Des examens de fin d'année à nouveau adaptés en raison de la crise sanitaire: "Vous pensez qu’on pourra enfin les évaluer normalement un jour ?"
Pas de course aux matières non vues: la ministre Désir demande un recentrage sur les "essentiels". Les enseignants sont mitigés.
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Publié le 07-03-2022 à 07h24 - Mis à jour le 07-03-2022 à 07h25
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Ça faisait longtemps. C’est sans masque que tous les élèves et leurs enseignants reprennent le chemin des classes, ce lundi, pour boucler le deuxième trimestre. Déjà. Après quatre semaines de cours, ce seront les vacances de Pâques. Ensuite, il restera à peine six semaines jusqu’en juin.
Juste avant le congé de Carnaval, la ministre de l'Éducation, Caroline Désir (PS), a envoyé une circulaire aux écoles pour préciser les balises diagnostiques pour 2021-2022. Rappelons que, cette fois encore, des "essentiels" ont été définis. Ces parties de matières indispensables à la poursuite du parcours concernent toutes les années scolaires. Et elles seules seront évaluées lors des épreuves externes certificatives.
"Ces derniers mois, la crise sanitaire a entraîné des perturbations dans l'organisation des écoles et la poursuite des apprentissages des élèves", explique la ministre. "Il me paraît indispensable de diminuer la pression sur les équipes éducatives et les élèves. Il me semble en effet préférable d'éviter une course à la récupération des matières non vues, en favorisant l'acquisition des savoirs, savoir-faire et compétences de base incontournables dans le parcours scolaire des élèves."
"Je refuse de former des moutons"
Parmi les enseignants, ces consignes ont suscité des réactions contrastées. Éléonore enseigne l'anglais depuis trente ans en fin de secondaire. Elle s'insurge. "Je refuse de former des moutons, surtout pas trop intelligents, sous prétexte de bienveillance", tranche-t-elle. "Je n'ai pas donné cours cette année et j'en suis bien contente. Si l'opportunité se présente, je quitterai le système scolaire belge sans regarder en arrière." Enseignant dans le secondaire qualifiant, Bruno la rejoint sur la page Facebook de Caroline Désir : "Vous pensez qu'on pourra enfin les évaluer normalement un jour ? Car depuis la crise, le niveau baisse encore beaucoup plus et plus vite que d'habitude. En continuant de la sorte votre politique de l'autruche, nous aurons bientôt en 6e secondaire des élèves du niveau de 6° primaire !"
Autre argument avancé par les plus mécontents : le mauvais timing. "Une circulaire du 23 février qui m'annonce que le tiers de ce que j'ai fait et évalué cette année est non essentiel ! Je me pose beaucoup de questions", réagit Xavier, prof de math en fin de secondaire. "Je sens que, cette année encore, les recours iront bon train et beaucoup d'élèves passeront dans l'année supérieure sans avoir acquis les compétences requises."
"Une image infantilisante de notre métier"
Sofia qui enseigne le français et l'espagnol en 4e et 5e secondaires abonde dans son sens. "C'est trop tard pour ce genre d'instruction que beaucoup d'enseignants appliquent déjà spontanément. Exprimer une telle évidence donne une image infantilisante de notre métier. C'est ce genre de communication qui participe à notre impression d'être méprisés." Et elle ajoute, inquiète : "Par essentiels, faut-il entendre le strict minimum ? En bout de course, ce sont les élèves qui vont trinquer. Je crains que, d'ici quelques semaines, on nous recommande à nouveau la bienveillance. Personnellement, j'estime qu'il est important de rester exigeant. Il y va de la qualité de l'enseignement. Sinon, seuls ceux qui en ont les moyens finiront par aller chercher ce niveau dans des écoles privées."
"D’accord avec l’idée"
Plus mitigée concernant le message, Julie témoigne néanmoins dans le même sens. "Je suis d'accord avec l'idée mais ma crainte est que le message caché soit à nouveau, au final, une évaluation tronquée en fin d'année qui engendrera d'office une baisse de niveau irrécupérable." Elle donne un exemple : "En temps normal, mes élèves de rhétos ont comme examen de français, à la fois le CESS (l'épreuve externe certificative), un examen oral sur le cours (savoirs littéraires du XVIe au XXe siècle) et des analyses de textes. Depuis deux ans, ils ne font plus que le CESS et je crains que ce soit encore le cas cette année malheureusement."
On n'est pas en temps normal : sur ce point, au moins, un autre Xavier (celui-ci enseigne le français et coordonne l'association belge des profs de français) est du même avis que Julie. "Ce n'est pas une année comme les autres. On a vu une grande désorganisation dans les écoles", rappelle-t-il. "Il y a eu beaucoup d'absents, tant parmi les enseignants que chez les élèves, avec des situations très différentes d'une école à l'autre." C'est pourquoi, selon lui, ce que propose la ministre prend tout son sens. "La liste d'essentiels n'interdit pas à un enseignant de faire autre chose, chacun peut décider en toute connaissance de cause en fonction de la situation dans sa classe." Il s'inscrit également en faux contre un lien entre les essentiels et des lacunes. "Nous travaillons essentiellement par compétences. Ce n'est donc pas parce qu'on n'a pas vu un chapitre que les élèves sont moins bien formés." D'autant, conclut-il, que l'école n'est pas qu'un lieu de transmission de savoirs. "Nous sommes là pour les accompagner, certains ne vont vraiment pas bien."