Trois médecins aux assises pour une euthanasie
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Publié le 16-01-2020 à 21h28 - Mis à jour le 21-01-2020 à 09h03
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Le premier procès pour infraction s’ouvre vendredi devant la cour d’assises de Gand. L’action judiciaire avait été lancée par la famille d’une jeune femme euthanasiée en 2010. Le procès est prévu pour deux semaines.
Ce sera une première depuis l’adoption de la loi dépénalisant l’euthanasie sous conditions en 2002. Trois médecins devront répondre, devant les assises de Flandre orientale, d’un assassinat, en fait une euthanasie pratiquée sur Tine Nys, une patiente qui présentait des troubles psychiatriques depuis des années. La jeune femme avait déjà été internée et avait tenté à plusieurs reprises de se suicider.
Le jour de Noël 2009, Tine Nys a fait cette demande d’euthanasie. Elle a été pratiquée le 27 avril 2010 à Saint-Nicolas. Sa famille proche - son père, sa mère et ses deux sœurs - était présente, selon le vœu de Tine qui avait alors 38 ans.
Il était 22 h. Le médecin, le docteur Joris Van Hove, qui a posé l’acte, est visiblement mal préparé. Il est de garde et n’a pas coupé son GSM. Il est appelé par des patients pendant l’euthanasie. Contrairement à ce que la psychiatre Godelieve Thienpont a dit à la famille, Tine Nys doit mourir par injection et non pas en ingérant une boisson.
Le docteur Van Hove a oublié les pansements. Il demande au père de Tine Nys, qui est aux pieds de sa fille, d’appuyer sur l’aiguille. Le médecin n’a rien prévu pour fixer le baxter qui est installé sur le siège de Tine. La femme demande à fermer les yeux pour se calmer car elle a peur. Sa concentration est interrompue par la chute du baxter sur son visage. Une fois l’intervention terminée, le médecin demande si la famille veut constater avec son stéthoscope que le cœur de Tine ne bat plus. Tous refusent.
Le médecin a oublié un formulaire d’acte de décès. Il part rapidement car il doit pratiquer une autre euthanasie le même soir. Il signale qu’il déposera le document auprès de l’entrepreneur de pompes funèbres. Ces comportements ne contreviennent toutefois pas en soi à la loi euthanasie de 2002.
Un formulaire tardif
Le formulaire de déclaration, que les médecins doivent envoyer à la Commission de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, ne fut envoyé par les médecins que 51 jours plus tard alors que la loi prévoit que cela doit être fait dans les quatre jours ouvrables après l’acte.
Huit mois après la mort de Tine Nys, le 5 janvier 2011, Sophie Nys, sa sœur aînée, est allée se constituer partie civile auprès d’un juge d’instruction de Termonde. Elle sera rejointe par les autres membres de la famille.
Elle avait trop de questions auxquelles les trois médecins ne voulaient pas ou ne pouvaient pas répondre. Sophie Nys avait appris que sa sœur voulait l’euthanasie le 17 janvier 2010. Pourquoi le médecin traitant, le docteur Frank De Greef, qui lui avait alors dit que l’euthanasie n’était pas indiquée pour Tine, avait-il finalement donné son accord ?
Sophie Nys, invitée quelques jours après l’acte euthanasique par Godelieve Thienpont, avait en effet appris par cette dernière que les Dr De Greef et Van Hove, avaient signé le formulaire avec elle.
Sophie Nys s’interrogeait. Pourquoi un autisme fut-il diagnostiqué chez sa sœur Tine deux mois avant son euthanasie alors qu’il n’en avait jamais été question auparavant? On parlait alors d’état borderline. Était-ce pour répondre aux conditions de la loi qui dit que le patient doit se trouver dans une situation médicale sans issue et fait état d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable, qui ne peut être apaisée, et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ? Ne devait-on pas, en raison de ce nouveau diagnostic, d’abord tenter un traitement pour apaiser ses souffrances ?
La deuxième sœur, qui s’est jointe à la plainte, a expliqué qu’elle se demandait si Tine qui était sous calmants et somnifères était bien consciente lorsqu’elle a pris sa décision.
Pour le père, Guido Nys, il s’agissait non pas d’une euthanasie mais d’un suicide assisté.
Une question d’indépendance
Pour une euthanasie consécutive à des souffrances psychiques, le médecin qui pose l’acte doit consulter deux confrères (dont un psychiatre spécialisé dans l’affection retenue). Ce duo doit être indépendant du patient et de lui-même.
Était-ce le cas ? Les experts qui ont été chargés par le juge d’instruction en 2014 de l’éclairer sur cette question ont répondu par la négative. Ils ont ainsi relevé qu’on ne peut dire que le médecin traitant, le Dr De Greef, était indépendant car il voyait Tine Nys toutes les deux semaines. Ils ont formulé des doutes sur l’indépendance de la psychiatre. Cette dernière a fait valoir qu’un deuxième psychiatre, qui ne connaissait pas Tine Nys et était donc indépendant, l’avait aussi examinée.
Cette question sera vraisemblablement au cœur des débats devant la cour d’assises.
L’enquête fut longue. Lors du règlement de procédure, le parquet de Termonde a requis un non-lieu. La chambre du conseil l’a suivi en décembre 2016. Sophie Nys a fait appel.
Devant la chambre des mises en accusation, le parquet général de Gand a requis le renvoi en correctionnelle pour homicide par empoisonnement. La chambre des mises en a décidé autrement. Elle a tranché pour la cour d’assises.