"Une décision que je regrette": les médecins ont pris quelques libertés avec les procédures pour l’euthanasie de Tine Nys
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Publié le 19-01-2020 à 19h01 - Mis à jour le 21-01-2020 à 09h03
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Leur procès devant la cour d’assises de Gand entre dans le vif du sujet ce lundi. La procédure qui a été suivie n’est pas habituelle.
La cour d’assises de Gand, qui juge trois médecins accusés de ne pas avoir respecté les conditions légales pour l’euthanasie, en avril 2010, de Tine Nys, une patiente psychiatrique de 38 ans, entre ce lundi dans le vif du sujet. Les docteurs, deux généralistes et une psychiatre, renvoyés devant le jury populaire pour empoisonnement, risquent la réclusion à perpétuité.
Les médecins qui ont mis fin à la vie de Tine Nys se sont-ils bien assurés que ses souffrances psychiques étaient insupportables et inapaisables ? Ont-ils scrupuleusement suivi les procédures fixées par la loi ? Ce sont là les questions centrales de ce procès qui est le premier pour pratique de l’euthanasie depuis l’entrée en vigueur de la loi de dépénalisation en 2002.
C’est le docteur V. H. (59 ans), un généraliste établi à Saint-Nicolas, qui a euthanasié Tine Nys au domicile familial, le soir du 27 avril 2010.
Un problème d’indépendance
La loi sur l’euthanasie prévoit que, si le décès n’est pas prévu à brève échéance, le praticien doit au préalable consulter deux autres médecins qui doivent s’assurer du caractère constant, insupportable et inapaisable de la souffrance. Le docteur D. G. (59 ans), médecin traitant de Tine Nys, et le docteur L. T., psychiatre à Gand, sont ainsi entrés dans la procédure.
À ce stade, il y a déjà une contradiction flagrante avec la loi qui stipule en toutes lettres que les deux médecins consultés doivent être "indépendants tant à l’égard du patient qu’à l’égard du médecin traitant". Ce n’est forcément pas le cas du docteur D. G., qui est le médecin traitant de la famille Nys et de Tine depuis plus de dix ans.
Et le docteur L. T. ? La jeune femme était en traitement chez cette psychiatre, selon le médecin qui a pratiqué l’euthanasie. Le docteur L. T. affirme quant à elle que Tine n’a jamais été sa patiente et qu’elle l’a uniquement rencontrée et traitée dans le cadre de sa demande d’euthanasie.
Une trajectoire inhabituelle
La particularité de ce dossier, c’est que la demande d’euthanasie n’a pas suivi la trajectoire habituelle. Selon la loi, c’est le médecin auquel s’adresse le patient qui déclenche la procédure et prend contact avec deux confrères pour envisager si l’euthanasie est possible ou pas. Dans le cas de Tine Nys, cela ne s’est pas passé de cette façon : la patiente a pris l’initiative de s’adresser elle-même aux différents médecins.
Dans un premier temps, Tine Nys a pris rendez-vous avec son médecin traitant le 24 décembre 2009. Elle lui exprime son souhait d’être euthanasiée pour mettre fin à ses souffrances. Réticent pour des raisons morales et parce qu’il n’est jamais intervenu dans une procédure d’euthanasie, le docteur D. G. demande un temps de réflexion à sa patiente. Il pense cependant que Tine est dans des conditions de souffrance psychique insupportable, notamment en raison de ses nombreuses tentatives de suicide.
"Elle est venue me supplier"
À la demande de sa patiente, le médecin de famille lui donne les coordonnées d’un autre généraliste à Saint-Nicolas, le docteur V. H., connu pour être médecin-Leif. En Flandre, les médecins qui pratiquent l’euthanasie sont désignés sous la bannière Leif, pour LevensEinde Informatie Forum (le Forum d’information pour la fin de vie). "Elle est venue me supplier au cabinet", expliquera le docteur V. H. En tout, il aura vu Tine trois fois avant de pratiquer l’euthanasie.
La jeune femme fréquentait aussi des groupes de patients à l’ASBL Vonkel. Ce centre, qui a pignon sur rue à Gand, accueille les personnes en questionnement sur l’euthanasie. C’est ainsi que Tine Nys entre en contact avec L. T., la psychiatre qui dirige Vonkel, en février 2010. Elle vient lui demander un avis sur son souhait qu’on mette fin à ses jours. Il y aura 7 rendez-vous entre L. T. et la jeune femme.
Le 21 avril 2010, soit six jours avant l’euthanasie proprement dite, la psychiatre signe le document officiel qui stipule que Tine éprouve des souffrances psychiques inapaisables et se trouve dans les conditions pour bénéficier d’une euthanasie.
"Une décision que je regrette"
Il manquait encore une troisième signature. Le 27 avril 2010, jour de l’euthanasie, à midi, Tine téléphone à son généraliste pour lui demander de rédiger une attestation pour son euthanasie. Le docteur D. G. avait entre-temps reçu le rapport de la psychiatre indiquant qu’il n’y avait plus de traitement possible pour la jeune femme. Quinze jours plus tôt, L. T. l’avait briefé par téléphone à propos du diagnostic. Elle lui avait notamment indiqué que Tine refusait de voir encore un autre psychiatre.
Le généraliste explique alors ne plus avoir de réticences médicales à rédiger cette lettre. "Je confirme que ma patiente souffre d’un grave trouble psychiatrique. Elle souhaite avoir recours à l’euthanasie pour cela. Je la soutiens dans sa décision, en tant que médecin et ami, mais je regrette tout de même cette décision", écrit-il. Dans la soirée, le généraliste reçoit un appel du docteur V. H., qui lui demande de passer pour récupérer cette lettre.
Une heure plus tard, à 22 heures, Tine était euthanasiée.
“Mourir par euthanasie était devenu une mission”
À dix-huit ans, Tine Nys a connu une longue période de difficultés relationnelles et des prises en charge psychiatriques suite à des tentatives de suicide. Diagnostiquée personnalité borderline, la jeune femme vivait régulièrement dans des habitations protégées. En mars 1997, elle a été déclarée invalide à plus de 66 %. Quelques mois avant sa mort, on avait identifié un spectre autistique.
Selon ses proches, malgré des hauts et des bas, la jeune femme allait mieux depuis dix ans. La rupture avec son dernier compagnon, en juillet 2009, l’a (re) plongée dans une grave dépression. Elle disait ne plus vouloir vivre. Selon sa jeune sœur Sophie, alors que dans le passé, Tine avait fait de nombreuses tentatives pour mettre fin à ses jours, c’était devenu une mission de quitter la vie via l’euthanasie. Une démarche poussée par la psychiatre L. T., accuse Sophie Nys, à la base de la plainte qui a déclenché l’action judiciaire,