"Les enseignants sont en souffrance": la maladie décime leurs rangs déjà clairsemés par la pénurie
D’après les statistiques mois par mois de la dernière année scolaire, le taux d’absence pour maladie a encore augmenté. Il dépassait même 11 % en décembre (9,7 % un an plus tôt) et frôlait 10 % en avril (pour moins de 8 % en avril 2022). Voici tous les détails.
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- Publié le 21-08-2023 à 06h43
- Mis à jour le 21-08-2023 à 06h47
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Pour les directrices et directeurs, la difficulté de constituer leurs équipes n’est pas nouvelle. Mais on en parle beaucoup à chaque rentrée des classes, car la pénurie d’enseignants est une réalité. Deux précisions avant d’aller plus loin : l’enseignement n’est pas le seul secteur touché (bien d’autres manquent de bras comme l’horeca ou le secteur médical), et la situation des écoles francophones n’est pas pire que certaines autres (la Flandre est, notamment, particulièrement concernée).
Ceci étant, une fois le cadre de septembre constitué bon an, mal an, il faut espérer pouvoir le maintenir tout au long de l’année… Or, les récents chiffres concernant les absences pour maladie dans les rangs enseignants n’ont rien de rassurant.
La Libre a pu se procurer les dernières statistiques collectées par l’administration (1) pour l’année scolaire passée. Elles montrent que l’absentéisme des enseignants a encore tendance à augmenter à certains moments de l’année et dans plusieurs régions. Au mieux, il stagne par rapport à l’année précédente, alors que celle-ci enregistrait déjà une hausse par rapport aux deux années de crise sanitaire et aux valeurs enregistrées auparavant.
Davantage que pendant la crise sanitaire
Voyons ces données. Les premières reprennent l’évolution des taux d’absence pour maladie, mois par mois, pour ces cinq dernières années (sans tenir compte des mi-temps médicaux).
Entre septembre 2018 et septembre 2022, le taux d’absence pour maladie des enseignants de maternelle et de primaire est passé de 4,6 à 6,4 % (pour 5,6 % en septembre 2021). C’est lors de cette rentrée 2022 que la plus forte augmentation en quatre ans (+40 %) a été constatée, mais pas les taux d’absences les plus élevés. Globalement, ces derniers ont tourné dans les 8 et 9 % tous les autres mois de l’année 2022-2023, avec trois pics : à plus de 11 % en décembre (9,7 % en décembre 2021) et près de 10 % en février et en avril (pour 7,9 % un an plus tôt).
Autre constat étonnant : les mois de crise sanitaire affichaient des valeurs en hausse par rapport à avant, mais inférieures à ces deux dernières années. On était par exemple à 5,2 % d’absentéisme en septembre 2020 et à 6,6 % en décembre.
Les relevés de l’enseignement secondaire illustrent à peu près la même situation. De septembre 2018 à septembre 2022, la proportion de jours non prestés pour maladie est passée de 4,4 à 6 %. Une remontée quasiment constatée chaque mois. À part en janvier et en février, jamais le cap des 8 % d’absents n’avait été franchi pendant l’année scolaire 2018-2019, tandis qu’il a constitué la norme tout au long de l’année passée.
Par ailleurs, dans le secondaire également, les présences ont souvent été plus nombreuses pendant les “années covid”.
De fortes disparités
Un deuxièmes tableau de chiffres confirme ce qui précède. Il détaille le pourcentage d’absences pour maladie par année scolaire et par province, pour les enseignants et les directions de tous les niveaux confondus. La moyenne générale est passée de 7,3 % en 2018-2019 à 8,5 % en 2022-2023, avec deux années de crise entre les deux. À noter, toutefois : il existe de fortes disparités entre les extrêmes, à savoir le Luxembourg (6,3 %) et le Hainaut (9,4 %).
D’où, une question : y aurait-il, dans les équipes, une sorte de contrecoup post-crise ? Un trop-plein qui s’exprimerait seulement aujourd’hui ?
“L’inconnu constitue parfois la goutte d’eau”
Contactée par nos soins, Guenola de Lhoneux est de cet avis. “Les enseignants sont en souffrance, confirme cette conseillère pédagogique, en contact régulier avec les profs qu’elle est chargée d’accompagner. Après les difficultés de la crise sanitaire, il y a beaucoup de changements à intégrer. L’inconnu fait parfois peur. Il constitue parfois la goutte d’eau qui fait basculer… C’est pourquoi il faut absolument l’accompagner au maximum.”
Sébastien Goffe a une lecture un peu différente. Créateur de la plateforme Jobécole, où sont publiées les offres d’emploi du réseau libre, il fait le lien avec le manque d’enseignants. “C’est le contexte global qui peut se révéler anxiogène”, avance-t-il. Comme de savoir que le collègue de la classe à côté sera absent et qu’il faudra travailler seul voire prendre une partie de sa charge…
Dans un autre document portant sur l’année scolaire 2021-2022, déjà évoqué avant les vacances, figuraient trois autres indications intéressantes qu’on peut rappeler. La majorité des jours d’absence sont le fait des plus âgés (le taux de maladie des 50-65 ans dépassait alors 12 %, pour 4 % chez les 20-29 ans, et ils représentaient à eux seuls 47 % des jours de maladie comptabilisés). Ensuite, ce sont les absences de longue durée qui avaient le plus augmenté en trois ans (les burn-out figurent dans cette catégorie qui reprend les absences de plus de 21 jours). Enfin, tandis que le pourcentage global d’absences pour maladie passait dans le même temps de 7 à 9 %, le taux d’absentéisme nul (membres des équipes ayant presté tous leurs jours), lui, reculait de 39,5 à seulement 26 %.
Comme dans beaucoup d’autres secteurs
Les sujets sur l’école (et ceux qui l’entourent) suscitent souvent des débats passionnés. C’est pourquoi il est important de préciser que cette tendance à l’augmentation du taux d’absence pour maladie touche de nombreux autres secteurs.
Dans son dernier rapport sur l’absentéisme en entreprise en 2022, le secrétariat social SD Worx la constate aussi. Pas moins de 71 % de la population active belge a été absente au moins un jour, cette année-là. C’était 10 % de plus qu’un an plus tôt.
- > (1) Il s’agit des documents envoyés au collectif d’enseignants École en lutte suite à leur recours auprès de la Commission d’accès aux documents administratifs pour obtenir ces informations.