Camille, institutrice primaire, fait part de son désarroi: "Ne plus aller enseigner sera bientôt le lot de beaucoup d’enseignants, qui ont trop tiré sur l'élastique"
La crise sanitaire a propulsé l’école dans une zone d’extrême tension. Face aux absences et aux dernières mesures, des instituteurs craquent.
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Publié le 31-01-2022 à 19h30 - Mis à jour le 01-02-2022 à 11h53
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"Ne plus aller enseigner sera bientôt le lot de beaucoup d'enseignants, flexibles jusqu'à présent mais qui ont trop tiré sur l'élastique." Camille est institutrice primaire en Région bruxelloise. Elle nous contacte pour témoigner. Comme certains de ses confrères, elle ne fait pas partie de ceux qui se réjouissent des récentes mesures prises en Cim (conférence interministérielle) Santé. Surtout la suppression de la quarantaine pour les écoliers dont un membre du foyer est positif et l'arrêt de la fermeture automatique d'une classe à partir de quatre contaminations.
Pourtant, son métier, elle l’aime. Mais elle est écartelée entre son exigence de le faire bien et une situation qui ne le permet plus.
"Comment éviter de tomber malade?"
"Mon souhait, confie-t-elle, est de continuer à donner le meilleur de moi-même en enseignant aux enfants qui me sont confiés et qui regorgent d'une énergie merveilleuse. Mais pour cela, j'ai besoin d'avoir du temps et d'être en forme. J'aurais besoin d'avoir ce qu'il faut pour ne pas tomber malade : en plus de la 3e dose pour laquelle nous avons déjà la chance d'être prioritaires, recevoir des masques, autotests, vitamines… sans dépenser des fortunes."
Camille évoque sa situation d'enseignante motivée et de maman de deux jeunes enfants - un fils de quatre mois et une fille de presque deux ans - qui la place devant un dilemme dont elle peine à se désengluer. D'un côté , en tant qu'enseignante, "comment assurer au mieux l'apprentissage des élèves qui viennent et partent car malades ? Un enseignement individualisé et au cas par cas ? Comment éviter de tomber malade alors qu'un enfant ne doit pas se faire tester ?" Et de l'autre , en tant que maman, "qui garde mes enfants lorsqu'ils sont malades et que je dois enseigner ? Quand dormir ? Quand manger ? Quand sortir de ce cercle infernal de fatigue intense ? De l'énergie à devoir dépenser 100 % du temps ?"
Il faut dire que ces derniers jours ont été particulièrement éprouvants pour l’institutrice. Encore une fois, il a fallu trouver des solutions d’urgence pour le petit (d’abord fiévreux, puis dont la crèche fermait une semaine et enfin hospitalisé pour bronchiolite) et sa grande sœur (enrhumée). D’autant que leur papa, positif, était au fond de son lit. Pas possible pour lui, cette fois, de cumuler son job à responsabilité en télétravail et la garde des enfants.
L'instit s'écarte donc quelques jours. La mort dans l'âme "car cela signifie laisser dans l'embarras l'ensemble de la classe, des parents et des collègues mais aussi la direction. Il faut bien se rappeler que je ne suis ni la seule enseignante maman, ni la seule qui doive garder ses enfants à cause de ce foutu virus".
En janvier 2021, 97% des enseignants de maternelle et 83% des enseignants de primaire étaient des femmes.
"Je ne vois plus comment en sortir"
C'est donc épuisée que Camille reprend le travail cette semaine. "Avec 7 élèves malades sur 17, 16 enseignants absents sur 35, et une direction qui doit composer avec tout cela en faisant tourner les effectifs de classe en classe auprès des enseignants encore présents." Ça ne peut pas continuer comme cela, dit-elle, loin cependant de croire que ses difficultés sont uniques ou propres à l'enseignement. C'est juste que ça ne va plus, tout simplement. "Bien que la situation soit compliquée pour tous, conclut-elle, je ne vois plus comment en sortir, même avec la meilleure volonté du monde."
" Dieu sait si elle vit ses deux métiers, d'institutrice et de maman, avec conviction, dévouement et enthousiasme. Mais aujourd'hui, elle craque !" confirme Thierry, son papa.
Qui tiendra les classes?
Ce témoignage n'est pas isolé. Beaucoup d'enseignants, parents ou pas, parlent. "Vous pensez que laisser les enfants contacts à risque à la maison aller à l'école et seulement à l'école (NdlR: la quarantaine est obligatoire dans tous leurs autres contacts) est très respectueux pour les enseignants et les autres petits camarades qui font attention ?", demande Emmanuelle, sur un réseau social. "Trente-quatre enfants présents aujourd'hui dans l'école où je bosse au lieu de 77 en temps normal, et une classe fermée ! Les profs ont eu le Covid et sont épuisées", rapporte Frédérique. Du coup, Albina pose la question que certaines directions esquissaient déjà la semaine passée : "Mais quand nous serons tous malades, qui tiendra les classes ?"
Dans les écoles, la situation est tendue. Pour les enseignants, en particulier quand ils sont aussi parents. Mais également entre les équipes éducatives et les parents, comme vient de le montrer une étude de l'Ufapec (Union des fédérations d'associations de parents de l'enseignement catholique) qui évoque des comportements plus agressifs qu'avant.