bruxelloises que dans le reste de la Belgique ?
Nous n'avons pas entendu de plaintes. Je ne pense pas qu'ils aient perçu ça comme une injustice. Ni les délégués ni les élèves n'ont crié au scandale. Ils vivent avec ces règles, tout comme le corps enseignant.
De votre point de vue, était-il nécessaire de conserver des mesures sanitaires plus strictes dans les écoles de la capitale ?
Evidemment. A partir du moment où on a un nombre de contaminations qui reste plus important à Bruxelles et qu'on peut corréler avec un taux de vaccination plus faible, c'est nécessaire de garder des mesures sanitaires plus strictes. C'est sûr qu'on a tous envie de se débarrasser de ce masque mais il est rationnel de le conserver. Pour l'instant, les mesures restent assez circonscrites. C'est à partir du 1er octobre qu'on va rencontrer de vrais problèmes. Les écoles seront plus impactées par les mesures qui entreront alors en vigueur. On nous annonce que, pour la fréquentation des lieux de spectacle, des centres sportifs..., il faudra être en possession du Covid Safe Ticket*. C'est là que l'organisation de certains cours va se compliquer. Le collège Saint-Michel a la chance d'avoir des infrastructures sportives assez importantes. Mais les élèves de rhétorique se rendent tout de même dans des infrastructures extérieurs tous les vendredis...
Les jeunes paient-ils le prix d'une campagne de vaccination qui stagne à Bruxelles ?
Non, car parmi les non-vaccinés, il y a aussi des jeunes. C'est une question de solidarité intergénérationnelle. De plus, comme on l'a déjà entendu, les chiffres de la vaccination sont en partie liés à la démographie bruxelloise. Or les jeunes sont justement le reflet de cette démographie bruxelloise.
Craignez-vous de connaître des situations semblables à l'année dernière et de devoir à nouveau suspendre les cours ?
Oui, on le craint. Mais le corps enseignant et les élèves s'habituent. On ne serait plus pris au dépourvu comme lors du premier confinement. Même si on n'aime pas ça, on a développé toute une série de stratégies "palliatives". Tous nos élèves de la 3ème à la 5ème - et bientôt la 6ème - sont dotés d'un Chrome Book, qu'ils emportent chez eux et qu'ils amènent à l'école. Nos professeurs se sont formés aux plateformes d'apprentissage en ligne.Toutes ces choses peuvent servir si on ferme l'école en cas de crise mais aussi dans le cadre d'une scolarité tout à fait normale.
L'année dernière, vous aviez déploré le manque total de communication de la Région bruxelloise quand il avait été décidé de faire tester tous vos élèves suite à plusieurs cas de coronavirus . Estimez-vous qu'il y a eu du progrès depuis lors ?
Ce n'est pas beaucoup plus efficace à ce que j'entends. L'année passée, les décisions qui avaient été prises étaient très politiques et pas du tout pensées pour les acteurs de terrain. Je pensais que l'organe qui prenait les décisions c'était le PSE, mais pas du tout. C'était la Cocom qui décidait parfois en désaccord total avec ce que disait le PSE. Maintenant on a changé de niveau de communication, la Cocom travaille avec la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui nous envoie les circulaires. On a changé de canal mais il n'y a pas pour autant plus de concertation. Les ordres sont donnés en haut et il faut les suivre.
Certains, comme la députée cdH Catherine Fonck , ont pointé que des outils étaient toujours délaissés dans la lutte contre le coronavirus, notamment la ventilation dans les locaux des écoles. Qu'en pensez-vous ?
Les fenêtres restent ouvertes, on ventile au maximum. En hiver, ce sera certainement plus problématique. Mais il est sûr que, actuellement, il est impossible d'implémenter des extracteurs d'air dans toutes les classes. On en a 61 avec une dizaine de locaux annexes. Ce n'est pas faisable en termes de timing et de coût. On a équipé certains grands locaux moins bien aérés, comme notre salle de documentation, d'un système de renouvellement de l'air. Mais, dans les classes, pour le moment, on mise sur les portes et fenêtres ouvertes.

Si la réforme du calendrier scolaire, chère à la ministre Désir, n'entre en vigueur que l'année prochaine, elle fait déjà grand bruit. De nombreux parents bruxellois s'inquiètent des différences entre le système francophone et flamand. Comprenez-vous ces préoccupations ?
Oui ! C'est un peu malheureux, d'autant plus qu'on est dans une école où des parents scolarisent parfois leurs enfants dans des systèmes linguistiques différents. Ils vont devoir gérer des situations qui seront tout aussi inconfortables durant l'année scolaire que durant les vacances. Cela va aussi augmenter quelque part les frais de garderie pendant l'année scolaire. Je plains également les familles qui vivent avec six ou sept enfants dans très peu de mètres carré et qui vont devoir occuper les enfants en novembre et février pendant deux semaines plutôt qu'une alors qu'il fait froid dehors. Ce n'est sans doute pas une situation qui est vécue par beaucoup dans notre établissement, mais certaines familles sont concernées.
Craignez-vous que des élèves quittent votre établissement suite à la mise en oeuvre de ce nouveau calendrier scolaire ?
Sincèrement, je ne crois pas. Du moins, j'espère que ça ne va pas jouer dans le choix d'une école. En tous les cas, pas dans une famille qui a envie de pousser son enfant pour que, au-delà de l'enseignement obligatoire, il fasse des études.
Cette réforme risque-t-elle également de porter un coup au bilinguisme ?
Je le pense. En tout cas, il y aura toute une série de conséquences néfastes. Par exemple, la fin du mois d'août était un moment important de formation pour les enseignants. La nouvelle date de début d'année scolaire risque d'avoir un impact sur le nombre de professeurs qui vont en formation. Je m'inquiète aussi pour l'organisation des rentrées scolaires.
La ministre Désir a-t-elle raison de s'entêter dans ce projet malgré les critiques et mises en garde ?
On sent bien que c'est une plume que la ministre Désir veut absolument mettre à son chapeau à la fin de la législature. Il y a une sorte de forcing. Mais cela fait vingt ans que ce dossier est sur la table et n'avance pas. Diriger, c'est prendre ses responsabilités. En l'occurrence, Madame Désir le fait. Je veux laisser sa chance au système. Mais j'espère tout de même qu'il y aura une évaluation rapide. Elle est plus ou moins promise. Il faudra être capable de revenir en arrière si on voit que certaines choses ne fonctionnent pas.
*Suite à la publication de cet entretien, le cabinet de la ministre Caroline Désir a souhaité réagir pour préciser que le tracing n'incombe pas aux directions et que la circulaire précise que le PSE reste responsable du tracing. "Pour préparer cette circulaire, on a concerté simultanément l'ONE et les FPO (Fédérations de Pouvoirs Organisateur) avec l'objectif d'assurer une meilleure collaboration entre écoles et PSE sur base de bonnes pratiques observées l'an dernier", détaille le porte-parole de la ministre. "La philosophie est de solliciter les directions essentiellement pour fournir l'information dont elles disposent (qui est dans quelle classe à quel moment) et mobiliser leurs outils de communication vers les parents pour la transmission des courriers (Smartschool, mailing, etc). Les FPO ont été consultées cette semaine pour faire remonter les difficultés de terrain et qu'on puisse voir avec la Ministre Linard et l'ONE comment fluidifier les choses et assurer la bonne répartition des tâches. Il faudra malheureusement bien qu'elles soient prises en charge, mais on doit évidemment essayer de faciliter la vie des acteurs et de définir la meilleure modulation possible dans la répartition des rôles entre eux." Concernant le Covid Safe Ticket, le cabinet Désir affirme qu'il ne s'appliquera ni aux écoles ni aux activités scolaires.